Chapitre 72 : Les Héritiers du Néant

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Les Fossoyeurs se dressaient de part et d'autre de la grande route recouverte d'ornière qui au-delà n'était plus que l'ombre d'elle-même. Le plan de réhabilitation n'avait pas encore été lancé. Cela faisait des années que le gouverneur de la cité en parlait et on l'attendait toujours. Depuis la cinquième extension de la cité qui lui avait donnée naissance, les plus pauvres l'habitaient en majorité. Les loyers y étaient très bons marchés et très en deçà des autres arrondissements. Les effondrements n'étaient pas rares et ce à raison d'un évènement majeur par année.

Le Gouverneur Horace Charleroy, promettait toujours de tout faire pour que cela cesse mais la vie reprenait son court sans que rien ne change. Issu de la Grande Bourgeoisie, sa sœur était mariée à l'un des Hauts-Centurions de l'Aurarque. Keiji avait rencontré sa fille, Natalia, dans le cadre d'un rapprochement entre leurs deux familles. Une fille plus jolie que belle, un peu tête en l'air et pas des plus futées. Il s'était lassé de sa compagnie au bout de quelques semaines. En plus de n'avoir aucun centre d'intérêt en commun, elle était la caricature des progénitures des oligarques eretsins : méprisante à l'égard de ceux qui ne vivaient pas dans le Centre plus par ignorance que par véritable méchanceté et ayant une très haute opinion d'elle-même alors que dans le fond, les Grands Bourgeois n'étaient que des parasites.

Que les Familles Anciennes fussent bouffies d'arrogance, cela était, selon Keiji, acceptable car après tout, c'était au prix de leur vie et de celles de leurs enfants, qu'ils protégeaient les cités mais pour ce qui était des membres de la Grande Bourgeoisie, il ne leur trouvait aucune circonstance atténuante. Le jour de leur dernier rendez-vous, une réflexion de Natalia à propos d'Evan l'avait passablement contrarié alors qu'elle s'était trouvée drôle et spirituelle. Cela avait achevé de le convaincre que la balance gain contre perte n'était plus équilibré et qu'il était temps d'arrêter les frais. Les efforts fournis n'étaient de toutes les façons plus suffisant pour faire plaisir à sa mère et atténuer légèrement ses inquiétudes de le voir partir au Raaek'a Daedalis sans avoir au préalable fonder de foyer.

Keiji se mit à trottiner, décidant de suivre l'individu à la capuche. Il n'était pas normal qu'il ne perçût pas le bruit de ses pas. Cela ne voulait dire qu'une seule chose. Qu'il portait des Chesterfield... Seul les ignemshirs étaient autorisés à en porter, à l'instar des vestes shirag. Donc l'individu à capuche était un ignemshir... mais, la présence d'un ignemshir dans le Cimetière, vêtu de cette manière, était particulièrement suspect.

Il s'arrêta à l'entrée de la ruelle. Elle était vide, noyé dans le brouillard. Des bennes à ordure recouvertes de neige trainaient contre le mur fissuré d'un immeuble. Les relents d'égouts mélangés à l'odeur forte de l'urine le firent grimacer. Il enfila ses mitaines de combat. On n'était jamais trop prudent. Une tête de loup blanc, croc dehors, sur un disque doré cerclé d'un anneau noir, était brodé dessus. L'emblème du To-Shirkairon. L'École Implacable.

Scrutant la rue sombre autour de lui, Keiji s'avança, les sens aux aguets. Percevant un bruit, il se retourna vivement.

Rien.

Le bruit avait été aussi léger que la caresse d'une plume contre une pierre. Des bruits de pas étouffés se firent entendre puis s'évanouirent aussi subitement.

Comme était-ce possible ?

Il resta immobile pendant plusieurs secondes. Rien. Le silence le plus total régnait dans la ruelle. Il avait dû se tromper... ce qui n'arrivait jamais... Il jura à voix basse. Il ne pouvait pas se permettre de perdre plus de temps. Evan était actuellement livré à lui-même. La balance bénéfice-risque penchait un peu trop dans le mauvais sens. Pourchasser un fantôme n'avait aucun intérêt... Si fantôme il y avait... Il se pressa vers la grande route et remarqua une forme dans la pénombre de l'immeuble. Et pourtant son corps ne réagit pas. Il continua de marcher comme si de rien n'était. Il avait beau l'avoir parfaitement repéré, il avait l'étrange conviction que ce qu'il avait vu n'était que le fruit de son imagination. Il aurait continué son chemin s'il n'avait pas été dans cette ruelle pour une raison bien précise. Prenant cette conviction profonde à revers, non sans un véritable effort, il s'immobilisa et se retourna. Il fit un pas, puis un deuxième et soudain plusieurs éclats luirent dans la pénombre. D'une succession de revers ultrarapide, le jeune Sang d'Acier para chacun des couteaux dans une série quasi simultanée de tintements métalliques. Les couteaux tombèrent dans la neige alors que finissait de dissiper dans l'air glacial la fumée grise et jaune d'où s'était formée la lame de son neshir. Son adversaire, qui était sorti des ténèbres, portait sous sa capuche un masque noir arborant des disques blancs au niveau des yeux, une larme rouge perlant sous l'œil droit et un croissant de lune blanc sous le gauche.

Le masque du bonimenteur... personne ne portait ce masque sur les Trois-Mondes. Il était vu comme un objet de malédiction et de mauvais augure depuis l'Aube Grise. À sa connaissance, les seuls qui se permettaient de l'arborer était les oshaïnim...

Voilà qui n'annonçait rien de bon.

L'oshaïnim portait des gants en cuir arborant la larme rouge sur le gauche et le croissant de lune sur le droit. Ils étaient dénués de l'emblème du shirkairon qu'il pratiquait. Il brisait les codes d'honneur se cachant du regard des Témoins de l'Ashayshin. Cachant son identité dans l'obscurité, il reniait la Voie de la Flamme Immaculée. Keiji éprouva à son égard le plus grand mépris. Mais venant d'un oshaïnim, cela n'avait rien de surprenant.

Keiji le jaugea le temps d'un battement de cil puis bondit vers lui sachant que chaque seconde était cruciale. Une question de vie ou de mort. Son neshir heurta violemment la lame pourpre de son assaillant dans une pluie d'étincelles. Sa lame fendant les cristaux de glace tombant nonchalamment du ciel, il enchaîna plusieurs estocades à une vitesse de l'ordre du millième de seconde. Son adversaire évitait, parait et se mouvait véloce et agile, les appuis souples et solides. Il contrattaquait avec la même dextérité que lui-même avait dans ses propres mouvements. Leurs lames se heurtaient à un rythme élevé au milieu d'étincelles remplissant la ruelle d'une multitude de chocs métalliques. Son adversaire était aguerri. Clairement. Il performait le Ballet de la Flamme avec beaucoup de grâce, d'énergie et d'assurance.

Soudain, son bras gauche le brûla. Un bref coup d'œil au milieu des échanges des coups d'épée et des étincelles, lui permit de constater, non sans stupéfaction, qu'il l'avait blessé. Et non d'une simple estafilade mais d'une coupure assez profonde qui saignait abondamment. Et pourtant, la fameuse botte de son adversaire ne lui avait paru ni dangereuse, ni difficile à parer... Comprenant, il jura entre ses dents en se tassant un peu plus sur lui-même, en parant les deux assauts suivants avec une attention encore plus accrue et répliquant agilement d'un momentum qui laissa une estafilade sur la cuisse de l'oshaïnim. Il était sacrément bon... Son adversaire était un henshirion. Un membre du Hen-Shirkairon, l'École Apaisé. Face à cette école de l'art ancien, il était difficile d'évaluer la force, la trajectoire et le rythme des attaques. Son adversaire avait réalisé un momentum qu'il avait déjà vu lors de duels antérieurs, il en était certain. Malgré cela, il n'avait pas été capable de correctement anticiper. Il n'y avait pas de rythme défini dans leur momentum. Ou plutôt, le rythme était extrêmement souple et facile à faire varier. Il aurait perdu son bras s'il n'avait pas été aussi bon qu'il l'était.

Anticiper les choses face à un henshirion de ce niveau s'avéraitdifficile même pour un toshirion de sa stature alors que l'anticipation étaitla marque même du To-Shirkairon. Il était temps d'arrêter de jouer. 

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Voilà, j'espère que ce chapitre vous aura plu. N'hésitez pas à laisser des commentaires sur vos impressions et de voter si ce chapitre vous a plu !

Merci encore pour votre temps, cher(e)s wattpadien(ne)s !

Ignemshirs - Tome 1 :  Fils des Cendres (ANCIENNE VERSION)Where stories live. Discover now