Chapitre 36 : Le Rituel

21 8 4
                                    

Plonger dans le liquide au reflet rougeâtre, Evan agita le papier à photo qu'il tenait au bout d'une pincette. L'odeur des produits chimiques et la pénombre carmine de sa chambre noire étaient réconfortantes. Dans cette pièce, le monde extérieur n'existait plus.

A l'aide d'une pince, il accrocha la photographie à un fil tendu à travers la pièce auquel était déjà suspendu une trentaine d'autres photos. Sa main rechercha la bouteille de mourch sur la table derrière lui et la porta à ses lèvres. Le liquide frais à base de malt lui rafraîchit agréablement le palais.

S'appuyant contre la table, il soupira.

C'était la dernière photo de sa pellicule. Cette série de photos le rendait particulièrement fier. Quelques photos du 9ème avec le quartier du Coq, le Moulin du côté du quartier de la Grenouille où il avait grandi mais surtout le Cimetière de Verre et de Métal et les Ruines. Une façon d'exposé à ceux des arrondissements intérieurs la réalité des quartiers périphériques sans le moindre fard. Juste telle qu'elle l'était. Avec sa beauté et sa laideur. Evan détestait les artifices... Il irait les donner à Adolphe. Ce dernier les encadrait et les vendait dans sa galerie du 4ème. Le galeriste aimait beaucoup son travail et il était peut-être la seule personne qui l'encourageait à continuer. Et ce depuis peut-être deux à trois ans.

Pour un ignemshir, cela n'avait peut-être aucun sens, mais c'était ce qu'il aimait réellement faire. Il savait que le jour viendrait où il ne pourrait plus prendre de photo. Il était réaliste. Si ce n'était pas une mort prématurée, ce serait autre chose. La vie, sa vie, était faite de tellement d'instabilité et d'incertitude qu'il profitait de chaque moment qu'il consacrait à sa passion. Il tira les rideaux derrière lui puis ouvrit la porte avant de sortir dans le couloir sombre.

D'un coup d'œil à sa montre, Evan constata qu'il serait bientôt huit heures du soir. C'était l'heure de son petit rituel. Il pénétra dans le grand salon sobre et élégant du penthouse. La large baie vitrée donnait sur une grande terrasse dotée sur toute sa partie gauche d'une zone habituellement verdoyant. Composés de buis, de lauriers tins et d'autres arbrisseaux, ils étaient présentement ensevelis sous une épaisse couche de neige.

Des tableaux aux couleurs chaudes, des portraits ou des paysages, étaient accrochés aux grands murs gris et à celui qui semblait fait d'écorce. Le plafond haut était recouvert de lampes en suspension en forme de ruban de Moebius disposés en cercles concentriques qui tournoyaient en permanence. Le mobilier était dépouillé mais de bonne facture. Un canapé gris capitonné était recouvert d'une grande fourrure de tigre géant à crinière doré des mangroves brumeuse des côtes orientale de la Fédération des Indes et du Bengale. De part et d'autre, deux fauteuils en cuir noir confortables étaient disposés avec au centre une charmante table-basse en verre noir aux pieds transparents en spirale sur un grand tapis soyeux bordeaux. Les canapés faisaient face à un mur-écran en état de veille qui diffusait dans le salon, plongé dans une atmosphère feutrée, une vision à couper le souffle de galaxies lointaines. Evan reconnut sans mal M51, la galaxie du Tourbillon et ses deux magnifiques spirales d'or et de feu.

Allant dans la grande cuisine américaine toute en chrome, acier inoxydable, marbre bleu et BoisFer, il posa sur le comptoir marbré de la cuisine un paquet de farine et du sucre. Il sortit encore d'autres aliments du frigo, dont un filet de citron et des œufs. Il prit également un plat creux et volumineux en plastique blanc qu'il récupéra dans l'une des étagères bordées d'aluminium rutilant. Avec des gestes habiles, il fit une pâte en mélangeant les différents ingrédients. Quand il l'eut terminé, il la mit au four.

Il lui fallut attendre environ une vingtaine de minutes pour que la pâte chaude et dorée puisse accueillir la meringue qu'il avait préparée en attendant. Il baissa l'intensité du grand four pour que l'ensemble cuise à feu doux puis patienta en faisant la crème au citron.

Evan décapsula une autre bouteille de mourch. Il lança négligemment la capsule en plastique biodégradable par-dessus son épaule et elle atterrit dans le broyeur-recycleur incrusté dans le mur. Ce dernier le gratifia d'un léger broiement reconnaissant. Il but plusieurs gorgées tout en cassant lestement des œufs.

Le jeune ignemshir reposa la bouteille sur le comptoir, battit les œufs, mélangea avec le jus de citron pressé et ajouta les ingrédients habituels avant de finir avec une pincée de gingembre, et mit le tout dans une casserole cuisant à feu fort. Il remua à l'aide d'un fouet, le mélange s'épaissit. Il ôta la casserole, ouvrit le four puis sortit la tarte. En voyant sa couleur, il émit un grognement approbateur en secouant la tête. Il renversa la crème, en pris un peu du bout du doigts pour en savourer le goût puis mit la casserole dans le lave-vaisselle. Evan nettoya le comptoir et la cuisine. Il termina en passant un torchon sur le marbre luisant tout en finissant sa bouteille.

Malia avait toujours exigé que la cuisine soit d'une netteté irréprochable et après sa mort, Princeton s'était appliqué à honorer cette volonté. Il s'était pratiquement reconverti en maniaque de la propreté. Evan avait d'abords pensée que c'était là sa manière de faire son deuil mais les mois et les années étaient passé sans qu'il ne redevienne comme avant. C'était pourquoi Evan laissait toujours la cuisine dans un état impeccable.

Le jeune homme se jucha sur l'un des tabourets matelassés qui s'alignait devant le comptoir. Ses blessures étaient déjà moins douloureuses. Malgré sa fatigue, il avait peu dormi. Son sommeil avait été coupé par un cauchemar où Rayn Harlec le condamnait à être brûlé par la Niera. Deux petites assiettes, deux fourchettes, un couteau et une spatule avaient été disposés avec soin autour de la tarte aux citrons meringuées. Il fixa les couverts, l'air songeur, une main sur la bouche, accoudé au comptoir avant de regarder vers le grand portrait accroché sur le mur-écorce, face à la porte. C'était un portrait de Sue qu'il avait peint cinq ans plus tôt. A cette même date. Ses yeux se plongèrent dans ceux pétillant de malice du portrait.

— Ton dessert préféré, murmura-t-il. Fait en ton honneur petite peste. Je me souviens encore. Lorsque Princeton nous en faisait, tu t'arrangeais toujours pour en avoir plus que moi. Tu me mentais sur le nombre de part que tu avais mangé ou tu me mettais en colère pour que j'aille bouder dans ma chambre. Comme ça tu gardais le reste pour toi... Ah ! Sue... tu es une vraiment sale petite peste. Mais tu étais ma petite peste à moi...

La sonnerie de l'entrée retentit dans le penthouse. Evan se figea. Charlaine ? Non, la connaissant cela était peu probable puisqu'il lui avait dit qu'il préférait rester seul. Elle respectait toujours ses sentiments. Peut-être madame Chèvrechoux. Pourvu que ce ne soit pas par rapport à ses chats... Un carré de lumière apparut en même temps que son neshir lui murmura quelques informations relatives à la personne qui venait de sonner. Désormais, c'était comme si cette connaissance avait toujours été dans son esprit. Seul les neshirs Impériaux, c'est-à-dire, doté d'une tête d'aigle impérial en guise de pommeau, pouvait faire usage du murmure neshirien.

______________________________

Voilà, j'espère que ce chapitre vous aura plu. N'hésitez pas à laisser des commentaires sur vos impressions et de voter si ce chapitre vous a plu !

Merci encore pour votre temps, cher(e)s wattpadien(ne)s !

Ignemshirs - Tome 1 :  Fils des Cendres (ANCIENNE VERSION)Tahanan ng mga kuwento. Tumuklas ngayon