𝟻𝟶 - 𝙼𝚎𝚗𝚜𝚘𝚗𝚐𝚎𝚜.

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𝐑𝐨𝐬𝐞.

Je rouvre les yeux avec l'espoir que tout ça n'est qu'une farce. Non, je suis toujours au même endroit. Une pièce d'une quinzaine de mètres carrés où les êtres vivants logeant ici et dotés du QI le plus élevé sont à priori des plantes vertes, dont les larges feuilles sont recouvertes d'une fine pellicule de poussière qui luit à la lumière de l'après-midi. Une forte odeur de café froid et de clope mélangée à celle de vieux chewing-gum à la menthe embaume tout. Il ne manque plus que de la fumée blanche comme dans les films des années cinquante ou les téléfilms ambiance Derrick et le tableau serait abominablement parfait.

Qu'est-ce qui m'a pris déjà, de me pointer ici ? Ah oui, admirer le visage de la nullité comme on contemple La Joconde.

— Vous ne savez rien, vous n'avez rien, et une fourmi a eu le temps de faire le tour du monde alors que vous n'avez pas avancé d'un seul petit centimètre, me désolé-je amère en comptant sur mes doigts le chiffre de leur incompétence.

La fourmi, c'est moi.

— C'est faux, mademoiselle Sawyer. Nous avons pu restituer plusieurs objets volés à leurs propriétaires, même si nous n'avons encore rien pour...

— À quel moment vous ai-je laissé penser que j'en ai quelque chose à faire de quelques statuettes en bois vernis ? le coupé-je en me levant. Je veux que les assassins de mes parents aillent croupir derrières des barreaux d'une cellule, très loin du soleil et avec pour seuls repas de la bouffe degueulasse, pas que vous me rapportiez de quoi faire un vide grenier, bon sang ! Vous êtes flic ou commissaire-priseur ? C'est la Police ici ou j'ai mal lu ?

— Calmez-vous ! me somme-t-il en refermant le dossier aussi vide que ce bureau est assiégé d'affaires en cours.

Et ça ne risque pas de changer.

Je m'emporte et il s'énerve. C'était plus prévisible qu'un bulletin météo bien préparé. L'homme qui me fait face me désespère autant qu'il m'exaspère. Son éloquence n'a d'égale que son manque de prestance, alors que mon agacement caresse amplement les cieux. Ses explications pataugent dans la semoule et j'ai l'horrible sensation que nous ne sommes pas sur la même longueur d'ondes, lui et moi. L'impression que quelle que soit l'affaire qui va lui être confiée, elle ne l'est que pour devenir une « cold case ». Une affaire classée et pleine de petits moutons cotonneux avant d'avoir été investiguée. Et qu'il me prend pour une idiote, aussi.

— Il y a peu d'éléments exploitables et aucune interpellation n'a encore abouti à quelque chose de probant, mais nous n'avons pas cessé d'investiguer contrairement à ce que vous croyez. Ces bandes organisées sont souvent des nomades qui ne sont là que pour agir sur une période restreinte et passe à une autre ville ensuite. Il n'y a plus eu de cambriolages après celui chez vos parents, c'est un indice de plus qui porte à croire qu'ils ont eu peur et sont partis ensuite. Laissez-nous du temps, c'est complexe.

— Je vois surtout, Lieutenant, que votre ambition de retrouver les meurtriers de mes parents est nourrie par votre doctrine que les chances sont minces. Du coup, votre plan d'action doit être plus complet en ce qui concerne le contenu de votre prochain déjeuner que celui de votre agenda d'enquête !

— Je ne vous permets pas ! tonne-t-il en se redressant.

Sa chaise heurte le mur derrière elle et son poing s'abat sur le bois brun de son bureau, son écran d'ordinateur qui est plus lourd que moi ne cille pas. Ils sont bien équipés, chez les flics.

Y'a qu'à regarder la perle que j'ai sous les yeux.

— Si j'attends après vos autorisations, on n'est pas sortis de l'auberge ! crié-je en réponse.

SAUVAGESWhere stories live. Discover now