Chapitre 103 : Pensées

22 5 0
                                    

Evan se laissa tomber sur son grand lit bordé recouvert d'une épaisse couverture marronne en coton et pourvu de deux gros coussins.

Son antre, où flottait l'odeur rafraîchissante et apaisante des roses sauvages de Sumatra, était dans un désordre relatif. Au milieu du tapis gris molletonné, trainait une boîte à fusain et un carnet de dessin ouvert avec des croquis. Sur son meuble de chevet en bois sculpté traînaient deux vieux livres épais. Une sphère d'éclairage éteinte flottait une vingtaine de centimètre au-dessus. Les portes fenêtres aux rideaux gris tirés donnaient sur le balcon surmonté d'un auvent. Sur le rebord de la balustrade, une épaisse couche de neige s'était amassée. La lumière vive du soleil, l'œil du ciel, globe d'or scintillant, inondait sa chambre à travers la grande fenêtre elliptique et les portes fenêtres. Sa garde-robe en bois vernis sculpté des mêmes symboles floraux que sa table de chevet chatoyait sous les rayons.

Le grand mur circulaire était un mur écran diffusant une peinture mouvante qu'il avait réalisée plusieurs années plus tôt. Une vue panoramique d'une partie de la cité de Bristol montrant les vestiges du Clifton Suspension Bridge qui passait jadis au-dessus de l'Avon, qui coulait paisiblement, ainsi qu'une fraction des immeubles du centre de la circonscription se dressant à l'horizon, sur un fond de ruine qui s'étendait jusqu'à devenir une plaine sombre, lisse et inhabitée. À l'avant, une portion d'habitation se déployait et ses lumières dorées se réfléchissaient dans l'eau du fleuve, entre chien et loup.

Un grand rectangle à côté de la porte de sa salle de bain était vierge. Plusieurs esquisses, images, photos et document y étaient fixées. Au pied du rectangle inerte, un tableau achevé en peinture mouvante était posé contre le mur. Le portrait qui riait aux éclats puis le fixait de ses yeux clairs, amusé, avant de passer une main délicate dans ses cheveux noirs bouclés. Puis comme si Evan venait de lui faire une blague, la jeune fille aux yeux bleus très clairs tirant sur le gris eut un nouvel éclat de rire. Les couleurs variaient selon l'agencement qu'il avait programmé. Il ne se lassait jamais de contempler cette peinture mouvante, car les couleurs variaient et la peinture se déplaçait avec une magnifique fluidité. Les propriétés de la peinture, son grain, son épaisseur et son ton. Tout devait être pris en compte pour réaliser une œuvre pareille. Il s'arracha de sa transe contemplative du visage rayonnant de Tessa. Il fallait qu'il se fasse une raison et qu'il jette ce tableau. Il fut pris d'une quinte de toux, son estomac l'élançant violemment. Il retira l'élégante veste shirag de son uniforme en toussant de plus belle et la posa à côté de lui, sur le lit. Il défit précipitamment sa cravate et fut pris d'une autre quinte de toux. La paume de sa main était humide de sang. Son ventre tiraillait douloureusement. Le coup de poing du magister avait été dévastateur.

Il entra dans sa salle de bain, le goût cuivré du sang dans la bouche. Il toussa de nouveau et cracha dans le lavabo en verre bleuté. Il sera les poings quand une irradiation explosa dans son abdomen. Il tomba à genou, les traits tordus par la douleur. Pourquoi est-ce que la douleur ne se calmait pas ? Ce n'était pas la première fois qu'il se prenait un punch pareil. En temps normal, il n'aurait pas dû se sentir aussi mal. Etait-ce à cause de ce qui lui arrivait en ce moment ou bien les conséquences du coup de poing d'un magister princeps se tenant au Brasier.

Il s'était déjà pris des coups en se battant avec Princeton lors de ses entraînements mais son magister primigenius ne s'était jamais élevé, lors d'un pugilat avec lui, jusqu'au Brasier sur l'O'rein'Cirkaem, le Cercle du Ciel différent du Cercle de l'Univers dans lequel évoluait le Cercle Intérieur des Fils de la Foudre.

Peut-être était-ce cela...

Il l'espérait parce qu'il refusait obstinément l'idée qu'il était peut-être en train de perdre sa capacité de régénération. Car au point, où il en était, cette idée horrifiante n'était pas si absurde. Après une vingtaine de minutes de supplice, assis sur le carrelage, les bras entourant ses genoux pliés contre son abdomen, les doigts crispés, la douleur s'amenuisa brusquement puis elle disparut.

Ignemshirs - Tome 1 :  Fils des Cendres (ANCIENNE VERSION)Where stories live. Discover now