Chapitre 82 : Vision

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— Ils seront tous là ? S'entendit-il demander.

— Tu appelles, ils répondent, lui répondit son meilleur ami avec un léger sourire. Ils seront tous là d'ici une demi-heure. La moitié d'entre eux est déjà dans la Salle Onyx.

— Bien, répondit-il.

Il se détourna des vaisseaux et traversa un grand appartement lambrissé pourvu de dorures, de tapis précieux et d'exquises boiseries, plongé dans la pénombre de l'éclipse. Il passa devant un grand lit en baldaquin défait et de grands tableaux en peinture mouvante. Keiji sur ses talons il sortit et traversa un grand et large couloir doté de grandes colonnes aux murs recouverts de fresques historiques. Une de la Nuit du Jugement Écarlate où un Wazakumunua au regard glacé, décapitait le Haut Seigneur de Fer de la Noble Fédération de Rangoon. Une autre représentait l'instant lors de la Guerre des Deux Soleils où le 6ème Roi de l'Aurore, Ayitchéou Koffu, alors âgé d'à peine vingt-cinq ans, avait impitoyablement réduit en cendre la totalité des seize Ouranos constituant la flotte de Don Sol, une partie de celle de son opposant Warren Thunderwalker et la cité de Paolo avec tous ses habitants. Cet évènement avait d'ailleurs marqué la fin de la guerre puisque l'un des deux belligérants était parti en fumée avec toute son armée...

Longeant un joli jardin intérieur fleuri et très bien entretenu dotés de multiples fontaines, ils croisèrent des domestiques en livrée qui leur firent des courbettes, les saluant en balbutiant, avec un mélange de respect, de crainte et d'admiration. Il ne leur accorda ni un regard, ni un mot contrairement à Keiji qui les gratifiait de temps à autre d'un signe de tête.

Son cœur débordait de tristesse. Il ne savait même pas pourquoi mais il n'y avait rien d'autre en lui que cette accablante mélancolie qui lui déchirait doucement son cœur. Il aurait aimé être ailleurs. Être sur le toit de son penthouse à Paris-la-Nouvelle à prendre des photos ou à peindre. Rien d'autre. Mais il se devait d'être là. Il n'avait pas vraiment le choix. C'était tout ce qu'il savait. Après avoir traversé plusieurs couloirs et descendu plusieurs escaliers en marbre blanc, ils arrivèrent dans un grand hall au sol de marbre rouge où quatre grandes caryatides immaculées soutenait la voûte. Ils marchèrent jusqu'à l'entrée d'une salle placée sous la surveillance de cinq Gardes de Terre. Dans leur tenue ocres bordées de noire et marqué d'un bouclier noir sur la poitrine et d'un Cercle de l'Univers marron foncé au niveau du cœur, ils s'inclinèrent avant de s'écarter devant eux.

Les lourdes portes en BoisFer coulissèrent devant lui et il pénétra dans la grande salle pourvu d'une table ronde imposante en bois massif noir gravé d'un ours sur ses pattes arrières et entouré d'une trentaine de fauteuils en cuir à haut dossier. Une partie de la quinzaine d'individu déjà présente se levèrent à son entrée. Il reconnut Lucas. Une cicatrice courait sur sa joue et il avait un bras bionique commençant au niveau du coude. Étrangement, sa vue ne créa pas en lui la colère et la répulsion habituelle. Il était même content de le voir. Ce dernier lui sourit, son regard gris, infiniment plus dur et froid qu'il ne l'avait jamais été, n'enleva rien à la sincérité de son expression. Evan lui fit un signe de tête. D'autres étaient également présents. Ceux qu'ils connaissaient, trois ou quatre, comme Keiji avaient pris plusieurs années. Ils avaient tous des armures shirag grenat marqués des armoiries de leur famille et un Cercle de l'Univers doré au niveau du cœur.

Seul les Imperators portaient un Ul 'Cirkaem doré. Il était réservé aux Hauts-Seigneurs. A son âge... à leur âge, il ne pouvait pas tous déjà être des Hauts-Seigneurs, ce n'était pas possible. Cela n'avait aucun sens. Il fixa un moment les hommes et femmes présents puis fit demi-tour sans dire le moindre mot. Il crut entendre quelques soupirs de soulagement mais il n'en aurait pas mis sa main à couper. Il remonta un moment un couloir adjacent et s'arrêta devant une grande porte recouverte d'étoiles dorées, le signe soloménique de l'éternité courant sur les deux battants. Avant qu'il n'entrât, il sentit la main de Keiji sur son épaule. Il avait oublié sa présence. Son ami était autant capable de s'effacer que de s'imposer. Il lui dit d'une voix étonnamment dure :

— A'shua Meno, ta décision est prise, je l'espère. Tu ne reviendras plus dessus... n'est-ce pas ?

— Elle l'est.

Il regarda Keiji et vit dans son regard que quelque chose avait changé. Cela amplifia sa tristesse. Ce n'était pas le regard d'un frère à un autre. Il avait l'impression que son regard d'aigle le transperçait comme une épée.

— Si jamais, tu hésites comme tu l'as fait à Persépolis. J'y mettrai un terme à ta place et...

— Tu ne pourrais pas...

— J'y mettrais un terme, Evan, même si je dois y laisser la vie. Et toi, mon cher, je ne t'épargnerai pas. Pas une autre fois.

— A'shua Meno, ma décision est prise.

Sa décision à lui aussi était prise. Il n'hésiterait pas à lui planter son neshir dans le cœur.

— Ne me trahis pas, Evan. Car je t'assure que je ne te laisserai pas une troisième occasion de te racheter. Ton hésitation lui a coûté la vie. Si tu hésites une seconde fois, ce sera au prix de la tienne. Je brûlerais ma force vitale jusqu'à la dernière goutte pour exercer ma vengeance. Tu n'en réchapperas pas...

Le Keiji qu'il avait connu. Celui qui l'aimait comme son frère, n'était plus. L'héritier du Sang d'Asano esquissa un sourire qui n'atténua pas la lueur glacée de son regard sombre et lui donna une petite tape sur l'épaule avant de dire :

— J'enverrai quelqu'un te chercher. Va donc méditer.

Au même instant un homme s'arrêta à côté d'eux, une tablette tactile à la main. Keiji le gratifia d'un regard mauvais qui le fit se crisper, avant de s'éloigner tranquillement dans le fond du couloir vers la salle Onyx. Il lui fallut un moment pour reconnaître Salman Ruhk. Derrière ses longs cheveux attachés en queue de cheval et son bouc. Il lui manquait trois doigts. Des doigts artificiels lui avaient été greffés. Sa vue ne lui inspira pas la moindre once d'antipathie. Il se sentait même un peu moins lourd :

— J'ai fini de mettre au point les derniers détails avec les Épées de Savoir des différents vaisseaux de l'Armada.

— Merci, Salman. Je suis content de pouvoir compter sur toi.

— Toujours, Evan. Qui aurait cru que tous ces évènements nous mèneraient vers ce jour.

— Si je pouvais, je ferais beaucoup de chose différemment.

— Malheureusement, cela est impossible. Et ce serait dangereux. Par ailleurs ta Katai'A'Shi vient d'arriver.

Cela signifiait « unique expression du cœur ». C'était ainsi que les Guerriers Impériaux appelaient leur femme. Il eut l'impression de ressentir quelque chose de semblable à de la joie mais sous cette tristesse, c'était difficile à dire :

— Si elle me demande, dis-lui que je suis dans la chambre méditatoire, qu'elle peut m'y rejoindre, si elle le souhaite.

— Très bien. A tout à l'heure.

Il lui fit un signe de tête et les portes coulissèrent devant lui. Il traversa un couloir sombre et déboucha dans une large pièce plongée dans le noir, uniquement éclairée par la lumière stellaire des astres lointains. Les constellations rayonnaient avec force du plafond, des murs et du sol. Il avait l'impression d'avoir quitté la terre et d'être un astéroïde dérivant dans l'espace. Au lieu d'amplifier son sentiment de solitude, cet endroit eut l'effet contraire. Il lui rappelait son père. Il enleva sa cuirasse, ses bottes et détacha sa corne à laquelle était rivé Wazushendi et la déposa au sol avec le reste de son équipement militaire. Il s'allongea sur le sol et fixa le plafond en murmurant à voix basse des passages du Mirkh'anduri, les Écrits Sacrés des Mondes Oubliés. Il sentit la tristesse refluer comme la marée sous l'influence de la lune et une paix étrange l'envahit.

Soudain, il entendit les portes s'ouvrirent et des pas résonnèrent dans le couloir. Il se redressa lentement et dit d'une voix chaleureuse, toute morosité envolée :

— Katai'A'Shi...

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Ignemshirs - Tome 1 :  Fils des Cendres (ANCIENNE VERSION)Where stories live. Discover now