𝟷𝟷 - 𝙻𝚊 𝚙𝚎𝚝𝚒𝚝𝚎 𝚏𝚞𝚐𝚞𝚎𝚞𝚜𝚎

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𝐑𝐨𝐬𝐞.


Inconfortablement assise sur le sol de ma petite chambre, je pousse un soupir las en retirant mes écouteurs de mes oreilles. Si même Eminem ne peut plus rien pour moi, je ne sais plus quoi faire. Le volume à fond pour faire taire mes pensées mi-mornes mi-colériques n'a pas suffi. Elles crient plus fort que lui.

Désabusée, le corps un peu cotonneux de l'insolation que j'ai dû prendre avant que Diego ne me prenne en stop, je referme mon calepin, journal de bord de mes recherches. Pourtant, j'ai de quoi me réjouir : aux Archives, j'ai déjà déniché quelques noms d'écoles et je vais pouvoir commencer par quelque-part. Quelque chose d'enfin concret. C'est Winny qui a eu l'idée de la rétrospective pour nous servir de couverture. Des idées, la brunette n'en manque pas. Pour assurer totalement nos arrières, elle a même parlé du projet à ses parents et à Savannah, la directrice adjointe du groupement scolaire de Canyon Lake. Tout cela implique donc que nous fassions les choses correctement, puisque que je parte dans quelques jours ou semaines d'ici, Winona devra aller au bout de notre entreprise, afin de ne pas éveiller de soupçons.

Cette fille est un ange tombé du ciel.

De frustration et d'un revers de la main, je balaie et envoie un peu balader tous mes outils de travail : stylos pailletés qui sentent les fruits, bouts de papier éparpillés, et les quelques photos que j'ai imprimées à Spring City sur une borne dans un supermarché. Un vrai, un grand, avec des allées où deux caddies peuvent se croiser, des vigiles et des longues files d'attente en caisse. Ici, il n'y a que la supérette et la station-service d'Emmett. Je suppose que beaucoup de Lakiens profitent de leurs allers-retours dans la grande ville pour remplir leurs débarras, pour autant, l'économie locale semble bien fonctionner.

Winny m'a d'ailleurs parlé d'une coiffeuse qui a un salon chez elle, mais qui propose également ses services à domicile. Je commence à me dire qu'un petit coup de frais ne me ferait pas de mal. Mes cheveux ont poussé, je n'aime pas les attacher, mais la canicule ici me laisse rarement le choix. Et puis, ma coloration ternit vite avec le soleil.

Sur cette pensée esthétique, je rassemble mon bordel mais prends une minute pour détailler les petits carrés de papier glacé. J'ai choisi des formats polaroids, parce que c'est ce que je préfère. Je ne sais pas trop ce que j'en ferai, de tous ces sourires. Ceux de Winny et Bella, se regardant nez contre nez, telles deux sœurs espiègles aux couleurs de cheveux opposées. Celui de Bella et ses grands yeux noisette qui transpirent toujours une gentillesse qui m'émeut, et aussi un cliché que je leur ai volé, à elle et Gary, alors qu'ils se tenaient tendrement la main dans la roseraie. J'en ai d'autres, de bikers qui vivent ici et qui ont pris la pause, de paysages, de roches, juste pour me souvenir de leur couleur. Du bout du doigt, j'effleure le rocher comme si je le palpais vraiment, puis me fous une claque mentale et remets tout à sa place quand une silhouette dure comme du roc s'infiltre devant mes yeux. Je peste des trucs pas jolis-jolis pour sa Seigneurie en français, mais ça me fait un bien fou. D'ailleurs, j'espère que ses oreilles sifflent d'un hurlement strident, à ce gorille mal luné, et que ses tympans saignent, aussi.

Un quart d'heure et une épilation en règle plus tard, ma douche ne m'a pas calmée, j'ai même l'impression que plus les minutes filent, moins je me sens apaisée. Le souvenir du visage tuméfié de Diesel me donne des envies de meurtre ou plutôt, ne supprime pas celles que j'avais déjà en tête. Un paquet de scénarios dans lesquels Titàn joue le premier rôle, menotté, mais absolument pas pour le conduire sur le sentier de la félicité. Non, là, il y aurait des cris de douleur et des pardons à gogo. Pour m'avoir abandonnée à Paris, d'abord.

Je pense toujours que c'était le mieux à faire, mais une partie de moi lui en veut, probablement la petite orpheline qui n'arrive pas à accepter que tous ceux à qui elle s'attache finissent par lui tourner le dos, de gré ou de force.

SAUVAGESWhere stories live. Discover now