𝟺𝟶 - 𝙱𝚒𝚎𝚗 𝚜'𝚎𝚗𝚝𝚘𝚞𝚛𝚎𝚛.

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𝓙͟𝓾͟𝓲͟𝓵͟𝓵͟𝓮͟𝓽͟.

𝐑𝐨𝐬𝐞.

— Tu es encore dans la lune Rose. Ou plus loin l'astronaute. Tu veux faire une pause ?

— Non, non. La commande de la 14 est prête ?

— Il manque la tarte à la myrtille, me désigne-t-elle le plateau en bout de comptoir. Et une belle noisette de chantilly aussi !

— Je m'en charge, lui dis-je la voyant se pencher vers le présentoir rempli d'une vingtaine de variétés de pâtisseries faites maison.

— D'accord, je te prépare la 7.

— Deux pudding chocolat blanc et framboise, un thé glacé citron vert et un smoothie au melon, annonce Chrystel toute gaie à Iris. Pour la vingt-deux. Et trois liégeois frappés pour la onze !

Mon amie sourit en secouant la tête à l'entrain de sa meilleure serveuse toujours de bonne humeur, même quand les clients mériteraient un plongeon de force dans la Seine qui fait face à son commerce.

Un parpaing attaché à chaque cheville.

Chrystel a un look atypique qui nous fait passer Iris et moi sommes deux petites filles sages tout droit sorties d'un pensionnant du XVIIIe siècle. Des cheveux d'un violet-prune flamboyant aux quelques mèches fuchsia qui annonce en coup d'œil le tempérament solaire de la jeune femme. Ajouté à cela un magnifique anneau au septum, plusieurs tatouages colorés, des yeux de biche d'un bleu improbable mis en valeur par un trait de liner turquoise, et une silhouette toute en longueur dans des Dr Martens moutarde, et vous avez la jeune femme décalée dans le paysage bobo-chic du quartier mais dont le sourire est un shot d'endorphines. Elle est surprenante et d'une patience à toute épreuve.

J'aime être là.

Souvent dans la journée, j'aimerais être elle. Pas comme elle, juste elle ; plus moi. Cette pile électrique vit chaque seconde avec intensité, voit le bon côté des choses en faisant un beau doigt d'honneur à la morosité. Sa philosophie, c'est que quoi qu'il arrive si on a envie d'être heureux, on ne doit laisser à personne le gouvernail de notre humeur, encore moins à la société qui veut tout cloisonner et nous réduire au concept du métro-boulot-dodo.

C'est peut-être bien ça, la clé du bonheur, ou l'une d'elles.

Mon estomac entame un chant de gargouillis absolument pas discrets alors que je termine de préparer la commande de mes clients, et la suivante. Iris se moque gentiment de moi, mais je ne contrôle rien. Les odeurs de sucres et de fruits ont autant d'effet sur moi que si j'avais tout englouti. Ma glycémie s'affole à chaque fois que je suis trop près des tartes, vacherins, charlottes et autres douceurs alléchantes. J'ai parlé des marrons glacés au sucre vanillé ? Iris et Marion, son aide pâtissière, sont des fées aux mains et idées culinaires extraordinaires.

Mes deux plateaux prêts, je pose le second que je reviendrai chercher – sécurité et maladresse obligent – et vais servir le couple de trentenaires qui se dévorent des yeux depuis leur arrivée, en attendant de quoi remplir leur ventre. Pour ce qui est de leurs cœurs, je ne doute pas qu'ils débordent à l'unisson. Sur la terrasse de trottoir d'où nous avons une jolie vue sur la grande dame de fer, symbole des symboles de la France et de Paris, les amoureux se couvent des regards tendres qui me rappellent ceux de mes parents.

Ils se sont adorés jusqu'à leur fin et j'espère qu'où qu'ils soient, ils se tiennent toujours par la main, comme lorsqu'on se baladait dans les rues de la capitale, jusqu'à avant leur départ en vacances en décembre, la dernière fois que je les ai vus. En vie. Cette idée fendille un peu plus mon cœur amoché qui je sais plus comment se rafistoler.

SAUVAGESWhere stories live. Discover now