SAUVAGES | En pause jusqu'au 6 octobre 2024

𝟷𝟿 - 𝙿𝚊𝚜𝚜𝚎́ 𝚎𝚝 𝚙𝚛𝚎́𝚜𝚊𝚐𝚎𝚜.

𝐓𝐢𝐭𝐚̀𝐧.

J'ai beau siffler encore et encore, Zeus n'en fait qu'à sa tête. Je sais qu'il m'entend, mais mon « veau », comme dit Naya, a visiblement mieux à faire que de m'obéir.

Bah tiens ! Faut croire qu'avec lui aussi, je vais devoir serrer la vis.

Mon têtu d'Akita a profité que je le laisse aller se soulager cinq minutes pour me filer entre les pattes. Sauf que voilà, mon pépère a un rôle à jouer dans la cérémonie et loin de moi l'envie de contrecarrer les plans de ma blonde enquiquineuse aujourd'hui. Ses hormones sont pires qu'un des virus qu'on voit dans les séries apocalyptiques. J'aurais apprécié que sa grossesse la rende simplement lunatique mais non, elle non plus ne fait jamais rien comme tout le monde. Naya est juste encore plus casse-burnes que d'ordinaire et ça, ça relève grandement de l'exploit quand on connaît le phénomène aussi bien que moi.

Dire qu'elle va probablement transmettre son caractère au bébé qu'elle porte...

Ashton est définitivement fou et pourtant, il en tient lui aussi une sacrée couche, niveau tempérament. Mais possible que le jour où sa femme ne verra plus ses pieds, il prenne ses jambes à son cou pour se terrer au QG. Et je le comprendrai sans le blâmer.

Pour l'heure, je mets la gomme et cherche mon chien en espérant lui mettre la main dessus rapidement. Mais plus je l'appelle et moins j'y crois.

— Zeus sérieux, c'est pas le jour de chasser les taupes mon gros !

Rien.

Je tire longuement sur ma clope en savourant toutes ses saveurs cancérigènes dont j'avais réussi à me passer depuis des mois, puis mon téléphone de ma poche. J'envoie un SMS à Deacon pour vérifier s'il ne l'aurait pas trouvé en se rendant dans le Cercle Sacré, lieu-dit de Summer Creek où se déroulera la cérémonie. Il me répond illico qu'Atlan s'est aussi fait la malle et d'aller voir vers chez ses parents. Ils leur auraient mis quelques os à moelle sur le perron ce matin.

Génial.

Je fais donc un dernier tour, m'aventurant jusqu'à la limite à ne pas franchir pour les hommes : la zone de la Réserve où la mariée et ses copines se préparent, mais toujours rien. Seul un putain de silence me répond. Je devrais profiter de ce moment d'accalmie pour faire un point nécessaire sur la situation pourtant, je range encore l'imbroglio dans un coin. J'ai parfaitement intégré ce que tout le monde me répète telle une vieille stéréo rayée : il n'y a aucune chance que Rose « classe l'affaire » comme on range sagement un bouquin dans une bibliothèque.

La vraie question est donc : est-ce qu'au moins, mon intrépide petite tigresse me laissera m'expliquer le jour où nous nous retrouverons face à face ?

— Zeus, nom d'un chien ! Viens ici !

— Il est parti avec Aya. Il est entre de bonnes mains. Atlan aussi.

Un instant plus sûr que cette voix ne fut pas le fruit de mon imagination, je tourne sur moi-même pour en trouver le propriétaire. Dans un costume entièrement noir, chemise comprise pour respecter le dress code imposé – Wakan soit loué, la cravate ne l'est pas –, Gary se tient adossé contre un arbre portant les initiales de Lonan et Summer, dans un cœur gravé à la lame. Impossible qu'en plus de vingt-cinq ans rien n'ait bougé. Il doit passer par-là régulièrement avec un couteau, comme pour garder intacte cette relique d'un amour passé, que le destin a fauché trop tôt. Un amour qui a donné naissance à une petite fille qu'il n'a que peu connue au-delà de quelques photos.

Les mains dans les poches, Gary sort de l'ombre qui le masquait. Le regard dubitatif qu'il coule sur moi, empreint de tristesse malgré lui, me fait mal. Je sais qu'il me jauge mais ne me juge pas. Plus. Il est probablement l'un des seuls, d'ailleurs, mais je suis infoutu de supporter le poids de sa propre douleur que nul ne peut ignorer. Elle m'éclabousse même de loin. La mienne est déjà immense, colossale. J'atteindrai bientôt la limite que je ne parviens plus à repousser.