𝟸𝟷 - 𝙻𝚎𝚜 𝙿𝚛𝚘𝚜𝚙𝚎𝚌𝚝𝚜

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Titàn.

Le chiffon ensanglanté enroulé autour de mes phalanges droites que je plie et déplie compulsivement, je file le pas puissant vers l'arrière-garage de cette bicoque délabrée qui pue l'urine, la bouffe moisie accumulée un peu partout au sol et la bière bon marché. Je m'occupais du locataire des lieux avec d'autres frères pendant que Jude et Lenny se chargeaient d'interroger le deuxième lascar qu'on a trouvé avec son connard de copain quand on a débarqué.

Déjà, tous feux éteints pour ne pas nous faire repérer, la barraque ne payait pas de mine au milieu d'un champ paumé qui n'a pas connu de moisson depuis la fin du XXème siècle, mais une fois plus près, on s'est même demandé si Naya et Dax se s'étaient pas trompés sur l'info. Pas d'erreur pourtant, ce trou à rats cachait bien un, ou deux, Red.

Les vieilles lames de bois au sol craquent sous mon poids masquant mes grognements d'agacement de ne pas obtenir les réponses que je suis venu chercher. La moitié des ampoules ici ne fonctionnent pas, le corridor menant à la remise ne fait pas exception. L'odeur me prend aux tripes à tel point que j'envisage de foutre le feu à l'endroit en partant. D'un autre côté, cette pénombre et le reste vont de pair avec mes pensées qui ne savent plus dans quelle direction aller. Je revois les photos des têtes décapitées de mes frères d'Albu, les visages défaits de leurs familles, les yeux noyés de larmes de la gamine du plus jeune des deux qui m'ont fendu le cœur. La colère de mes gars qui me réclamaient silencieusement une justice d'anthologie. Ça me poursuit, mais ça nourrit ma hargne d'en finir, de débarrasser le Colorado, voire tous les États-Unis, de cette sale race des Red.

Le problème, c'est qu'il y a un truc qui ne colle pas dans le tableau. Encore. Je n'en démords pas, c'est une sensation viscérale qui ne me quitte pas depuis qu'on les a rencontrés pour la première fois.

On aurait dû buter ces connards, pas jouer les assistantes sociales !

Bref. Ces deux salopards qui se planquent ici ont eu beau jurer sur leurs pauvres mères qu'ils ne savaient pas de quoi on leur parlait quand on leur est tombés dessus par surprise, alors qu'ils se mataient peinards un match à la télé, mais il ne nous a fallu que trois minutes pour trouver deux beaux blousons, logotés au symbole de ces enfoirés d'assassins. Pas qu'on n'en soit pas nous-mêmes, mais on a des principes qu'eux n'ont pas. On ne tue pas pour le plaisir – quoique cette fois, on va faire une exception, cadeau –, et surtout, on ne va pas chercher les embrouilles à d'autres MC.

C'est justement là où dans ma tête, ça foire : les autres clubs, on trouve toujours des infos dessus, on en connaît même plusieurs avant que ne leur prenne la frénésie de venir sur notre territoire. Or dans le cas des Red, c'est le trou noir. On ne sait pas qui ils sont, où du moins qui ils étaient avant de se la jouer conquête de l'Ouest. Parce qu'on a beau avoir été élevés Jude, moi, et quelques-uns de mes gars, dans la foi amérindienne et la culture qui dit que les Esprits nous guident, je ne suis pas naïf au point de croire que ces chiens sont apparus par l'opération d'un cul de bison mal torché.

Ils viennent bien de quelque part.

Alors ? demandé-je sans cérémonie après une arrivée fracassante.

Alors t'es dans la merde, fumier ! crache son sang rougi à mes pieds le grand comique qui pourra bientôt faire son one-man-show aux pissenlits.

Ou aux cendres, je n'ai pas encore décidé.

Pour le principe, je lui décroche une droite qu'il n'a pas le temps de voir venir. Les émanations d'hémoglobine et d'huile de moteur me donnent envie de plus, mais je me contiens. Pourtant, j'ai besoin de cogner.

— Le principe de l'interrogatoire c'est que le type puisse encore parler Titan, m'avertit Jude à juste titre.

Mais si c'est pour se foutre de moi, autant lui faire avaler sa connerie avant de rentrer dans le vif du sujet. À ma manière. J'inspecte visuellement le lieu dans son ensemble pour jauger du matos à disposition. Pourquoi sortir ma lame qui dort bien tranquillement dans ma botte et la salir alors que c'est bien plus réjouissant de se servir des affaires du larron en lice pour décrocher le titre du macchabée du mois ?

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