𝟺𝟸 - 𝙴𝚗𝚝𝚛𝚎 𝚂𝚎𝚒𝚗𝚎 𝚎𝚝 𝙲𝚘𝚕𝚘𝚛𝚊𝚍𝚘.

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𝐑𝐨𝐬𝐞.

     Je crois qu'aujourd'hui, tous mes mouvements sont inconscients, répétitifs, machinaux. Je me fais l'effet d'une automate mal huilée qui grince à cause de mes reniflements continus, un pantin mélancolique qu'on pourrait tout de même poser dans une vitrine de magasin. J'ouvre un carton, en vide son contenu, et recommence avec un autre. Plus le fouillis s'accumule, plus je rouspète de ne pas trouver ce que je veux.

     Je me suis réveillée il y a vingt minutes dans ma chambre, toujours chez mes parents, Iris lisant un vieux bouquin qui devait trainer quelque part. J'ai décidé que je ne pouvais pas partir sans avoir trouvé ce que j'étais venu chercher, et que je n'ai pas dans mon petit box du sous-sol de mon immeuble : nos albums photos, qu'Orélia m'a dit être persuadée de ne pas avoir.

     Alors je vide, perquisitionne minutieusement, pleure de plus belle en tombant sur des objets dont la valeur n'est que sentimentale, ce qui n'ont pas été cassés. Quoi que même ce qui l'a été a été mis de côté, emballé en signe de fragilité à mes yeux, comme le bouledogue en porcelaine grandeur nature et bariolé de jets de couleurs que mes parents adoraient. Il a été brisé. Je le ferai recoller. Il ne sera plus jamais neuf, mais à l'image de mon cœur il sera rempli de cicatrices bien visibles, pour raconter ce qui lui ai arrivé.

— Arrête ça, gronde soudain froidement une voix dictatoriale et mordante.

— Laisse-moi tranquille.

— Arrête ça Rose.

— Ben...

— Ne t'en mêle pas Iris, la réprimande-t-il. On a déjà eu cette discussion qui ne mène à rien, nous ne tomberons pas d'accord.

     Il repose les deux sacs cabas en papier, notre déjeuner qu'il était allé chercher pour ne pas pâtir des trop longs délais de livraison annoncés.

     Les meilleurs sushis du coin, en même temps...

     Roméo avance vers nous, les yeux plissés, l'œil sévère. Il s'apprête à parler mais se fait couper l'herbe sous le pied :

— Et ça ne veut pas dire que tu as raison et moi tort ! lui réplique ma copine qui vient faire front à mes côtés, le regard acéré. Ce n'est pas parce que ton boulot te permet de régenter à gogo qu'il faut que tu appliques ça dans ta vie perso, et surtout, dans celle des autres !

— C'est entre Rose et moi, Iris, siffle-t-il entre ses dents serrées.

— Ne parlez pas de moi comme si je n'étais pas là, vous deux !

— Va retrouver ta Juliette, Roméo, contre-attaque la brune au sang chaud. On ne fait rien de mal...

— Tu l'aides à creuser, Iris ! Ouvre les yeux, regarde-là ! rage-t-il les yeux grands ouverts en me désignant du doigt. Il faut qu'elle avance ! Il faut qu'elle fasse son deuil, ses deuils, il faut qu'elle guérisse, pas qu'elle s'enferme dans une putain de case de ce putain de calendrier pourri, bordel de merde ! Retiens-là et arrête de la pousser dans ses conneries revanchistes ! Elle a besoin d'aide ! Elle va...

     Il jure puis se tait. Il fait craquer ses doigts, ses yeux oscillent entre elle et moi, comme s'il réfléchissait à quel combat mener en premier. Chaque mot était un coup de poignard. De nouvelles larmes roulent sur mes joues. Parce que j'ai mal, et que je sais que lui aussi, à sa façon. Mais j'ai mal qu'on en soit là, lui et moi, nous opposant, chacun dans un camp, adversaires.

     Je l'aime mais je bous à vouloir crier de nouveau, plus de tristesse que d'irritation. Ça va péter, mais pas entre Roméo et Iris. Entre nous. Le choc de deux cœurs qui ont grandi ensemble et qu'un drame trop grand pour eux est en train de séparer. Que l'incompréhension enterre sous le poids du « trop c'est trop ».

SAUVAGES | En pause jusqu'au 6 octobre 2024Tempat cerita menjadi hidup. Temukan sekarang