𝟹𝟾 - 𝚂𝚑𝚘𝚠 𝚢𝚘𝚞 𝚠𝚑𝚘 𝚠𝚎 𝚊𝚛𝚎. Partie 1

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𝐑𝐨𝐬𝐞.

Je sais avant même d'ouvrir les yeux que je suis seule dans ce grand lit. Le bras droit mollement fléchi, je papillonne des paupières en palpant la place vide dépourvue de chaleur humaine. De sa chaleur à lui, qu'il partage chastement depuis cinq nuits que nous avons investi les lieux.

— Titàn ?

Ma voix ensommeillée ne m'est pas d'un grand secours. Supposant qu'il s'est discrètement levé pour utiliser les toilettes, je reste lovée sous l'épaisse couette, plus moelleuse qu'un nuage de plumes emballé dans un duvet de soie. J'inspire à pleins poumons la fragrance de ma nouvelle sérénité, mélange subtil d'une odeur de gel douche musqué, de peau masculine et de notes d'amour.

Oui, Rosie, tu baignes dans un océan d'hormones de l'amour.

Les minutes qui suivent, mon esprit vagabonde dans mes souvenirs des derniers jours. J'ai redécouvert l'homme doux et attentionné aux mots parfois crus pour qui j'avais commencé à développer des sentiments lors de sa première visite à Paris. Persuadée que mon isolement prolongé me jouait un mauvais tour, je refusais l'évidence, que j'ai d'ailleurs ensuite viscéralement niée après que la mort n'a pas voulu de ma carcasse : Titàn et moi, on n'est pas des amants maudits. On est simplement des amoureux maladroits, couronnés de tempéraments aussi impulsifs que nos sentiments sont impérieux. Dans son malheur, mon âme souillée du sang des absents, effeuillée de son innocence, puis enhardie par l'incandescence belliqueuse d'une envie vengeresse, a été bénie d'une âme jumelle et d'une âme sœur. Ashton et Titàn sont mon soleil et ma lune, les astres indispensables à l'équilibre qu'il me faut pour ne plus trébucher.

Main dans la main, nos écharpes autour du cou et nos bonnets en laine sur le crâne, on a bravé les flocons, les touristes et les Parisiens bougons comme si la plus belle ville du monde nous appartenait. On a flâné, ri, parlé, couru après le temps perdu, réclamé toujours plus de pâtisseries à Marion, d'huile de coude aux garçons... et conseillé à Iris de moins baver sur Reed, la nouvelle recrue des DEL, au corps tatoué et au cœur visiblement amoché.

On pouvait toujours tenter...

Les tensions entre mon titan et ma meilleure amie s'apaisent, bien que les deux volcans se plaisent à s'envoyer quelques piques, ici et là. Presque toutes les occasions sont bonnes – trêve toutefois consentie aux heures de repas. Iris parfait son anglais tandis que Titàn s'entraîne à quelques phrases en français. Ils se chamaillent avec leurs mots, avec leurs yeux et avec leurs rictus en coin un brin sataniques, mais je crois surtout que c'est leur manière de s'avouer que malgré toutes les différences et divergences d'opinion sur le passé, ils se respectent et regardent vers l'avenir, pour moi.

Au bout de ce qui ressemble à une petite éternité, je quitte mes songes pour rejoindre le présent. Le titan au torse orné de mon prénom n'est toujours pas revenu. Le corps fourbu d'engourdissements, je roule sur le flanc pour m'extraire de mon cocon douillet. Dans la pénombre, je baille aux corneilles, manque de trébucher sur ma paire de bottines mal rangée puis de glisser sur un emballage de M&M's vide.

Disons que je suis mauvaise au lancer d'objet dans une poubelle, mais je m'améliore. Parfois.

Aucune lumière ne filtre sous la porte de la salle de bain. Je toque deux petits coups, j'attends. Sans réponse, j'abaisse la poignée dont le contact frais dans ma paume me provoque une nuée de frissons dans tout le corps.

— Titàn ?

Allongé dans la baignoire, mon casque audio sur les oreilles et avec pour éclairage sommaire deux des bougies parfumées achetées hier dans le Marais, Titàn ne bouge pas d'un iota. La nuque calée sur le repose-tête, son coude droit repose sur le bord de la faïence grise. Il ne m'a pas remarquée. Je guette d'abord le moindre mouvement à travers l'entrebâillement de la porte. Les flammes de mes deux grosses bougies d'inspiration hammam, posées au sol, valsent dans leur verre bleu. Leurs ombres ondoient sur le plafond blanc telles deux danseuses du ventre en pleine représentation. Titàn semble si paisible que j'hésite à entrer. Le doute s'évapore en une seconde, mes chaussettes en mohair m'offrent la même discrétion de déplacement que les coussinets d'un chat.

SAUVAGESWhere stories live. Discover now