𝟷 - 𝚃𝚘𝚞𝚝 𝚙𝚘𝚞𝚛 𝚎𝚞𝚡.

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𝐑𝐨𝐬𝐞.

𝑼𝒏𝒆 𝒉𝒆𝒖𝒓𝒆 𝒑𝒍𝒖𝒔 𝒕𝒐̂𝒕. (que le dernier chapitre du tome 2)

Mes gestes sont mécaniques mais rapides, j'en suis la première étonnée. L'urgence est tout ce qu'il me reste pour tenir debout. J'ouvre un tiroir puis un autre, avec l'impression d'être en dehors de mon corps. De vivre et voir cette scène en spectatrice apathique. Pourtant, c'est bien moi qui suis au centre de l'action. Et pas qu'un peu.

L'euphémisme du siècle. Du millénaire.
Dans l'arène des secrets faits de mensonges, je suis l'attraction principale.

Le bruit ferreux des roulements à billes du meuble fait se crisper mon cœur, il bat douloureusement dans ma poitrine. J'essaie de ne me focaliser que sur ce que j'ai à faire mais la brûlure de mes larmes qui coulent sans discontinuer me rappelle à chaque seconde que je suis bel et bien en enfer sur terre. Que dans une autre pièce du pandémonium, Ashton vit peut-être bien pire que la crucifixion de mon cœur, n'attendant que l'ultime délivrance pour ne plus souffrir.

Dans le tumulte de tout ce qui se bouscule dans ma tête, de tout ce qui me bouscule de l'intérieur, il y a une lame acérée qui fait plus de dégâts que l'aveuglement dont j'ai fait preuve : les Reds ont massacré mes parents. C'est eux, qui ont pris leurs vies et m'ont privée de la mienne. Celle, quand le bonheur existait encore au présent.

Et maintenant ils retiennent Ashton.

Alors maintenant, je me fous de ce qu'il va m'arriver, à moi. Tout ce qui compte, c'est de le faire sortir. De plonger dans les yeux de celui qui a détruit ma famille. De celui qui pense pouvoir massacrer impunément des Darks pour arriver à ses fins.

C'est moi qu'ils veulent.
C'est moi qu'ils vont avoir.

Je trouve ce dont j'ai besoin et j'ai à peine le temps de le glisser dans mon sac que Diego ouvre la porte.

— Qu'est-ce que tu fous, Doc ?

Méfiant, et je ne peux pas lui en vouloir, il fronce le nez puis pénètre dans la salle des stocks sans savoir ce qu'il doit regarder : les étagères parfaitement organisées, les armoires formant trois étroits corridors dans la vingtaine de mètres carrés sans fenêtre, les deux frigidaires derrière moi ou encore le petit bureau sur lequel s'accumulent plusieurs piles de dossiers en cours.

— Excuse-moi, je devais mettre à jour le fichier patients et noter qui je suis allée voir ou pas, mens-je encore avec une facilité qui me ferait honte, si j'étais encore capable de ressentir autre chose qu'une douleur lancinante dans ma poitrine.
— Ah, ok. T'as récupéré ta sacoche ?
— Pas encore, réponds-je en reniflant mollement.

Il fallait bien que je trouve une excuse plausible pour que Baxton et Diego consentent à un détour à la Clinique, celle en ville.

— Tu sais, si t'oublies quelque chose c'est pas si grave, Doc. Tu vas revenir, on le sait.
— Ouais, atteste Baxton depuis le couloir, que je ne vois pas mais qui suivait notre échange, on sait tous que ce n'est qu'un au revoir, miss frenchy. Quand les choses seront rentrées dans l'ordre, tu pourras revenir, avec tes valises et ta trottinette. Tout le monde s'est habitué à toi.
— Paraît même que t'as maté le vieux Hollanders. Et Bella t'aime beaucoup, ça se voit. Elle t'a adoptée, elle ira plaider en ta faveur auprès de La Haute. T'es plus vraiment une étrangère maintenant.

Mon ventre opère un saut périlleux douloureux. Je me mords la langue pour ne pas les interrompre et leur mettre la puce à l'oreille. Le pourrais-je, de toute façon ?

Je ne suis plus maîtresse de mes réactions.

S'ils savaient que je n'ai « maté » personne... Qu'« Austin » n'est pas n'importe qui pour moi, loin de là. Que Walter est mon grand-père, Bella et Gary mes grands-parents biologiques, même si, en ce qui concerne ces derniers, je n'ai qu'une forte intuition. Mais j'en suis quasi certaine, les photos et la ressemblance que j'ai trouvée entre Summer et moi, cette femme que je n'ai jamais rencontrée comme si elle m'évitait, ne mentent pas. Cette ressemblance que je ne voulais pas vraiment voir entre Aya et moi n'est pas une invention de mon esprit perdu. Je me voyais en elle parce qu'elle est un peu moi, et pas uniquement dans son côté aventurier et proche des animaux. Alors oui, si les prospects savaient, ils comprendraient que personne ne pourra se mettre en travers de mon chemin, pas même leur meneur. Leurs meneurs. Ils comprendraient que le désespoir me donne une force surhumaine.

Celle de rester debout en étant morte à l'intérieur.
Celle de parler alors que les mots me manquent.
Celle de penser alors qu'une guerre règne dans ma tête.
Celle de respirer alors que je suis asphyxiée par les mensonges, les dénis et les trahisons.

Celle de les aimer tous malgré tout, et de ne pas accepter que la mort frappe de nouveau.

Ou qu'elle vienne ne me trouver que moi. Et de lui sourire en lui disant «viens, je suis à toi».

— Allez Rosie, faut qu'on se magne, me presse Diego en posant amicalement sa grande main tatouée sur mon épaule. Le prochain vol pour Paris est dans moins de trois heures, et j'ai pas trop envie de passer la nuit le cul sur la chaise dure du hall de l'aéroport pour attendre celui de demain, tu vois.
— Très bien, oui.

Aucun risque, pensé-je.

S'ils savaient que Paris n'est pas ma destination finale aujourd'hui, j'aurais peut-être une chance de connaître un demain. Mais ce serait accepter qu'Ashton, lui, nous quitte ce soir. Que son enfant naisse et grandisse sans père. Que Naya se retrouve seule pour l'élever. Que Walter perde définitivement la dernière parcelle de sa fille qui vit encore en Ash, dans le sang qui coule dans ses veines, dans la blondeur de ses cheveux et le bleu brillant de ses yeux. Que Roméo soit orphelin de son meilleur ami, de son frère. Qu'Aya ne retrouve pas celui qu'elle semble considérer comme son grand-frère. Que le Clan enterre encore un de leurs membres.

Ashton est peut-être venu au monde avant moi, et il me l'a suffisamment répété pour que je ne l'oublie jamais, mais ce soir, j'ai une course funeste à gagner. Que mon arythmie se rassure, elle aussi, vit ses derniers tourments.

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