𝟸𝟼 - 𝙽𝚘𝚝 𝙱𝚛𝚘𝚔𝚎𝚗 𝙹𝚞𝚜𝚝 𝙱𝚎𝚗𝚝.

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𝐑𝐨𝐬𝐞.

L'air me manque. Je suis essoufflée, soufflée, presque épuisée, pas mal sonnée. Je gondole, au cœur d'une bourrasque vertigineuse que j'ai moi-même invoquée. En file indienne, le reste de mon argumentaire n'attend que d'être énoncé ; il faut que ça sorte. J'ai besoin d'alléger mon sac, ce bagage émotionnel trop lourd pour moi toute seule, mais que l'homme que j'aime n'est pas prêt à m'aider à porter. Pas près de le faire.

Et ce cœur meurtri qui me souffle, entre deux pulsations irrégulières, qu'il tient bon.

Envers et contre nous.

Je pourrais me cloîtrer dans ma bulle comme je sais si bien le faire, verrouiller mes mots, me laisser aller à ma déprime, mes idées noires, mes souvenirs encore plus lugubres. Songer à comment lui faire payer encore plus cher son abandon, toutes les blessures psychiques qu'il m'a infligées consciemment ou non, mais j'ai décidé que l'un de nous devait se jeter à l'eau, montrer l'exemple, rugir pour se faire entendre ; s'époumoner pour se faire comprendre. Quelle que soit l'issue, je sortirai d'ici plus légère, même si c'est plus abîmée.

Un silence de plomb a pris possession de la Chapelle, ou bien est-ce mes cris qui résonnent encore dans ma tête et m'empêchent d'entendre autre chose : le monde qui continue de tourner même si en moi, ça s'effrite, ça s'effondre ; pour, j'espère, mieux me reconstruire. Titàn, lui, me regarde comme s'il me voyait pleinement pour la première fois. J'en ai des frissons. Les garçons avaient déjà deviné, Jude me l'a dit en faisant son possible pour ne pas me mettre mal à l'aise. Diesel a été le premier à comprendre, il y a des mois, avant même que je ne mette moi-même des mots sur mon attachement envers l'insaisissable, l'intraitable, l'irréductible, le presque intouchable mais plus si impassible grand lion ; les bons mots.

— Je sais que tu ne m'avais rien promis, continué-je, ébranlée par ma propre déclaration à cœur ouvert et âme balafrée, que tu m'avais avertie que ta vie, c'est ce Clan. Tous ces hommes, toutes ces femmes, pour qui tu te lèves chaque matin, qu'il n'y avait aucune place pour qui que ce soit d'autre dans ton paysage... mais...

Mon cœur t'a choisi.

Envers et contre toi.

— ...je ne t'ai pas demandé de venir me chercher, à ce que je sache ! Je t'avais même interdit de le faire !

— Et tu croyais que j'allais accepter ça !? enrage-t-il lui aussi, les deux mains fourrageant sa tignasse. Tu me connais mieux que ça !

— Il faut croire que je me suis trompée, tu vois, ironisé-je. J'ai bien saisi que tu ne veux pas de moi, OK ? Mais c'est toi qui as ordonné à Stone de ne pas me laisser mourir en paix !

— Arrête tes conneries, Rose... tonne-t-il d'un timbre sourd, en inspirant tel un bœuf se retenant de charger. Putain ! Arrête de dire autant de conneries !

Je n'étais déjà pas docile, avant. Je le suis encore moins maintenant que je connais toute la vérité. Tout ce qu'on m'a caché durant vingt-cinq années. Je redresse un peu plus le menton tandis que ma tension s'élève, que ma muraille d'imperturbabilité se fait la malle en grandes pompes. Mais ma désinvolture va bien réussir à fissurer son armure.

— J'avais bêtement imaginé que puisque je vais passer le reste de mes jours à me doucher dans le noir, à m'habiller dans le noir, à porter des cols roulés mais plus jamais de shorts ou des dos nus, que je n'irai plus jamais me baigner dans l'océan ni plonger nue dans Shà River, que je porterai jusqu'à ma mort les stigmates des coups que j'ai encaissés pour vous, pour toi, les brûlures qui ont marqué mon âme... puisque chaque nuit je revivrai ce cauchemar... tu me ferais au moins cadeau de ton respect. Mais même ça, tu ne me l'accordes pas.

SAUVAGESWhere stories live. Discover now