𝟹 - 𝙰 𝚍𝚘𝚜.

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𝐓𝐢𝐭𝐚̀𝐧.

Je bondis de ma selle avant-même que le moteur de ma bécane n'ait cessé de rugir. Les tripes essorées, le cœur toujours à dix mille à l'heure, le cerveau ébranlé et l'âme terrifiée. Je ne sais pas par quelle magie je suis rentré au QG sans finir dans un fossé, mais j'y suis. Dans les abysses d'un truc effroyable qui ne devrait pas exister.

Dans la cour où le jour décline graduellement, aucun de mes hommes ne se risque à m'adresser la parole. Mais pas par crainte, non. Ce que je lis dans les yeux de ceux dont j'ose croiser le regard franc est du respect à mon égard, éclaboussé par une haine vorace et incandescente pour les Red. Mais rien ne peut être aussi grand que ce que je ressens. Or leur respect, bordel, je ne suis plus sûr d'en être digne ! Pourtant, quelque que soit l'échec répréhensible qui me marquera à tout jamais, je ne peux pas abandonner mon navire au pire moment.

Rose a réussi son coup, putain !

Je rejoins la chapelle habité par une douleur dont je ne veux même pas me séparer. Je dois continuer de me sentir comme un pauvre type qui viendrait de se faire passer à tabac des heures entières sans l'avoir vu venir, sans avoir eu aucun moyen de se défendre. De se protéger. Parce que je ne l'ai pas protégée, elle. Je lui ai plutôt offert une porte de sortie sur un plateau en diamants. Que ce petit bout de femme s'est donné pour mission de nous défendre, nous, en cédant aux menaces d'une bande de dégénérés.

J'aurais dû me méfier, mieux assimiler que Rose représente le pire danger possible pour elle-même, mais j'ai fermé les yeux, encore et encore. D'abord, il y a eu son impétuosité inouïe face à dix bikers armés en mai, juste après que j'aie léché l'asphalte brûlant. Elle est descendue dans un canyon escarpé pour Zeus quelques jours plus tard. Puis l'incendie chez Ed, la course-poursuite qui aurait pu plus mal finir encore que deux fumiers sur le carreau. Ses révélations sur les vraies raisons qui l'ont poussée à quitter Paris, deux fois. Son faux road trip. Tout était là... Rien ni personne ne l'arrête quand elle a une idée en tête. Jamais.

Enfin hier. Hier, ma tigresse effrontée a eu peur mais pas pour elle, pour moi. Hier, son courage m'a tellement mis en colère que je l'ai pris pour de la pure folie à contenir. Je n'ai pas compris le signal de détresse entre ses mots, la vérité qu'elle me balançait dans un accès d'authenticité, comme si elle savait pertinemment que je ne pigerais rien à rien. Rose n'est pas une amie qui s'accroche à un ami, c'est une jumelle qui est partie seule au bout du monde, et « advienne que pourra ». À ses risques et périls, alors qu'elle aurait pu tout savoir. Sur nous tous et donc, sur ses racines. Sur elle.

Je garde précieusement cette pensée pour plus tard.

Je ne suis pas sur le banc des innocents pour autant. Hier, c'est moi qui ai eu le plus peur, pour elle, et j'ai flippé comme un bleu lors de sa première mission solo en me rendant compte que j'étais déjà dans des sables mouvants à mi-cuisses. Alors j'ai fui en la laissant avec Diesel. J'ai fui pour me renfermer dans mon rôle. Parce que je suis né pour ça, que faillir face à tout un Clan qui avait besoin de moi à 1000% n'était pas dans mes plans. J'ai pensé au Clan, uniquement au Clan, et finalement, malheureusement, j'ai reproduit le même schéma infame que mon paternel, Mato et tous les autres : j'ai tenu Rose à l'écart. C'est ce qu'ils ont fait, Austin compris, et voilà où cela nous a menés...

Vers qui ça l'a menée, ELLE.

La rage qui châtie mes cellules dans un brasier incandescent me permet de rester focus. Comme plus tôt, je me précipite dans les corridors et cette fois, je ne risque pas de me prendre les pieds dans quoi que ce soit et de me retrouver nez à nez avec un jumeau hors de lui et un flingue armé prêt à me creuser un troisième œil. Remarquez, j'y verrais peut-être mieux, au moins.

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