SAUVAGES

𝟿 - 𝙻𝚎 𝙲𝚕𝚊𝚗

Titàn.

     Les cheveux encore humides de la douche froide que je me suis octroyée dès que j'ai eu un pied posé chez moi, j'enfile mon t-shirt et attrape au hasard l'un de mes jeans dans la penderie. Ils sont presque tous noirs, alors peu importe. Il s'agit juste de ne pas avoir le cul à l'air dès le début de la soirée. Mais j'espère l'avoir avant de rentrer pioncer.

     Pas longtemps, juste le nécessaire.

     Je dis « début de soirée », mais il est plus de vingt-trois heures. Pourtant, la journée n'est pas  terminée. Elle ne le sera officiellement qu'une fois le débriefing fait avec les gars. Le réveil promet d'être rude demain, mais pas le temps de pleurnicher sur le sort de mon sommeil. Comme dirait mon paternel « tu dormiras quand tu seras mort ».

     Cette pensée morbide me tire un rictus douloureux et me ramène à notre putain de réalité cauchemardesque. Je déteste devoir organiser des obsèques, mais je sais que malgré toute la patience et la hargne que nous déployons depuis des semaines pour éviter un bain de sang, on risque de ne plus pouvoir fuir le frontal sous peu. Je ne suis pas contre un bon règlement de comptes d'habitude, même si j'essaie de ne pas en arriver là, mais cette fois, il y a un poids dans la balance qui freine nos ardeurs vengeresses. Ça va trop loin.

     C'est déjà allé trop loin.

     J'ai déjà imaginé des centaines de scénarios de moi en train de torturer jusqu'à ce qu'ils me supplient de les abattre comme les chiens de l'enfer qu'ils sont, chaque membre des Red. Un sentiment de délectation face aux images qui se glissent dans mon crâne fout un coup de pied à ma morosité. Je passe un pouce sur mes lèvres en hochant la tête tout seul face à ma porte d'entrée, visualisant la tronche ensanglantée de leur enfoiré de meneur entre mes mains juste avant de lui exploser la tête.

     Ouais, je terminerai par lui. Je veux qu'il voie son gang de mercenaires qui se cachent sous des blousons aux écussons et n'arrangent en rien la réputation des MC dans l'État, se réduire sous ses yeux et ses oreilles, entre bruits sourds de balles tirées et craquements d'os et d'articulations. Le tout dans une symphonie de cris de calvaires. Jusqu'à ce qu'il ne reste plus que lui face à l'allégorie de son trépas : moi. Cet enfoiré est à moi.

     Sur la route pour rejoindre les gars, je scanne mentalement tous les points que j'ai à aborder en priorité. Faut qu'on aille à l'essentiel ce soir pour nous détendre après en mettant les merdes de côté ; si c'est possible. Le reste pourra attendre demain la réunion au QG. Le ronronnement de ma bécane me berce. Son rugissement quand je monte dans les tours est une berceuse à mes oreilles. J'en ai besoin. La dernière virée a été intense, putain. J'avais prévu un rythme soutenu pour ne rien négliger et tout faire, mais c'était au-delà de toutes prévisions.

     Si Canyon Lake ressemble à une petite ville isolée habitée par des bandes de marginaux pas tous fréquentables et leurs familles, le territoire réel est bien plus étendu que la cartographie officielle. Et puisque nous sommes en période de guerre, la protection est notre priorité. La raison de notre existence, et celle qui nous fait nous lever le matin, quelle que soit la manière dont on s'est couchés la veille.

     Le bercail ¹ est comme une prairie courant sur plusieurs vallées : la bergerie est le centre, mais elle ne fait pas le fermier, et sa taille à première vue ne suppose en rien de la puissance de son occupant. Les délimitations de la ville que sont les panneaux d'entrée et de sortie ne sont pas nos limites. On laisse les étrangers qui s'aventurent ici, bien que rares, croire qu'ils ont mis les pieds dans un western des temps modernes, avec des bikers en guise de colons faisant figure d'autorité en plus du shérif, qui font leurs lois, et ont élu domicile ici pour faire leurs affaires en toute discrétion. Un MC grandeur nature. L'important dans ces cas-là, c'est la façade, pas ce qui se trouve à l'intérieur.