𝟸- 𝙶𝚕𝚘𝚋𝚎-𝚝𝚛𝚘𝚝𝚝𝚎𝚞𝚜𝚎.

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Rose.

𝓟𝓻𝓮́𝓼𝓮𝓷𝓽.


Trente-sept dollars et cinquante-cinq cents, mademoiselle.

     Je lui tends plusieurs billets, rajoute une petite barre chocolatée avant qu'il n'encaisse sur sa vieille machine désuète. Je note mentalement qu'il ne doit pas prendre la carte bleue, si tant est qu'il connaisse le concept.

— Je ne vous ai jamais vue par ici, constate le vieil homme souriant, qui m'observe avec une gentillesse toute particulière en me rendant ma monnaie.

— Vous avez l'œil, dis-je en lui pouffant avec un clin d'œil rieur. Et vous voyez beaucoup de monde s'arrêter dans ce morceau de terre aride ? me renseigné-je en ouvrant déjà ma friandise et la bouteille d'eau glacée.

     Du calme, Rose, me fustigé-je immédiatement. Discrétion, pas pachyderme dans une boutique de luxe !

    Bon... Pour le luxe, je ne le trouverais pas ici même en fouillant bien. La petite station-service à la façade bleu ciel, isolée et plantée au bord d'une route peu entretenue, fait peine dans le panorama. Néanmoins en la voyant au loin, j'ai de nouveau pu respirer : mon oasis de survie a libéré en moi une vague de soulagement. Plus de soixante-dix kilomètres que je roulais, avec pour seule passagère, mon angoisse de tomber en panne de carburant au beau milieu de nulle part.

     Enfin beau. Question de point de vue, une fois de plus. Si on aime le sable, la poussière ainsi que le néant dépourvu d'urbanisation à perte de vue, le tout en plein cagnard dans une bagnole dont la climatisation a lâché deux jours après l'acquisition de cette dernière, ici, ce doit être le paradis sur Terre. Pas que le paysage n'ait pas de charme, mais tout ce vide fait bien trop écho en moi.

     J'avais bien sûr fait des recherches, mais trouvé peu de réponses sur ce coin apparemment aussi déserté que désertique. Enclavé entre plaines minérales au camaïeu d'argile, hautes dunes, reliefs rocheux et canyons profonds, et traversé par le fleuve Colorado qui porte le nom de l'État pour avoir sculpté une grande partie de la map¹, il n'est visiblement pas le point de chute favoris des voyageurs. Pas d'office du tourisme par ici. Évidemment, puisque qu'encore aurait-il fallu qu'il y en ait, du tourisme. Pourtant, j'ai déniché quelques infos qui ont piqué ma curiosité. Il y aurait de belles balades à faire dans les environs proches, au-delà des étendues beiges et ocres. 

    Un alibi en or massif !

     À en croire les données sur la ville dans laquelle je vais poser mes valises, c'est sur une carte postale sauvage où seule la mer est absente que j'aurais jeté mon dévolu. Une route scénique où il n'y a qu'à ouvrir les yeux pour être transportés, où les décors changent au gré des virages et des kilomètres avalés. Mais aussi un chemin vers l'Histoire, la grande. Celle d'une civilisation établie bien avant l'arrivée fortuite d'un certain Christophe Colomb, ou que Vespucci attribue à ce Nouveau Monde une identité bien loin du continent asiatique. Une identité inédite. Celle d'un continent qu'il fallait entièrement découvrir. Coloniser. Assujettir quitte à broyer les natifs, véritables propriétaires plus que simples dépositaires ; à leur retirer leur véritable essence sous couvert d'une religion qui leur donnait toute légitimité.

     L'Homme dans toute son horreur : tuer pour des biens qui ne lui appartiennent pas.

     Pour le moment, je ne peux pas contredire le fait Dame Nature est reine : j'ai vu des vertes prairies aux portes de l'ouest avant d'apercevoir des vallées et enfin, une savane sèche dépouillée.

SAUVAGES | En pause jusqu'au 6 octobre 2024Where stories live. Discover now