SAUVAGES

𝟹𝟷 - 𝚂𝚒 𝚙𝚛𝚘𝚌𝚑𝚎 𝚍𝚞 𝚙𝚊𝚜𝚜𝚎́.

𝐑𝐨𝐬𝐞.

Winny avait tort sur ce coup et je regrette qu'elle ait dû nous abandonner Aya et moi, juste avant que nous ne quittions La Réserve. Bella l'a appelé pour aller l'aider à la Pension. J'ai bien voulu leur prêter main forte moi aussi mais je me suis faite joliment rembarrée.

Après plus d'une heure de quad – et une longue hésitation à monter sur cet engin qui ne m'inspirait pas –, puis une pause pique-nique bien méritée, nous venons de marcher ce qui me semble être huit jours, sous, toujours, un soleil de plomb. Et la surveillance d'Isaiah, un biker d'une cinquantaine d'années tout aussi tatoué que ses frères.

Isaiah est sympa mais plutôt du genre taciturne, guettant sans cesse les alentours. Ma main à couper qu'il ne s'attendait pas à jouer les baby-sitters en pleine cambrousse lorsqu'il s'est levé ce matin. Ni à cheminer en plein cagnard.

Moi non plus.

Je ne me suis jamais plainte à Paris de devoir utiliser mes jambes et je préférais souvent éviter les rames de métros et tout transport en commun. Mais ici je fris et je goutte, le sable volant dans le brin d'air brûlant se collant sans autorisation sur chaque parcelle de ma peau à nue. Puisque je suis en short et débardeur, que le casque de quad m'a fait transpirer par le crâne et les oreilles, je peux affirmer que je suis plus sablonneuse qu'une bétonnière sur un chantier. Il me semble en plus que les deux couches de fond de teint dont je me suis tartinée en plus de ma BB crème pour camoufler mon bel hématome coulent sur moi comme un sorbet en plein soleil.

Autant dire que si ce n'était pas pour voir de mes yeux où mon père a pris cette photo et me tenir exactement là où il était bien avant ma naissance, et nul doute ma conception, je serais en ce moment en train de barboter gaiement dans la piscine de Diamond Bar avec un jus de fruit pressé et les orteils en éventail !

Je rêve d'un éventail.

— C'est encore loin votre truc ? bougonne Isaiah dans notre dos.
— Un biker sans sa moto c'est comme Caramel sans sa gourmandise, rigole Aya pour le tacler.

Je pivote vers elle en frappant dans mes mains, puis dans les siennes pour la féliciter. Bordel, elle est trop géniale ! Je crois que Winny et moi avons contaminé cette enfant avec nos conneries.

Wayne va me zigouiller mais ça vaut le coup !
Titàn ne doit plus apprendre que je la dévergonde... ou il va me punir. Je devrais peut-être confesser ce péché... pour qu'il me punisse à son retour.

— T'as de la chance d'être la gamine de Liberty, toi, réplique-t-il de sa grosse voix.
— Oui, mais tu as aussi peur d'Austin, le toise-t-elle du haut de son mètre quarante.
— Tu crois ça ? sourit-il l'air amusé à la coquine en croisant ses bras sur son torse.
— Oui. Il sera bientôt de retour, en plus. Et tonton Tyee n'aime pas qu'on m'embête non plus ! C'est interdit !
— Tu t'avances un peu trop, gamine. J'ai jamais rien lu de tel dans le règlement du MC.
— Peut-être devriez vous relire alors, badiné-je en entrant dans le jeu. Parfois le plus important se trouve entre les mots. Et vous faire tatouer les termes qui sont sujets à carence dans votre groupe de gros bras, il doit bien vous rester de la place quelque part non ?

J'arque un sourire encore plus grand, envoie un clin d'œil de connivence à ma petite accompagnatrice et poursuis :

— Votre meneur devrait pouvoir vous faire une lecture privée sur le sujet. Et puis je suis convaincue que des petites modifications dans votre Bible seraient de mise, histoire de vous mettre à l'ère du temps. Vous savez ? Féminisme et tout ça. Le machisme c'est has been. Parité, égalité et tout le tralala.

Et mettre à la page les bonnes manières tant qu'on y est, me dis-je.

— Eh t'es véto ma petite, pas législatrice. Encore moins meneuse ! Et les nanas ne décident pas. Non mais manquerait plus que ça !
— Sans les nanas, vous seriez bien embêtés !
— Oui d'abord ! Qui ferait vos lessives ? Hein ? le questionne Aya. Et vos repas ? Parce que Nokomis est une fille, Isaiah !