𝟹𝟿 - 𝙱𝚎𝚜𝚝 𝙶𝚘𝚘𝚍𝚋𝚢𝚎 𝚏𝚛𝚘𝚖 𝙲𝚘𝚕𝚘𝚛𝚊𝚍𝚘. 𝙿𝚊𝚛𝚝𝚒𝚎 𝙸𝙸

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𝐑𝐨𝐬𝐞.

     Dans l'immensité du hall remuant il n'y a plus qu'un couloir visuel étroit qui nous accueille lui et moi. Et Zeus, qui doit vraisemblablement espérer que j'ai autre chose qu'il peut me chiper.

     Tout ce qui me tyrannisait il y a une minute a disparu. Plus de lumière aveuglante si ce n'est celle de la silhouette sombre au regard impénétrable qui me fait face. Plus de pensées lugubres et de mélancolie, ni d'appréhensions concernant mon retour à Paris et ce qu'il se passera quand je saurai tout, enfin. Plus de bruits agressifs à prier pour une surdité temporaire, uniquement un tambourinement exalté au fond de moi, une conscience parfaite de la cadence de mon rythme cardiaque qui file vite et fort alors que paradoxalement, je me sens à présent sereine. Plus d'odeurs mélangées, seulement la sienne, une alliance de gel douche, de parfum musqué, de soleil et de roches rouges poudreuses. La fragrance du Colorado que je m'apprête à quitter mais dont la marque ne se sera pas si vite effacée par les kilomètres entre nous.

     Titàn ne dit rien, pourtant je parierais tout que j'ai qu'il a parfaitement entendu mes questions silencieuses, celles que mes yeux lui crient, le pourquoi de sa présence ici, le comment il a su, bien que je me doute que d'une manière ou d'une autre, volontairement ou pas, Diego est la source de la fuite de l'info sur mon départ hâtif.

     Il avance d'un mètre, je ne bouge pas, prête à être percutée par son grand corps ou sa voix puissante, symbole de ce qu'il est, et c'est un retour en arrière qu'exerce mon cerveau. Nous ne sommes plus ici, au milieu de voyageurs impatients et de valises aux roulettes qui crissent mais sur le bord d'une route témoin d'une collision qui n'était que le début d'une rencontre ahurissante. C'était hier sur l'échelle du temps pourtant, ça me parait déjà loin. Je ne me sens plus cette personne qui est arrivée avec ses doutes et ses blessures, ses questions qui n'ont toujours pas de réponses, sa déchirure vive qui lui coupait le souffle à chaque instant.

     Je n'ai ni moi-même mis la main sur Ashton ni trouvé mes pourquoi dans cette demi-années d'enquête. Je repars même avec dans mes bagages le poids traumatisant d'une découverte imprévue sur mes parents, leurs identités, leur passé, et dans ma tête des souvenirs racontés de leurs bouches qui sonnent maintenant aussi faux que les promesses de campagnes non-tenues des politiciens. Mais après tout, je n'étais plus à une claque près, et je me dis que si je n'avais pas suivi mon mauvais instinct sur la photo noyée dans une boîte parmi tant d'autres, je n'aurais jamais rien su de ce mensonge dont j'ignorais l'existence.

     Je m'en vais changée, plus par cette dernière étape de mon circuit que je n'osais pas croire être l'ultime que par celles qui ont précédé mon arrivée dans cette contrée étonnante et détonante. Je suis sur le point de dire adieu à ce pays qui a quand même, quelque part dans son immensité, vu naître mes parents mais à cette seconde précise, le présent est une notion abstraite.

     Dans notre lien visuel que rien ne semble pouvoir rompre, nous ne sommes pas debout sur du béton ciré ni sous les néons fabricants de migraines mais sous le soleil de plomb d'une fin de journée mouvementée. La chaleur insupportable, la clim en rade, la musique à fond, mes questions, puis le son rutilant d'une horde de deux roues. Et lui.

     Mon corps revit le choc du carambolage, mon cœur rate soudain un battement, ou trois, sûrement plus, et l'angoisse qui m'avait envahie alors repasse furtivement en moi avant de laisser la place au film en accéléré de mon séjour aussi étrange qu'inoubliable. Encore. Toujours. Inlassablement.

    Je ne comprends rien à ce qui m'arrive mais je n'ai pas le pouvoir de tout arrêter. Contrainte et forcée, je me pose comme durant mon trajet en spectatrice immobile de cette mini branche bien remplie de ma vie dont j'ai pourtant été l'actrice principale. Rien ne manque.

SAUVAGES | En pause jusqu'au 6 octobre 2024Kde žijí příběhy. Začni objevovat