𝟹𝟸 - 𝚄𝚗 𝚙𝚎𝚝𝚒𝚝 𝚋𝚘𝚗𝚑𝚎𝚞𝚛

2.3K 368 54
                                    

Rose.

    J'ai dû mal à suivre le film alors que j'adore Tom Hanks, si bien que j'ai envie de m'excuser auprès de lui pour mon manque d'attention. Je me gave de pop-corn sucré et de billes de riz soufflé au chocolat au lait, encore et encore à me faire éclater, avalant de temps à autre une longue gorgée de bière locale infusée à la cerise. D'habitude le houblon n'a pas mes grâces, je trouve cela amère et écœurant. Mais force est de constater que celle-ci ravit mon estomac.

    Calée contre Naya, les jambes repliées sous mes fesses, je fixe la télévision sans vraiment voir les images. Je suis encore sous le choc de mes semi-découvertes de cet après-midi, assommée par mes suspicions et incertitudes. Craintive de ce que la signifierait si l'une d'entre elles se révéler véridiques. Je ne sais pas quoi faire. Mon angoisse menace de prendre le pas sur ma raison et a un ascendant tel sur mes pensées que j'oublie parfois de respirer.

    Je ne peux pas crier au loup sans en avoir vu le museau, me raisonné-je.

    Winny travaillait ce soir, la blonde et moi sommes donc en tête à tête.

    Malheureusement, je ne suis pas d'une compagnie solaire.

     Sur le trajet pour venir ici, j'étais partagée entre la harceler de questions et tout lui balancer sans filtre et patienter quelques jours le temps de prendre du recul sur la situation. Finalement, c'est son teint blafard quand elle m'a ouvert la porte qui m'a convaincue d'attendre, je ne suis plus à deux ou trois jours près, elle a l'air au bout d'un rouleau trop long pour elle. Nous ne savons toujours pas ce qu'elle a mangé pour la retourner de cette manière, mais ça l'a totalement vidé de son énergie. Et Naya est typiquement une personne qui en a à revendre, vous donnant dès sa rencontre la sensation d'être en carence de tout comparé à elle.

    La tête reposée sur son oreiller, les épaules recouvertes d'un plaid tricoté et très coloré, elle me fait de la peine tant son mal être et sa fragilité inédite l'embaument. Nous ne nous connaissons que depuis trois mois et pourtant, j'ai le sentiment qu'au-delà de ce qui nous sépare, beaucoup nous réunit. C'est différent de Winny et moi, mais il y a quelque chose  que je reconnais sans pouvoir poser un nom dessus, et je ne suis loin d'être sociable, de me poser ce genre de questions normalement. Mes amis se comptent aisément sur mes doigts. Je n'ai jamais eu besoin d'en avoir beaucoup. Ashton et Roméo me suffisaient, mes parents et Grand-père aussi. Puis Iris est arrivée, s'est imposée comme le soleil en plein jour avec son sourire et son tempérament de volcan constamment en éruption. Aujourd'hui, mon petit cercle s'agrandit. Le problème est que les vides qu'ils laisseront à mon départ resteront probablement béants longtemps.

    Un peu plus un peu moins...
    Mais je suis tout de même pressée de serrer Iris dans mes bras.

    Si elle semble souvent sur la réserve, en particulier lorsqu'il s'agit de parler du Clan, Naya m'a ouvert les bras de son amitié une fois que sa confiance m'a été acquise. De sa maison ce soir.

    Je ne sais pas à quoi je m'attendais car je ne m'étais rien imaginé en particulier, mais pas à cette ambiance si cosy et douillette, nageant entre déco moderne et charme de l'ancien. Et dans laquelle flotte un oxygène apaisant qui n'a toutefois pas de parfum. Naya est une brute de décoffrage, un diamant brut qu'il ne faudrait surtout pas tailler. Elle aurait vécu dans une écurie désaffectée au milieu d'un champ ou d'une colline que cela ne m'aurait pas étonné. Elle est atypique parfois, flamboyante même à la nuit tombée, vive d'esprit et de mots à l'instar de sa meilleure amie.

    Sauf ce soir.
    Elle et Iris feraient une paire plus explosive qu'un feu d'artifices au-dessus de la tour Eiffel le quatorze juillet.

    Sa maison est l'une des dernières sur la route quittant Canyon Lake pour se rendre à Summer Creek, dans une rue calme et arborée. Elle reste à moins de cinq minutes en voiture du petit poste du Sherif et du centre-ville. Hissée sur pilotis et entourée de roches claires contrastant avec la façade en bois anthracite, au bardage aluminium et baies sans fin voulant frôler la voute céleste, elle ressemble de loin à un immense toit pointu posé sur le terrain. Quelques poutres miel et la terrasse cassent l'architecture sombre tout en relevant le caractère inhabituel de cette construction dans le paysage.

SAUVAGES (retrait en avril 2024)Where stories live. Discover now