𝟾 - 𝙳𝚎 𝚍𝚒𝚜𝚌𝚞𝚜𝚜𝚒𝚘𝚗𝚜 𝚎𝚗 𝚍𝚎́𝚌𝚘𝚞𝚟𝚎𝚛𝚝𝚎𝚜.

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𝐑𝐨𝐬𝐞.

— C'est beau, n'est-ce pas ?

— Oui... extirpé-je dans un filet à peine audible tant je suis époustouflée par le panorama.

— On a tous un endroit favori quand on a besoin de se ressourcer, ou de hurler tout ce que l'on retient ailleurs. Moi, c'est ici. Il y en a d'autres, de petits coins de paradis. Chacun a sa pépite. Pour Naya, c'est Shà River⁵, m'explique-t-elle le regard brillant porté vers le lagon. Little Water est mon repère depuis que je suis en âge de marcher, je crois. J'aime que tous les éléments soient sous mes yeux, comme si je pouvais les toucher du doigt, tu vois ? Je m'y sens bien, en confiance.

— En paix, j'émets doucement, nos voix se superposant parfaitement, comprenant parfaitement son ressenti.

Je n'ose pas lui demander ce qui la rend – encore – tellement à fleur de peau. Si le courant est très bien passé entre nous dès mon arrivée, lorsqu'elle est venue nous apporter de quoi nous rafraîchir à la demande de ma logeuse, puis quand je l'ai recontactée après avoir trouvé un petit mot avec ses coordonnées sous ma porte d'entrée – quand j'ai enfin pu l'atteindre –, je n'ai jamais été la fille qui active le mode « Columbo » à chaque nouvelle rencontre pour décrocher le titre de « biographe officielle » après trois verres et deux soirées.

D'abord parce que ce n'est pas dans ma nature de me montrer intrusive. J'ai beau avoir mon « petit tempérament de volcan », pour citer ma mère, j'étais surtout une âme solitaire. Farouche. Heureuse dans mes tanières. Je ne cherchais pas à me faire des amis. Non pas que je n'ai pas été entourée et choyée, bien au contraire. J'ai eu de la chance ; beaucoup de chance. Une famille aimante et présente, avec une maman au foyer qui m'a couvée sans m'asphyxier. Mais on peut adorer son cercle sans être une personne extravertie ayant continuellement besoin de compagnie. Moi, j'aimais le calme. Les activités manuelles et les animaux. Ces derniers sont d'ailleurs, selon moi, une fenêtre ouverte sur leurs maîtres. Quand ils sont domestiques. Les animaux, pas les maîtres. Ils en sont un peu le reflet.

Tels maîtres telles bêtes.

Parfois, les bêtes ne sont pas celles que l'on croit.

Ensuite, parce que je sais d'expérience que poser une question ciblée, c'est accepter de se voir potentiellement retourner la même. Sauf si on a une plaque de flic. Ce qui n'est pas mon cas. C'est donc toujours un risque qu'il faut préalablement calculer. La spontanéité n'a pas sa place, s'il l'on n'est pas prêts à jouer le jeu à fond.

Ou à mentir à fond, question de point de vue.

Je suis déjà en mouvement sur un plateau que j'ai bien du mal à comprendre. Alors jongler sur deux pistes de jeu n'est pas dans mes plans. Je ne dois pas perdre de vue la raison de ma présence. Faire parler les locaux. Pas m'étaler sur ma vie.

Oui, je suis un peu idéaliste, parfois.

— Ne bouge pas Winny, s'il te plaît. Enfin, prends une pause, celle que tu veux, mais ne bouge plus après.

Elle s'assoit simplement, sans quitter le rivage du regard. Je m'accroupis à son niveau, règle deux paramètres de l'application appareil photo de mon smartphone. J'aimerais que mon écran soit capable de voir de son œil ce qu'elle perçoit. Car ce qui la tient dans cet état, ce n'est pas du domaine du visible.

Il y a tant de points où nos yeux pourraient se poser que savoir par où commencer est difficile. Un choix cornélien. Je comprends qu'elle aime cet endroit. Tout est saisissant. Aucune carte postale ne prépare à ce choc visuel, à autant de couleurs sur une même palette. . Durant mes recherches, je n'ai vu aucune image semblable. C'est la saison idéale pour profiter d'un paysage presque mystique. L'été débute tout juste, la faune nous offre ses mille et une couleurs. Mille et une senteurs. Plus qu'un microclimat au milieu du désert, c'est un micro-environnement posé tel un nénuphar au milieu de la mesa⁶.

SAUVAGES (retrait en avril 2024)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant