Evan se rassit sur le divan d'examen en passant ses mains lasses sur son visage, penché en avant et remonta, les doigts glissant sur sa crinière désordonnée, jusqu'à sa nuque. Il fallait qu'il chasse toutes ces images de sa tête, tout ce qu'il avait ressenti. Ses paroles résonnaient encore à ses oreilles. Comme des poignards, il lui transperçait le cœur.
— Saleté ! jura-t-il.
Elle savait bien qu'en disant ces paroles, elle lui ferait plus mal maintenant qu'avant. Tessa s'était bien jouée de lui. Comme un abruti, il s'était fait avoir. Il n'aurait jamais dû accepter de venir ici. Cette souffrance... Pourquoi devait-il se trainer une telle malédiction ? Déjà que pour un être humain normal, ce genre de situation engendrait une douleur émotionnelle intense. Lui devait la subir en dix fois pire, à cause de ce qu'il était. De sa nature. Il eut brusquement du mal à respirer. Il essaya de se calmer. Il mit plusieurs secondes avant de reprendre le contrôle de lui-même. Quelle idée de l'avoir choisi, elle ? Une pareille vipère. Et pourtant il l'avait aimé si fort. C'était comme s'il devait de nouveau s'amputer d'un membre. La souffrance qui lui vrillait la poitrine se tassait. Il allait y arriver. Il avait travaillé sur lui-même. Il allait y arriver. C'était déjà terminé depuis trois mois. Il n'y avait plus de retour en arrière... Le regard vide, il murmura d'une voix monotone, des vers lût quelques années plus tôt, qui lui revinrent en tête à cette instant :
- Il est un feu dans ce monde, ces mornes ténèbres
Dont la nature volatile mais mortelle
Dont les éclats fuyant, ombres frêles, vils et funèbres
Nous condamnent, pauvres mortels à une fin triste mais belle.
Il se fit la réflexion qu'elle serait surtout triste. Pitoyable même.
Le moment de vérité était sur le point d'arriver. Le rendez-vous écrit à l'encre invisible sur l'une des cartes était prévu dans la soirée. Il aurait au moins le sentiment d'avoir un peu avancer lorsqu'il mettrait un nom et un visage sur le poseur de carte.
Il mit ses mains dans ses poches et sortit dans le couloir en boitillant légèrement. Il lui restait environ deux heures avant l'entrevue, suffisamment de temps pour se changer les idées parce qu'il en avait vraiment besoin. Il allait se reposer tranquillement chez lui après avoir accompagné Keiji chez un énième scientis qui ne saurait probablement pas quoi faire pour lui et il prendrait quelques photos avant de rencontrer le mystérieux poseur de carte.
Quand Evan et Keiji sortirent de l'immense gymnase au toit bosselé qui abritait les locus, et la Fourmilière en son sous-sol, ils tombèrent sur Charlaine, emmitouflée dans une grosse écharpe blanche en laine, un bonnet à pompon sur la tête et chaudement couverte par un élégant manteau marron doublé de fourrure. Il neigeait et le temps avait été particulièrement humide et glacial au cours des deux derniers jours. Un épais brouillard s'était levé sur Paris-la-Nouvelle et persistait. Il y avait eu plusieurs alertes aux Karans à la périphérie de la cité, non loin de son quartier.
— Vous avez trainé, leur dit-elle avant de serrer Evan contre elle. Tessa m'a prévenu pour l'incident. Ça va ?
— Ouais, ne t'en fait pas. Une petite égratignure.
— Mais bien sûr, fit Keiji sarcastique. Cet abruti avait les viscères à l'air. Je crois avoir aperçu son foie...
Evan sourit sombrement. Alors qu'ils se mettaient en marche vers le Bois aux Lunes, apercevant par-dessus la cime des arbres, le toit en coupole du corps de logis de la schola, Charlaine proposa :
— Je n'ai rien de prévu après alors si jamais ça vous tente, on pourrait faire quelque chose ? Je crois qu'il y a le spectacle d'acrobatie aéro-aquatique du Cirque de Quin diffusé en prime time dans le début soirée. Ça peut être sympa.
— Pourquoi pas, mais avant ça, je vais emmener Evan voir un ami à mon père. Et tu viens avec nous, bien entendu.
— D'accords, qui est-ce ?
— Le plus grand expert en mécanique arkarienne du continent.
— Oh, vraiment ? S'exclama Charlaine les yeux pétillants, sachant de qui ce dernier parlait. Je ne manquerai cela pour rien au monde.
En forme de sablier, le gratte-ciel abritant le siège de la société de bio-ingénierie neshirienne, Eusofia, se dressait avec assurance dans le 4ème arrondissement de Paris-la-Nouvelle. Vu de l'extérieur, l'hologramme ultra-réaliste d'une cascade de sables tombait en continue de la partie supérieure du sablier et elle alimentait une dune, haute de quatre étages, contenue dans sa partie inférieure. Evan l'apercevait tous les matins en se rendant à la schola.
Alors qu'ils arrivaient devant les gigantesques portes vitrées de l'entrée du gratte-ciel créant un trou dans la dune de sables, Keiji lui expliqua qu'il avait eu l'intention de l'emmener voir son père au préalable mais ce dernier qui était absent depuis bientôt un mois, n'était pas près de rentré. Et comme sa situation s'aggravait plus vite qu'il ne l'avait supposé, il avait fait le choix d'aller directement voir l'ami de son père. Car même si son père n'était pas un grand mécanicien arkarien, il était un brillant magister scientis. Keiji était convaincu qu'il aurait sûrement pu trouver ce qui aurait échappé à Tessa. Avec celui qu'il venait voir, il en était fermement convaincu. Evan l'espérait, bien qu'il en doutât fortement.
Quatre réceptionnistes derrière des comptoirs en forme de croissant de lune gris et épurés accueillaient les visiteurs. Keiji, suivit d'Evan et de Charlaine, s'arrêta devant l'un des comptoirs et dit :
— Je viens voir le directeur du pôle de mécanique arkarienne, le magister Jasper...
— Avez-vous un rendez-vous ? Demanda une jeune fille au chignon blond, dans le milieu de vingtaine, les yeux fixés sur son R-Tatoo-Tab.
— Non, mais...
— Si vous n'avez pas de rendez-vous je suis dans le regret de...
— Endo, coupa Keiji d'une voix sèche. Dites à sa secrétaire, madame Sovari, que monsieur Endo aimerait lui parler et que c'est très urgent.
Elle leva pour la première fois les yeux et écarquilla les paupières en reconnaissant celui qui s'adressait à elle.
— Mais vous êtes...
— Oui, et si d'ici... Il fit mine de regarder une montre imaginaire. Dix secondes je n'ai pas mon rendez-vous. Je peux vous assurez que vous serez virez avant la fin de la journée.
— Je... je suis... désolé... balbutia-t-elle pressant précipitamment un patch auditif fixé à ses tempes. Bonjour madame Sovari. Monsieur Endo aimerait en urgence rencontrer... Oui... Très bien... je...
On venait sûrement de lui raccrocher au nez car elle ne finit pas sa phrase.
— Vous êtes attendu à l'étage 100, dit-elle d'une voix mal assurée sans regarder Keiji mais en fixant Charlaine qui devait lui sembler plus sympathique et peut-être plus rassurante.
Un homme en costume sable vint à leur rencontre et les invita à le suivre. Keiji esquissa un sourire mutin alors que la réceptionniste fixait ses mains. Elle les fixait encore lorsque les portes de l'ascenseur tubulaire se fermèrent sur eux après que l'opérateur ait demandé le centième étage. Moins d'une minute plus tard, après une salutation polie de l'opérateur d'ascenseur, les portes s'ouvrirent sur un long et large couloir tapissé de moquette épaisse brun clair. Une dame vêtue d'un tailleur couleur sable les accueillit avec un sourire qui se voulût accueillant mais qui s'avéra surtout tristement artificielle. Ils la suivirent dans le couloir bordé de grandes parois vitrées donnant sur des bureaux occupés par des ingénieurs et des scientis vêtus de leur blouse bicolore. Ils s'arrêtèrent devant deux grandes portes closes au bout du couloir.
— Il va vous accueillir d'ici peu, leur assura-t-elle en leur désignant des fauteuils en dégradé de marron, à l'aspect de grosse soucoupe plus ergonomique qu'il n'y paraissait.
Installé confortablement face à une vaste baie vitrée, le regard d'Evan s'attarda sur le Cimetière de Verre et de Métal que l'on apercevait au loin. Il apparaissait comme une tâche sombre engloutit par le brouillard . Le ciel bleu foncé légèrement rosé à l'horizon était partiellement couvert. Les gratte-ciels jaillissaient de la brume. La Tour de la Nuit qu'il avait escaladé à main nue avec Keiji lorsqu'ils étaient plus jeunes et dont lesommet semblait disparaître dans les nuages, dominait ses confrères. Les arrondissements brillaient de leur lumières multicolores et auréolées. A l'horizon, au-delà de la Muraille de Verre, les Ruines difficilement discernables, étaient cachées par une épaisse couche de neige et de ténèbres.
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