𝟷𝟹 - 𝙻𝚘𝚒𝚗 𝚍𝚎𝚜 𝚢𝚎𝚞𝚡.

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Chapitre publié le 15/09/2022. 21h27

𝐑𝐨𝐬𝐞.

J'ouvre les paupières pour les refermer aussitôt puis passe mollement ma couette par-dessus ma tête pour rejeter le monde. Mes muscles ne sont pas réveillés, ils ne le sont plus jamais. L'effort est douloureux, la douleur épuisante après plusieurs semaines d'immobilisation des deux épaules dans des attelles de maintien. J'ai moins de force, pas moins de maux. Roméo a déjà ouvert mes épais rideaux bleu roi pour laisser entrer la lumière automnale. Le noir m'allait très bien.

— Bonjour Poppy.

Poppy. Au moins ça, ça n'a jamais été un mensonge.

— Ils sont tous mauvais, grommelé-je la voix pâteuse.

Une douce odeur de café fumant et de croissants chauds a embaumé ma chambre pour venir titiller mes narines, avec l'espoir que mon estomac crie famine. Mais aujourd'hui comme hier, je n'ai envie de rien. Uniquement de me terrer ici, dans mon antre, et de laisser le temps filer.

Pour m'oublier.

Je sens le rebord du matelas s'enfoncer sous le poids d'un deuxième corps. Roméo soupire de dépit, de tristesse et du ras le bol qui ne le quitte pas, je le sais. Il me supporte mais ne supporte plus la situation. Comme chaque matin depuis qu'ils m'ont installée ici pour mes soins à domicile, dans mon ancienne chambre d'adolescente qui a pris un petit coup de rafraîchissement l'an dernier. Je n'avais pas besoin de ça pour venir volontiers passer quelques nuits chez mes parents. Maman voulait me faire plaisir ; qu'elle pense qu'il fallait un coup de peinture sur mes murs et une nouvelle parure de lit m'avait fait tiquer. Je m'entends encore lui dire en la serrant contre moi :

— Même si tu avais reconverti ma chambre en serre tropicale, rien ne m'aurait empêché de squatter ton canapé.

Je n'aurais pas cru qu'un jour, je serais ici sans eux ; sans qu'ils ne reviennent plus jamais. Je sanglote déjà, cinq minutes après mon réveil.

— Rose, il faut que tu manges un peu. Tu sais ce qu'a dit le médecin : si tu continues comme ça, il faudra le faire par sonde. Tu ne pourras plus rester à la maison.

Pour toute réponse, je mime un non dans mon royaume de tissu et de plumes.

Manger est encore difficile. Inutile. Rien ne nourrit plus cette part de moi qui a disparu. Rien ne répare ce qui ne peut plus être réparé. Mon seul baume, ce qui me permet encore de respirer, est de savoir qu'Ash est vivant – et Roméo sain et sauf. Que sa vie à lui ne s'est pas arrêtée. Ni il y a dix mois, ce matin terrible de janvier, ni il y a cinq semaines, quand les Reds me l'ont enlevé, avant que je ne prenne sa place. Puis quand il m'a retrouvée et qu'avant de sombrer de nouveau grâce à l'injection de Propofol du Toubib, j'ai eu peur qu'il n'aille se venger. Me venger. Nous venger. Que ni Naya ni leur Président ne sachent l'en empêcher. Qu'il n'en revienne pas, cette fois.

Septembre est passé me laissant un goût de milliers d'années écoulées.

Mon réveil à l'UCHealth University of Colorado Hospital à Aurora, a été un maelström d'émotions et de souffrances physiques et psychologiques que je ne pensais pas devoir affronter. Je voulais simplement me rendormir et flotter dans un vide apaisant, sans rêves ni cauchemars.

Le premier jour était un traumatisme pour ma tête, mon corps, mon cœur. Mon +1 était à mes côtés mais rien ne ressemblait plus à une normalité. Les médecins ont mis en place un protocole pour mes côtes, mon nez et mon poignet cassés, mes luxations et tout ce qu'il fallait soigner sur et sous ma peau. Pour mon esprit ils ont essayé aussi. Sauf que parler signifier revivre. C'était au-dessus de mes forces.

SAUVAGES | En pause jusqu'au 6 octobre 2024Where stories live. Discover now