𝟸𝟾 - 𝙱𝚘𝚘𝚖 𝙱𝚘𝚘𝚖 𝙱𝚘𝚘𝚖

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Rose.

     À quel moment les choses ont-elles dérapé ?

     Est-ce qu'elles ont au moins déjà été autre chose que bancales, au moins ?

     Je nous revois après l'accident. J'avais déjà chaud. De la canicule aride, de la bouffé de stress qui m'avait envahie juste avant la collision, quand j'ai réalisé qu'elle était inévitable et que je me voyais déjà dans le fossé après quatre tonneaux. Mais plus encore de la chaleur vénérienne dithyrambique qui émanait de chacun de mes pores, faute à une température corporelle proche de l'hyperthermie gravissime à cause d'un hercule au regard chocolat taché d'une perle azur tropical, qui même s'il aurait pu m'enlever la vie d'une seule gifle venait de réactiver une libido douteuse affamée de se faire dévorer, par lui.

     J'aurais pu être l'agneau innocent et lui le loup menaçant. Mais il est le lion aguerri qui mugit, et je n'ai rien d'une de ses brebis dociles.

     Dans une autre vie ou un monde parallèle, nous ne serions pas ce que nous sommes ici, aujourd'hui. Lui le chef de gang qui revient mutilé d'une bataille nocturne, avec la chance inouïe de ne pas avoir perdu un de ses hommes, de ses frères comme ils disent ici, dans cette grande famille peut-être plus soudée que celle de sang. Moi, la baroudeuse qui fuit d'où elle vient sans savoir où elle va, dans une quête qui n'avance pas, plus, perdue quelque part entre nulle part et ailleurs, qui doute même que tout ça soit vrai, espérant un matin se réveiller dans son lit et que ce nuage noir d'atrocités n'ait en réalité été qu'un putain de cauchemar.

     Je suis ici mais je n'appartiens pas à ce territoire, ce lieu aux paysages hétéroclites qui sont déjà gravés dans ma mémoire et plus vifs que toutes les photos que j'ai pu prendre. Je suis l'étrangère à mi-chemin entre son arrivée et son départ, la page détachable du livre qui n'en change pas la trame si on la retire. La brume passagère qui ne sera bientôt plus qu'un lointain souvenir.

     Mais nous sommes nous. Lui et moi, avec nos frontières et nos occupations. Deux routes pas faites pour se croiser que la funeste providence qui a pourri ma vie a pourtant fait se rencontrer.

      Je nous revois au coin du Black Diamond Bar, la tension était encore montée d'un cran entre nous, surtout de son côté à lui, mais rien d'érotique, plutôt tout de colérique. Il m'a attaquée sans raison pour me mettre à terre, à mordu une plaie saignante que je croyais invisible, là où ça fait le plus mal. Il est dangereux pour mon corps, encore plus tout le reste ; mais un danger attirant, attrayant, hypnotique mais absolument pas soporifique, celui qui crée par sa simple existence une aura mystique qui aspire tout sur son passage et ne laisse rien derrière elle. Il est le symbole de la perdition, la mienne, s'il reste encore quoi que ce soit en moi qui puisse être suffisamment vivant pour être consumé dans le trou noir mais étincelant de cet homme au physique d'un adonis surentrainé.

     Titàn porte bien son nom, car chacun de mes sens se montre assidu au pied d'un demi-dieu qui les contrôle. Une caresse et je perds pied. Alors plus...

    Je nous revois dans le jardin de Bella à la pension, quand il a interrompu mon répit joyeux avec Zeus et Atlan. Son odeur capiteuse, signature de la puissance qu'il dégage, la foudre de son regard ardent qui me demandait pardon d'avoir été un sale con. Sa présence est un bulldozer qui au lieu de faire se dresser ma combativité revigore ma folie, celle qui oublie en une seconde comment et pourquoi tout a commencé entre nous. Cette rencontre insolite, cette lutte constante pour le dernier mot, notre dualité.

     Je ne suis pas de ce monde et pourtant, même s'il ranime en profondeur des douleurs inhumaines, il provoque aussi un bien-être doucereux que je n'avais plus ressenti depuis longtemps. Je vis des instants hors du pourquoi je me retrouve ici. Je touche du doigt une légèreté, une simplicité, pas tout à fait le bonheur -il n'existe plus pour moi-, mais au moins un apaisement, bien que la culpabilité de l'accepter aille de paire avec lui.

SAUVAGESWhere stories live. Discover now