𝟸𝟷 - 𝙵𝚘𝚞𝚕𝚎 𝚍𝚎 𝚖𝚊𝚞𝚡.

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𝐑𝐨𝐬𝐞.

Je savais que les choses ne seraient pas simples. Que réserver un billet d'avion, même avec les doigts mal assurés au-dessus du clavier et la vue brouillée, serait la partie la plus facile de cette expédition. Les filles m'avaient prévenue quand elles ont débarqué à Paris et m'ont parlé de leur projet. Mon cœur aussi.

Leur objectif un peu fou.

Je n'ai pas reculé. Ni quand ma psy a entrepris de me préparer au mieux pour tout ce que j'allais ressentir, revivre, ni quand mes cauchemars se sont amplifiés. Ni quand préparer ma valise m'a donné l'impression de suffoquer, alors qu'au fond de moi, je savais que c'était une étape obligatoire sur la route de ma guérison. Quant aux étapes sur l'itinéraire du deuil, j'ai filé des cheveux blancs avant l'âge à ma thérapeute. Un pas en avant puis deux en arrière. Je suis un cas d'école ; encore. Elle aussi a jugé que ma douleur émotionnelle était au moins aussi vive que la physique, ce à quoi j'ai répondu, à l'issu de notre première séance :

— J'espère que vous n'avez pas fait toutes ces études pour ce simple diagnostic, que même mon chien pouvait poser les yeux fermés.

Enfin, celui de l'homme dont le nom est banni du vocabulaire 90% du temps.

Elle n'a pas souligné mon cynisme rutilant, juste rajouté quelques mots sur son bloc-notes, ce bout de papier qui synthétise mes pires maux, ceux estampillés sur ma peau abîmée, et ancrés tout là-haut. La jeune femme brune à la coupe à la garçonne s'est en fait révélée être ce qu'il me fallait : deux oreilles pour m'écouter, un cerveau bien formé pour savoir quand intervenir, quand me laisser comprendre les choses par moi-même. Une inconnue parfaitement extérieure à tout ça, qui ne pouvait pas me dire que je devais faire les choses pour Summer, Ashton, ni qui que ce soit. Juste moi.

Tous ses diplômes fièrement exposés sont justifiés. Son obligation au secret professionnel ne m'a toutefois pas permis de tout lui livrer. Je garde certaines informations pour moi, pour la protéger elle, pour les protéger eux.

Parce que même si j'ai déjà tout donné, je ne sais pas faire autrement.

Des jours de préparation mentale, mais aussi physique. Show must go on a pris tout son sens, je n'ai pas ménagé mes efforts, me pliant en douze pour la blonde qui a su conquérir le cœur de ma moitié. Alors oui, je savais que les choses ne seraient pas simples. Mais même en envisageant tout, j'étais loin du compte. Parce qu'en moi tout se dispute : ma tête qui sait ce que je dois faire, mon corps qui freine parfois des deux pieds, encore traumatisé, et mon cœur qui se déchire un peu plus entre les deux. Il ne joue pas les arbitres, il tente simplement de sauver sa peau ; ou ce qu'il en reste.

Le décollage de Roissy a été une épreuve, alors que j'avais quitté la maison plus déterminée que jamais. Le vol : une remise en question de ma décision. Mon escale de trois heures à New York : une ultime possibilité de faire demi-tour. Atterrir à Denver : un calvaire mental et cardiaque. Et pour la première fois, j'ai apprécié que trois DEL me suivent comme mon ombre. Dès que je me sentais sur le point de basculer, je n'avais qu'à trouver leurs carrures ou le logo des Lions sur leur cuir pour me rappeler que je ne peux pas abandonner. Ni pour moi ni pour eux. J'ai des comptes à régler avec Canyon Lake Valley, celui qui dirige tout... et avec ma petite personne. Sawyer contre Sawyer. Ou peut-être Sawyer contre Newton, allez savoir.

Je ne veux pas retrouver ce que j'ai perdu, simplement faire un deuil qui, à distance, était illusoire. Et j'ai fini par comprendre que je ne pouvais pas ne pas être là.

Pour Ashton, pour moi, pour notre 1 + 1 = Moi, 1 + 1 = Toi.

Ce matin, après trois jours passés à Denver loin des yeux et des oreilles de La Haute, il était temps pour moi de poursuivre mon chemin. L'enterrement de vie de jeune fille de Naya avant-hier m'a laissé des séquelles, rien de suffisamment puissant pour invalider ce qui m'attendait aujourd'hui. J'ai versé toutes les larmes de mon corps face à la petite station-service d'Emmett. Il fallait que je m'arrête, que je la voie comme pour le revoir lui, comme pour revivre notre première rencontre, alors il savait déjà qui j'étais. J'aurais aimé qu'il me raconte tout ce qui lui est passé par la tête, s'il a essayé de prévenir Bella que j'arrivais, qu'il me parle de Lonan, aussi.

SAUVAGES (retrait en avril 2024)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant