𝟷𝟷 - 𝚂𝚝𝚛𝚘𝚗𝚐 𝚃𝚛𝚞𝚜𝚝 & 𝚃𝚛𝚞𝚎 𝙻𝚒𝚎𝚜

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𝐓𝐢𝐭𝐚̀𝐧.

Un régiment d'hommes armés m'attend dès le perron de la Pension. Actifs et vétérans, Nomads et sédentaires, ils se confondent et pour la première fois depuis longtemps, sont réunis pour autre chose qu'une joyeuse célébration. Les conversations cessent à mon arrivée, la marée humaine s'écarte pour me laisser passer. Je suis encore surpris de sentir le respect émaner d'eux, de pouvoir presque toucher l'auréole d'autorité qu'ils me confèrent encore.

Mais pour combien de temps ?

Les mines vindicatives de certains frères fouettent la hargne qui ne demande qu'à exploser en moi. Ils sont fatigués mais prêts pour la suite d'une nuit qui nous nargue et nous met à rude épreuve. Et il y a d'autres visages, plus fermés. Ceux qui, malgré leur volonté d'en finir une bonne fois pour toutes avec les Red Road's Hell, ne laissent transparaître que la douleur que nous laisse la mort d'Emmett. Ma peine est immense, pourtant moins que ma peur qui catalyse les battements de mon cœur.

Une main frictionnant mon visage sans rien effacer des dernières heures, je scanne la foule qui me scrute en retour. Ils veulent une déclaration de ma part, de quoi nourrir un peu plus leurs esprits pour que leurs corps tiennent le coup. On a gagné une bataille mais la guerre est toujours en cours. On a besoin d'encouragements, d'y croire. De nous raccrocher à cette unité que les Reds ne sont pas parvenus à nous retirer. Nous sommes toujours les Dark Evil Lions et ce qu'on a, ces vies qui dépendent de nous, on ne va pas les abandonner. Pas tant qu'on sera toujours debout, même si l'ennemi a sacrément collé nos corps à terre.

Je cherche Gary sans le trouver, puis je dévie mon regard vers la porte de son bureau. Je serre les poings, les dents, et parce qu'il a dû comprendre ma présence quand les voix se sont tues, Jude ouvre le battant coulissant à ce moment-là. Nos yeux s'accrochent et on se comprend sans parler : on doit se bouger mais demain, quand tout sera fini, on va en chier. De douleur, de colère aussi.

Deux bras m'enlacent sans prévenir, difficilement vu l'attirail d'assaut qui me recouvre. Bella, en larmes, le teint plus pâle que jamais mais un infime sourire qui se veut à la fois doux et suppliant. Tout à coup je vois Rose en elle, alors que tout a toujours été sous mon nez, comme si mes yeux avaient choisi d'être aveugle à la vérité. Je ne m'explique pas pourquoi je n'ai pas reconnu Summer dans sa fille. Sawyer a la peau plus claire, les traits plus fins pourtant, Luka a raison : dans ses prunelles il y a la même flamme que Liberty, plus vive, plus exaltée, plus sauvage. Dans ses iris, le même bronze qu'on voit rarement. Je l'ai vue de près, très près, si près. Mais je n'ai rien vu.

— Tu vas la ramener Titàn, n'est-ce pas ?

Sa voix tremble, mon cœur fait une sale embardée pendant qu'un amas de lave dissout mon estomac et qu'un shot d'azote gèle mon système nerveux. Parce que je voudrais tellement pouvoir lui donner ma parole que oui, je vais lui ramener Rose ; vivante. Qu'il est exclu qu'on rentre sans elle et qu'on n'arrêtera pas de la chercher. Que tout sera bientôt derrière nous, pour un nouveau chapitre sans mensonges ni secrets dangereux. Que la fin de la lettre qui tourne en boucle dans ma tête aura une traduction de la bouche de celle qui me l'a écrite. Mais en cet instant, l'évidence m'écartèle : je ne peux pas faire ça. Je ne peux m'engager à ce point, pas lui promettre que Rose se couchera dans son cabanon ce soir, avec Zeus pour veiller sur sa nuit.

La nuque raide, je la prends plus contre moi. Plus parce que j'ai moi-même besoin de ça qu'autre chose, en toute franchise.

— On va tout faire pour.

Elle hoquette. On se regarde et elle hoche doucement la tête, comprenant pourquoi elle n'aura pas mieux. C'est dur mais je ne veux plus bercer personne d'illusions. Jude me rejoint, accompagné de Mato et Gary. Ce dernier a la tête baissée. Son frère et lui s'adoraient, mais c'est toujours avec la même dignité qu'il a domptée il y a des années qu'il prend place à ma gauche, muet, dans l'embrasure de la cuisine. Son fils y a vingt-cinq ans mais le temps n'a rien altéré, aujourd'hui son frangin. Je ne sais pas comment cet homme tient encore debout. Ou si, parce que Rose est quelque part et qu'il se raccroche à son retour. Et la pression n'est que plus grande sur mes épaules.

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