𝟺𝟻 - 𝙲𝚘𝚖𝚖𝚎 𝚞𝚗𝚎 𝚍𝚎𝚛𝚗𝚒𝚎̀𝚛𝚎 𝚏𝚘𝚒𝚜. ♥

2.7K 369 134
                                    

𝐑𝐨𝐬𝐞.

    Nous restons dans cette position de deux adversaires en plein conflit plusieurs secondes. Ma poitrine vibre mais le froid ne m'atteint plus, seules les gouttes dégoulinantes de mes cheveux me rappellent où nous sommes. Toutes mes pensées sinueuses et douloureuses s'en donnent à cœur-joie là-haut, tandis qu'une petite voix dépassée tente de mettre de l'ordre au chaos et qu'une autre compte la mesure du temps qui file. Sur la partition clandestine que nous jouons depuis trois mois, je sais que nous arrivons bientôt en bas de la page. Je sais aussi que nous devrions fuir, vite, que chaque minute perdue ici laisse la possibilité aux Red de nous retrouver car tout compte fait, qui sait réellement jusqu'à quel point ils sont renseignés ?

    Pourtant, dans l'eau inhospitalière de ce lagon artificiel qui a élu domicile à l'intérieur même d'une falaise, nous ne bougeons pas.

    Respirons-nous ?

— Et deuxièmement ? l'incité-je à poursuivre ses réprimandes, brisant le faux silence.
— Tu ne me fais plus un coup pareil, Rose, m'ordonne-t-il. Si je te dis de courir, tu cours et tu ne regardes pas derrière toi. Si je te dis de sauter, tu sautes.
— Et si MOI, je te dis que je refuse que tu meures juste pour que je détale seule, on fera quoi, Titàn ? On tirera à la courte paille au risque de devenir deux belles passoires ensemble ? Comme c'est mignon !
— Pourquoi tu ne peux pas juste faire ce que je dis ! rétorque-t-il dépourvu de patience.
— Parce que je n'ai pas prévu d'assister à d'autres funérailles cette année ! le coupé-je dans un sanglot aigu, le poing frappant deux fois son sternum. J'ai perdu ma mère et mon père, Titàn ! Ash est je ne sais où quand Roméo fait je ne sais quoi ! Ma meilleure amie, la seule que j'ai, je l'ai laissée à Paris et elle me manque chaque jour pendant que j'enquête sur un passé qui n'est pas le mien et sur un meurtre dont la Police se fout royalement pour apaiser une part de mon cœur qui se sent seul du matin au soir, orphelin de ce qu'il a eu, orphelin de ce qu'il ne sera plus : l'enfant de parents aimants ! J'ai eu vingt-cinq ans à l'autre bout du monde... si loin de ce que j'ai connu... de qui j'étais. J'ai tout lâché parce que sans eux, je ne savais plus où aller... comment faire. J'ai eu vingt-cinq ans en cherchant qui ils étaient et je touche du doigt ce qu'ils nous cachaient, enfin ! J'ai eu vingt-cinq ans sans eux, tu m'entends !

   J'ai eu vingt-cinq ans sans Ashton, et loin de Roméo.

— Je sais, passe-t-il une main à l'arrière de ma nuque pour me consoler, ses grands doigts s'étalant de toute leur envergure telle une pieuvre, massant mon cuir chevelu avec encore et toujours la même tendresse qui me fait mal, tant elle crie ce qu'il s'évertue à nier.
— J'ai eu vingt-cinq ans sans eux, Titàn, continué-je en dehors de ma tête, traversée par ce fait trop véridique pour mes nerfs, vingt-cinq ans et amputée de toute ma famille en même temps. Même dans mon pire cauchemar je n'aurais pas pu imaginer ça, tu comprends ? Alors non, je ne vais pas fermer les yeux pendant que tu cours au suicide, tu peux te carrer ton idée bien profond parce que ça, ça n'arrivera pas ! Hors de question que tu sabotes tout !

   Difficilement mais parce qu'il le faut, parce que je préfère être celle qui opère le geste que celle qui le subit, je me détache de sa prise – mais rien à faire pour l'emprise que cet homme a sur moi sans le savoir. Je recule sans lui tourner le dos pour sortir de l'eau, m'éloigne de la torche pour rejoindre l'ombre. Je ne retiens plus mes larmes acides, celles qui sont pourtant incapables d'effacer ma peine, mes maux. Je sais qu'il avance, qu'il bat l'eau avec de grandes enjambées, même les yeux fermés.

— Tu es bornée !
— Merci ! réponds-je fièrement. Ta mère devrait être satisfaite que je le sois, non ? Tu penses à elle, Titàn ?
— MAIS ELLE SAIT ! se met-il à crier et à faire trembler la grotte. Ma mère accepte ce que je suis, elle !
— Tu te mens ! Oh bordel, tu te mens tellement ! ris-je hystérique et tremblante en pleurant toujours, les mains sur mes lèvres. Aucune mère n'accepte ça, non. Aucune mère n'accepte de se lever le matin en se disant que le soir elle sera peut-être en train de pleurer son enfant, dans quel monde chimérique est-ce que tu vis !? Tu étais peut-être prédestiné à régner sur ton Royaume, Tarzan, mais ta mère ne t'a certainement pas mis au monde pour assurer la relève comme si tu n'étais qu'une marchandise et elle, un four pour le MC, OK ? Elle ne t'a pas porté neuf mois pour prononcer ton oraison funèbre, encore moins avant que tu n'aies eu trente-cinq ans et pour sauver UNE. SEULE. VIE !

SAUVAGESWhere stories live. Discover now