Chapitre 9 : Les Neshirs

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      — Sue... murmura Evan, en ouvrant lentement les yeux.

Son regard voilé fixa le plafond de sa chambre. Ses doigts coururent le long de son avant-bras. Sa peau nette et vierge jadis recouverte de cicatrices lui donnait encore le sentiment d'être celle d'un autre. Et pourtant ces cicatrices avaient disparu depuis presque dix ans. Elles s'étaient résorbées en l'espace de quelques jours après qu'il fût né des cendres. Après la Cérémonie de l'Association et ses douze épreuves qui avaient fait de lui un des Fils des Cendres. Un ignemshir.

Le devenir était nécessaire pour être membre du Noguem, l'Ordre des Noguemis. Survivre aux douze épreuves de la légendaire Caverne aux Épées d'Ulzayan, la Cité-Royaume, était la première étape. Lors de l'ultime épreuve, il était parvenu à soumettre l'une des épées de cendres, le neshir nommé Wazushendi, après une lutte qui l'avait éprouvé psychiquement et physiquement au point qu'il avait cru en mourir... Il n'avait que huit ans à l'époque, il avait perdu sa sœur depuis à peine quelques mois et on lui avait imposé une épreuve d'une violence si extrême qu'il lui aurait même maintenant été difficile de la quantifier. Son rapport à la souffrance avait changé depuis ce jour. Et sa colère n'avait fait que s'amplifier. Dominer un neshir était comme tenter de forcer un torrent à couler dans le sens contraire. Cela semblait impossible au premier abords...

Tous les candidats n'étaient pas ressortis vivants de la funeste cérémonie... Certains étaient devenus fous et d'autres avaient eu le cerveau grillé et n'étaient plus que des légumes... à l'âge de huit ans... Leur esprit brisé n'ayant pu supporter la pression psychique infernale exercée par les neshirs. Ces armes refusaient de se soumettre à des esprits dont la force de volonté était inférieure à la leurs. De farouches et violentes entités que ces neshirs. Les épées de cendres étaient plus que des armes... Elles étaient autres choses... Et il était lié à l'une de ces choses jusqu'à sa mort...

Il lâcha un profond soupir, le cœur lourd, alors que les souvenirs macabres revenaient à la charge.

— Idiote...

Si seulement elle n'avait pas éprouvé une telle admiration pour les guerriers du Noguem, elle serait encore en vie, à ses côtés. Ils auraient surmonté le péril et les dangers du parcours d'apprentissage des aspirants noguemis. Tous ceux qui étaient ressorti de la Caverne aux Épées avec un neshir et leur santé mentale intacte devaient prendre part à cet apprentissage périlleux. Si l'on survivait au parcours, on accédait à l'Ordre des Noguemis.

Ensemble. Ils auraient vaincu ce monde, ensemble, mais elle avait choisi de n'en faire qu'à sa tête... Et elle était morte... Il aurait pu mourir... Peut-être aurait-il dû...

Evan se redressa et regarda la date sur le mur-écran, près de sa fenêtre. C'était le jour anniversaire de sa disparition. Son estomac se noua un peu plus. Ce qui expliquait pourquoi il avait rêvé d'elle. Le jeune homme se leva vivement de son lit. Il marcha d'un pas souple jusqu'à la grande fenêtre elliptique. Elle donnait sur l'arrondissement du Moulin et plus loin, le Cimetière de Verre et de Métal. Une multitude de blocs d'immeubles de plus en plus croulants à mesure que le regard se portait au loin. Une tâche, probablement un icare, apparut dans le ciel sombre. Plusieurs éclats multicolores teintèrent brièvement les nuages surplombant les Ruines.

Une escouade de la division des Tueurs de Vents venait de défaire un Karan, une tempête de neiges bleues, un autre monstre climatique. Depuis l'Ashayshin, l'Effondrement des Cieux qui avait mis fin au règne de terreur de l'antique souverain mondial, Charles Edelweiss, le climat s'était détraqué. En plus des monstres climatiques, les saisons duraient parfois plus d'une année comme dix ans plus tôt, lors de la mort de Sue, où l'été avait persisté pendant pratiquement dix-huit mois.

Evan... je suis désolé.

Comment Princeton avait-il su qu'ils étaient sur le point d'être consumé par la Niera... Il l'ignorait toujours...

— C'est tellement facile d'être désolé quand on est plus là... murmura-t-il à voix basse, sarcastique. Toi aussi, tu devais vivre, Sue. Et comme d'habitude tu m'as refilé tout le sale boulot...

Un hologramme flottant lui annonçait trois heures du matin. Il se réveillait habituellement une heure plus tard, pour réaliser son entraînement matinal. Primordial pour son apprentissage et la maîtrise de son épée de cendres. Il consistait en un certain nombre d'exercices physiques mêlant art martial, renforcement musculaire et méditation rassemblés sous le terme ancien de Kensh'en Or'i. Cela signifiait « L'Embrasement du Tout ».

Dans un flash, la peau calcinée, le corps frêle de sa sœur s'imposa à lui. Si petite, si fragile dans les bras puissants de Princeton... Et le regard de Princeton. Le désespoir et la douleur. Comme s'il se retenait d'hurler sous les coups des émotions qui lui vrillaient, lui dévoraient le cœur. La tendresse avec laquelle il portait son corps sans vie...

Evan serra ses poings au point qu'ils tremblèrent violemment. C'était toujours aussi pénible. Aucun apaisement, malgré le temps qui passait. Il ferma les yeux, pris d'une soudaine nausée tandis qu'il avait de plus en plus de mal à respirer. Il devait absolument se vider la tête. Il sentait grandir en lui l'envie de s'isoler. De s'enfermer pour peindre. Se couper du monde pour pouvoir plus facilement s'opérer afin d'extirper cette souffrance qui lui dévorait le cœur comme une tumeur. Jusqu'à ce qu'elle grandisse de nouveau...

Sa routine... Il fallait au plus vite qu'il se plonge dans sa routine. Qu'il commence son entraînement, comme chaque matin. Sinon, il n'irait pas en cours et passerait la matinée piégé dans son atelier, entre un pinceau et une toile. Il ferma les yeux, prit une profonde inspiration, repoussant l'envie irrésistible qui le poussait à se couper du monde.

— Aller Zeek, courage. Juste un peu de courage. Je sais que tu peux le faire...

Sans surprise, ces mots n'eurent aucun effet notable sur lui. Il se sentait toujours aussi mal.

— J'en peux plus de cette vie... marmonna-t-il.

Evan arriva devant un poste-frontière. La Muraille de Verre, constituée d'épaisses plaques transparente, faite de verre incassable et hautes de près de dix mètres, se dressait entre lui et son objectif. Il aperçut une lueur à peine perceptible dans le ciel. Plusieurs même. C'étaient les drones qui la surveillaient vingt-quatre heures sur vingt-quatre. À l'époque de la mort de Sue, la Muraille était dans un état lamentable. Toutes les brèches avaient été colmatées après un attentat terroriste tristement nommée la Pacesia de Sang par la presse. La Cité-Mère de Paris-la-Nouvelle avait été frappée au cœur de ses institutions les plus symboliques, plongeant le centre de la cité dans une grande confusion. Les responsables de l'attaque, les oshaïnims n'avaient jamais été capturé.   

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Ignemshirs - Tome 1 :  Fils des Cendres (ANCIENNE VERSION)Where stories live. Discover now