𝟹𝟾 - 𝙱𝚎𝚜𝚝 𝙶𝚘𝚘𝚍𝚋𝚢𝚎 𝚏𝚛𝚘𝚖 𝙲𝚘𝚕𝚘𝚛𝚊𝚍𝚘. 𝙿𝚊𝚛𝚝𝚒𝚎 𝙸

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𝐑𝐨𝐬𝐞.

Les kilomètres de bitume, de roches et de vallées défilent sous mes yeux autant que les images méthodiquement archivées dans ma tête. Un panorama indompté sur lequel l'Homme n'a que peut laisser sa marque. Une Nature riche qui fait encore la loi dans ce tableau à l'acrylique indélébile dans ma mémoire mais aux couleurs plus vives que celles de la gouache. Et quelque part dans la toile un clan hors du commun qui semble vivre selon ses propres règles et régir un coin isolé mais agité. Tout est là.

Je suis restée trois semaines au Sénégal pourtant, ma mémoire n'est pas autant saturée que pour mon séjour coloradien. L'Inde, au-delà du fait que j'y ai pris ma première claque en découvrant que personne n'avait jamais entendu parler d'Ash dans les trois camps où je suis allée et les villages alentours, m'a ouvert les yeux sur le monde en dehors de Paris, de la France. Autrement qu'à travers un écran. Même si personne ne connaît réellement mes motivations qui ont poussé mon départ précipité après les funérailles de mes parents puis la disparition d'Ashton, dans ce qui ressemblait comme deux gouttes d'eau -corps en moins-, au cambriolage qui a sauvagement ôté la vie à mes piliers, beaucoup ont suivi mes aventures visuelles grâce à mon petit blog.

Mon blog, le carnet numérique d'un voyage en bien plus de quatre-vingt jours qui n'en avait que le nom. Mon road trip en solitaire m'a servi de couverture mais permis de traverser des frontières dont je ne me serais probablement jamais approchée, moi qui n'avais jamais mis un orteil en dehors de ma patrie. En six mois et demi à courir le globe à la recherche de celui qui vient de réapparaître en un texto, j'ai rattrapé le temps perdu, les lacunes de mon VISA vierge à mon départ.

C'est qu'il a connu plus de douaniers et d'aéroports depuis janvier que moi d'hommes depuis ma première fois, celui-là... Ironie du sort !

Finalement, même si j'ai dû annuler au dernier moment mon -premier- séjour entre filles à Cabo San Luca l'an passé à mon plus grand regret, je n'avais pas fait toutes ces démarches administratives barbantes pour rien. Avoir dans mon portefeuille ce graal papier a été la clé indispensable à mon décollage moins de quarante-huit heures après la découverte de l'appartement d'Ashton saccagé.

Il faut d'ailleurs que je la mette à jour, ma page perso. Certains s'inquiètent de mes quelques jours de silence et ont eu peur qu'il me soit arrivé quelque chose. Leur sollicitude m'a fait chaud au cœur lorsque j'ai lu à la volée le contenu de plusieurs notifications en attendant mon chauffeur ce matin.

Il m'est bien arrivé deux-trois péripéties inouïes qu'on ne voit que dans les films, mais rien que je ne vais leur raconter. Je garderai pour moi l'histoire d'un gang de bikers aux corps de freefighters en MMA dont le meneur a un prénom tout droit venu de la Grèce Antique, une perle de ciel calme dans son regard ténébreux capable d'enflammer un lac de colère ou de désir, et un tempérament plus fougueux que celui d'un pur-sang arabe. Je tairai leur mode de vie singulier et la culture chamanique dans laquelle ils baignent tout en regrettant de ne pas avoir eu le temps d'en apprendre plus sur leurs rites et coutumes. Je parlerai d'un camaïeu de beautés sans citer le secret que j'ai promis de garder : Canyon Lake.

Ma tête sera aussi le coffre-fort d'une rencontre douloureuse et d'un au revoir nocturne généreux, même si nous ne savions pas que notre parenthèse érotique serait le point de l'adieu. Je ferme les yeux et ressens encore la chaleur de notre corps-à-corps épicurien et lorsque je me déshabillerai entre les murs de mon appartement qui risque de ne pas me reconnaître, je verrai sur ma peau dorée par des rayons arides les tatouages éphémères que Titàn m'a laissés. Le film de notre étreinte, lui, sera nul doute impérissable.

— Tu as changé d'avis, la frenchy ? J'peux te ramener avec moi si tu veux...

— Pardon ?

— Je disais, t'hésites ? répète Diego, taquin. On est arrivés, señorita.

SAUVAGESWhere stories live. Discover now