Livre III : Chapitre 35
La lumière qui submergea Lym et ses amis après celle qui les avait conduits au souvenir de Shay était bleue, et tout à coup ils se retrouvèrent à Eleuth, devant le magnifique arbre. Le ciel était d'un bleu luminescent dénué de nuages et même de soleil, mais la pelouse était tout de même baignée de la lumière dorée du soleil. Il faisait bon, sans qu'ils puissent pour autant sentir la température dans un souvenir ; mais l'on pouvait voir des élèves qui se baignaient dans la mer et s'éclaboussaient sur les plages en riant. Non pas qu'il fasse jamais mauvais sur Eleuth.
Lym regarda autour d'elle, sourcils froncés. Elle reconnaissait évidemment le paysage, mais elle essayait davantage de situer l'époque où ils se trouvaient. Il s'agissait probablement de son souvenir à elle ; après tout, ses meilleurs souvenirs avaient eu lieu à Eleuth. Mais lorsqu'elle vit, sur le terrain d'entraînement, une jeune Cléandra sourire brillamment, ses cheveux relevés en deux couettes de petite fille, elle sut que ce n'était pas son souvenir. Elle n'avait jamais connu Cléandra si petite et souriante.
Elle en eut la confirmation lorsqu'elle entendit un rire familier derrière elle. En se retournant, elle put voir Larrow et un garçon qu'elle ne reconnaissait pas, avançant vers le terrain d'entraînement, un grand sourire sur les lèvres.
Larrow était, comme Cléandra, étrangement heureux. Son sourire était immense et éclairait tout son visage, et Lym ne l'avait que rarement vu sourire aussi brillamment. Ses cheveux étaient un peu plus longs qu'à présent, et ses yeux aujourd'hui intimidants froids comme des lames de glace pétillaient d'allégresse. Ses traits étaient plus jeunes, enfantins, et détendus. Il devait avoir au grand maximum quinze ans. Moins, probablement, mais Lym ne pouvait pas être sûre. À côté de lui se tenait un garçon qui lui était, croyait-elle, inconnu, mais qui avait quelque chose, dans les traits et la mâchoire, d'étrangement familier. Il lui fallut un moment pour enfin le reconnaître. Avec ses boucles noires et ses yeux d'onyx, sa peau foncée et son immense sourire, Abel Seymour était bien plus vif et rieur dans les lointains souvenirs de Larrow que lorsqu'elle l'avait vu dans la vraie vie. Tous deux semblaient tellement plus heureux et jeunes que c'en était presque douloureux. Larrow avait placé son épée sur son épaule et avançait nonchalamment vers le terrain d'entraînement où se trouvait Cléandra. Il avançait d'un pas plus svelte, moins raide et militaire que celui que lui avait probablement fait pratiquer Cave depuis. Abel, lui, tenait un arc, et avait un carquois à la taille. Les deux garçons plaisantaient et pouffaient en se donnant de petits coups de coude amicaux.
Lorsqu'ils furent arrivés sur le champ de bataille, Cléandra fit un signe à Larrow, qui le lui rendit. Le grand sourire d'Abel se transforma en petit sourire en coin, tandis qu'il donnait un coup un de coude taquin à son ami. Larrow leva les yeux au ciel, l'air amusé.
- Quoi, encore ?
- Allez, même toi, tu peux pas être aveugle à ce point. Elle a clairement des sentiments pour toi.
- Cléandra a des sentiments ? dit Larrow en prenant un air exagérément choqué.
Abel se mit à rire, laissant tomber sa tête en arrière puis donnant un nouveau coup de coude à son ami, qui le repoussa d'une bourrade avec un sourire.
- Je suis sérieux, abruti ! Regarde-la ; elle est trop contente de te voir !
- Elle est contente de voir quelqu'un qui a un minimum de talents en escrime, oui, rétorqua Larrow en agitant son épée devant lui. Elle doit s'ennuyer à n'affronter que des nuls comme toi.
- Oh, la ferme, je te battrais au tir à l'arc n'importe quand.
- Peut-être, mais le tir à l'arc, c'est mille fois moins utile que l'escrime !
- Tu vas pas recommencer ! protesta Abel en pestant dans sa barbe.
- Quoi ? C'est vrai ! Toi, tu peux être à court de flèches. Moi ? Je peux pas être à court de lames, c'est débile.
- Ton épée pourrait se casser, et tu ferais quoi, alors ?
- Elle va pas se casser, n'importe quoi ! Par contre, ton stupide bout de bois pourrait éclater en morceaux à tout moment.
- Ouais, ouais, c'est ça. Astra et moi, on t'écraserait n'importe quand.
Abel brandit victorieusement son arc, et Lym en déduisit qu'Astra était l'arme décorée de fils dorés. Larrow pouffa de rire en agitant sa propre arme devant Abel d'un air faussement menaçant.
- Bien sûr, Abby, continue à dire ça si ça te rassure. Tu sais très bien que Draksaura et moi, on te battra en cinq minutes, grand maximum. Quand tu seras à court de flèches, ne vient pas te plaindre auprès de moi...
Abel prit un air exaspéré qui fit rire Larrow, et ils arrivèrent enfin dans le terrain d'entraînement, où Markus Luis montrait à Cléandra la meilleure manière de tirer à l'arbalète.
Tous était tellement plus jeune, plus joyeux. Abel ; Cléandra ; Larrow, évidemment ; même Markus, qui n'était probablement pas encore un espion à la solde de Drake à l'époque. Si Larrow avait à ce moment-là quinze ans, alors ce n'était que quatre ans plus tôt, et il avait alors l'âge qu'avait eu Lym lorsqu'elle était arrivée à Eleuth. Pourtant Lym ne pouvait s'empêcher d'être choquée par son air juvénile et heureux. Elle aurait dû s'y attendre, évidemment. Elle ne pouvait pas continuer à avoir l'air choqué à chaque fois qu'elle voyait un souvenir et trouvait ses amis et elle-même plus jeunes qu'à présent ; il n'était que logique qu'ils aient grandi, mûri et changé depuis. Mais c'était tout de même frappant de voir ce que quelques petites années pouvaient faire à quelqu'un.
Dans ce souvenir, si Larrow avait quinze ans et se baladait joyeusement à Eleuth avec Abel et Cléandra, alors Shay et Kosh avaient quatorze ans et se jetaient des boules de neige dans la clairière séparant leurs maisons. Lym et Sofy avaient douze ans et allaient encore à St Exupéry. Mar avait aussi quinze ans et avait à peine commencé le lycée. Quant à Elyra, elle n'avait que onze ans, et devait ressembler à sa jeune sœur Nina aujourd'hui qui avait cet âge-là dans le présent.
Lym serait bien restée un peu plus longtemps à méditer sur ce passé qui lui paraissait si lointain, et à en croire l'air nostalgique et triste de Larrow, lui aussi. Mais Elyra les arracha à leur béatitude, venant se placer juste en face de ses amis.
- Larrow ? appela-t-elle. On doit se dépêcher. Tu dois trouver la différence entre ton souvenir et cette imitation pour qu'on puisse dépasser tout ça.
Larrow se tourna vers elle, le regard vide et incertain, puis il sembla redescendre sur terre et secoua la tête pour se remettre les idées en place. Il toussota, et finit par dire doucement ;
- J'ai appelé mon épée Draksaura, alors que je ne lui ai donné ce nom qu'à la mort d'Abel lorsque j'ai juré de tuer Drake. À l'époque, elle s'appelait encore Saura.
Comme toutes les fois précédentes, la lumière bleue les aveugla, émanant du ciel jusqu'à ce qu'ils ne puissent plus soutenir sa clarté. Ils fermèrent les yeux pour éviter l'aveuglement, et lorsqu'ils les rouvrirent, Eleuth avait disparu, et ils étaient à nouveau au milieu du néant noir.
La petite lumière qui flottait un peu plus loin, cette fois, était d'un joli vert émeraude. Comme Elyra, Kosh, Shay et Larrow avaient déjà pu voir leurs pires ou leurs meilleurs souvenirs, Lym supposa que c'était à son tour. Et effectivement, alors que la petite luciole verte s'éloignait en flottant de tous ses amis lorsqu'ils essayaient de s'en approcher, elle ne fuit pas Lym lorsqu'elle essaya. Effleurant la lumière du bout des doigts, elle fut submergée par la lumière verte et attendit l'inévitable. Que verrait-elle ? Ses bons vieux souvenirs avec Mar et Sofy, en Angleterre, lorsqu'elle fréquentait encore les visages caecus et allait à St Exupéry ? Certainement pas. Les meilleurs moments de sa vie étaient venus lorsqu'elle avait été mise au courant de l'existence des Dragomirs. Les pires aussi. Alors probablement se verrait-elle avec ses amis en train de s'entraîner à Eleuth, ou bien lorsqu'ils avaient rencontré Sofy, peut-être. Si c'était son pire souvenir, alors ce serait probablement la mort de Mar ou de Sofy qui se jouerait devant ses yeux.
Cependant, la scène qu'elle attendait n'apparut pas. À la place, tous les cinq se retrouvèrent dans une salle décorée de tableaux coûteux, un tapis recouvrant le sol et un feu vert crépitant dans l'âtre. Tous les cinq regardèrent autour d'eux, ébranlés.
- Tu connais cet endroit, Lym ? demanda Elyra en inspectant le tapis bordeaux sous ses bottes.
- Certainement pas, répondit Lym en fronçant les sourcils, cherchant elle aussi quelque chose autour d'elle qui lui indique où elle se trouvait. Je ne suis jamais venue ici. Ça ne peut pas être mon souvenir.
- Sérieusement ? soupira Shay. Je voulais voir le replay de ton meilleur souvenir, moi ! Ha, je suis sûr que je suis dedans.
- Alors là, pas de risque, se moqua Lym.
Bien sûr qu'il serait dedans, songea-t-elle en même temps qu'elle niait fermement. Shay prit un air boudeur, mais il savait qu'elle ne faisait que le taquiner.
Tandis que Kosh fronçait les sourcils devant le crâne posé au-dessus de la cheminée et que Shay arrachait des fils du tapis pour les jeter au milieu des flammes, Larrow fit le tour de la pièce. Il n'y avait pas de fenêtres, mais une imposante porte à double battants en bois massif.
Il essaya de pousser la porte pour l'ouvrir, mais elle ne céda pas, même lorsqu'il s'appuya dessus de tout son poids. Elyra le fit se décaler, et sortit un fil de fer pour essayer de crocheter la serrure, mais alors qu'un cliquetis lui indiquait qu'elle était sur le point de s'ouvrir, le fil de fer se mit à rougeoyer et fondit. Le liquide rouge coula entre ses doigts sans la brûler, et Elyra fixa ses mains, stupéfaite.
- C'était vraiment le bon moment pour utiliser les Enflammires, Lyra ? l'interpela Lym, mais Elyra secoua la tête, l'air troublé.
- Je n'ai rien fait !
- Ce sont les Sphinx, intervint Kosh. Pour une raison ou pour une autre, ils veulent qu'on reste ici.
- Poussez-vous, dit Larrow en sortant un pistolet.
Ils s'écartèrent de devant la porte pour éviter la détonation, mais alors que Larrow visait soigneusement la serrure pour la faire exploser, de petites plantes se mirent à pousser sur l'arme. Il fronça les sourcils et essaya de tirer, mais la balle ne sortit pas, étouffée par une vrille. Des feuilles recouvraient le pistolet, poussant en accéléré, jusqu'à ce que Larrow doive lâcher le pistolet, du lierre commençant à s'enrouler autour de ses bras. Troublé, il chassa les feuilles qui avaient bourgeonné sur ses mains, regardant ses amis à la recherche de réponses qu'ils ne pouvaient pas lui fournir.
Kosh leva les mains, qu'il recouvrit de flammes, et les colla contre la porte, mais elles ne s'incendièrent pas comme ils s'y seraient attendus. Au lieu de tomber en cendres, les portes se contentèrent de rougir, mais sans pour autant se briser. Ils se regardèrent les uns les autres, l'air encore plus abasourdi, et Lym se demanda si elle aurait à se servir de ses pouvoirs. Elle devait avouer qu'elle était un peu réticente. Voir que Larrow avait peur de ses capacités et que Cave considérait qu'elles lui vaudraient la mort avait un peu refroidi son enthousiasme à l'idée de s'en servir.
Heureusement, Shay s'avança à son tour, l'air déterminé.
- Je m'en occupe. Le feu est assez brillant pour que je me change en Ange, et j'aurais qu'à me téléporter de l'autre côté et vous ouvrir la porte.
Il ferma les yeux, se concentrant, et après quelques instants, il se mit à étinceler d'une lueur dorée. Peu à peu, des ailes blanches comme la neige se déplièrent dans son dos, et il plissa le front. Une lumière blanche commença à briller sur ses doigts, remontant sur ses bras jusqu'à ses épaules.
Juste au moment où elle allait atteindre son cœur et le téléporter, le feu s'éteignit brusquement en crachotant. Les ténèbres remplirent la salle, et Shay poussa un cri de douleur, ses ailes disparaissant aussitôt tandis qu'il reprenait forme humaine. Dès que ses ailes se furent totalement repliées dans son dos, le feu vert se ralluma, et ils purent voir que son visage était égratigné et maculé de poussière dorée. Lym s'avança vers lui et passa une main sur sa joue pour évaluer la gravité de la blessure, mais ce n'était pas trop sévère.
- Ils ne veulent vraiment pas qu'on s'échappe, dit Elyra sombrement.
Kosh alla taper sur la porte pour voir si leurs efforts l'avaient ne serait-ce qu'effleurée, mais elle n'avait pas bougé d'un poil, toujours intacte. Même les traces de brûlure laissées par les mains enflammées de Kosh avaient disparu.
- Comment on va faire pour sortir d'ici ?
- Ils pourraient être en train de pactiser avec les Faucons en ce moment même. On doit les arrêter ! gronda Shay avec véhémence, mais Larrow secoua la tête, résigné.
- Les Sphinx sont trop puissants pour que quoi que ce soit que l'on fasse ne puisse les contrer. S'ils ont décidé de garder cette porte fermée, alors elle restera fermée.
- Oh, vraiment ? intervint Lym, résignée à devoir s'occuper du problème. Et sont-ils plus puissants qu'une Irisa ?
Il y eut un silence, durant lequel ils la regardèrent avec des expressions totalement différentes, jusqu'à ce que Kosh dise ;
- Techniquement, la dernière fois que les Sphinx se sont manifestés sur terre, les Irisas n'avaient pas encore été inventés. Donc on n'en sait rien.
- Ça vaut le coup d'essayer, ajouta Elyra d'un air approbateur.
Larrow, lui, se contenta de plisser les yeux, attendant un résultat. Avant, lorsqu'il prenait cette expression, Lym se disait que c'était parce qu'avec son esprit scientifique et stratégique, il était seulement curieux. À présent, elle se demanda s'il essayait de voir si elle était dangereuse.
Elle hésita un peu, mais lorsqu'elle se tourna vers Shay en quête de réconfort et qu'il lui adressa un grand sourire et deux pouces levés, elle alla se placer devant la porte, retrouvant toute sa détermination. Ses yeux se mirent à briller de rouge.
- Je parie dix euros qu'elle va réussir, souffla Shay en donnant un coup de coude à Kosh.
Un léger sourire faillit faire son chemin sur les lèvres de Lym, mais elle se reprit et se concentra. La lumière rouge qui l'enveloppait lorsqu'elle se servait de ses pouvoirs se mit à couler de ses yeux comme des larmes, et s'enroula autour de ses bras comme deux serpents. Puis les longues bandes d'écarlate étincelant flottèrent vers la porte, cherchant prudemment une résistance.
Il y avait effectivement une sorte de charme autour de la porte, comme un bouclier invisible, pulsant de manière régulière tel un cœur qui bat. Les rubans de lumière touchèrent la surface vibrante du mur, glissant dessus, appuyant à certains endroits pour tester la résistance de la paroi. Les pulsations semblèrent s'accélérer en sentant ce nouvel adversaire, lui prouvant que le bouclier avait conscience de sa présence. On aurait presque dit un enchantement vivant qui répondrait à ses faits et gestes comme un animal en colère.
Elle essaya de culminer ses pouvoirs en un point précis pour essayer de percer la carapace. Une sorte de lame rouge et tournoyante se forma et commença à presser la surface, et Lym crut entendre un petit cri de surprise derrière elle, mais elle était trop concentrée pour se soucier de la réaction de ses amis. La lame de lumière sembla enfin briser le bouclier, mais à ce moment celui-ci se mit à battre plus vite. Lym pouvait presque entendre le bruit d'un battement de cœur qui n'était définitivement pas le sien. Soudain une vague de rouge sortit de sa lame pour s'étendre sur toute la surface invisible, comme des ondes sur un lac lorsque l'on lançait un caillou dedans. Le bouclier sembla s'ébranler, et envoya une décharge, chassant la brume. Lym sursauta, ses doigts fourmillant d'électricité statique et ses pouvoirs se retirant brutalement, mais elle se calma et écouta sans tenter une nouvelle attaque les battements de cœur jusqu'à ce qu'ils aient retrouvé un rythme régulier. Apparemment, essayer de faire un travail progressif et délicat état inutile contre le bouclier. Elle prit une profonde inspiration, et rappela ses pouvoirs à elle. Les rubans de brume revinrent à l'intérieur de son corps.
Elle fit l'effort d'amasser ses pouvoirs dans un point précis, culminant sa magie au niveau de son cœur. Elle essaya de caler ses propres battements de cœur avec les pulsations de la barrière invisible, et, à ce qui lui sembla être le moment propice, prit une profonde inspiration. Elle retint son souffle aussi longtemps que possible.
Lorsqu'elle n'en put plus, elle relâcha sa respiration, et son emprise sur ses pouvoirs en même temps. Elle expira au moment ou une véritable vague vibrante de pouvoir rouge s'échappait d'elle ; ses amis basculèrent en arrière et tombèrent par terre, déséquilibrés. Une deuxième onde rouge s'échappa de son cœur, aussi dévastatrice que la première ; le bouclier commença à se désagréger, battant de plus en plus vite, comme s'il pouvait sentir sa fin arriver. Une dernière vague de puissance finit d'annihiler la barrière, qui fondit comme neige au soleil.
Lym rouvrit les yeux, qu'elle n'avait pas réalisé avoir fermés. D'un point de vue extérieur, la porte semblait toujours pareille, mais elle était sûre d'avoir détruit le charme. Lorsqu'elle fit un geste de la main vers les portes, elles s'ouvrirent tout de suite. Elles donnaient sur un néant noir et obscur, comme les portes du Temple, mais Lym n'en était pas moins fière du résultat. Elle se tourna vers ses amis, qui se redressaient après être tombés, et leur adressa un petit sourire, attendant avec appréhension leur réaction.
- Je vous l'avais dit ! s'écria Shay en lui tapotant le bras d'un air ravi. Cette stupide porte ne faisait pas le poids face à l'incroyable Lymie Alley.
- C'était super impressionnant ! commenta Elyra en hochant énergiquement la tête.
Lym remarqua que Larrow et Kosh semblaient toujours tendus, mais les réactions positives d'Elyra et de Shay qui lui adressaient à présent de grands sourires encourageants la rassura quelque peu. Peut-être qu'elle pouvait vraiment se servir de ses pouvoirs, Irisa ou pas, pour faire le bien.
Shay s'approcha de l'étendue noire, et passa une main au travers, méfiant. Lorsqu'il la ramena à lui, elle était toujours intacte, ce qui devait être bon signe.
- À votre avis, qu'y a-t-il de l'autre côté ? demanda Kosh en s'approchant à son tour.
- Je ne sais pas, mais quoi que ce soit, les Sphinx ne veulent pas que l'on y parvienne, dit Lym. Donc il faut qu'on y aille, non ?
- Je suppose. Faire le contraire de ce qui nous est dit, c'est un peu ce qu'on fait toujours, de toute façon.
Elyra hésita un instant, enfonçant le bout de ses bottes dans le néant avant de les ramener, jusqu'à ce qu'elle trouve enfin le courage de s'avancer et que tout son corps entre en contact avec les ténèbres. Elle disparut dans l'obscurité. Larrow lui emboîta le pas et disparut à son tour. Lym, Shay et Kosh échangèrent un regard.
Ils passèrent par la porte.
Il fallait avouer que la salle était assez impressionnante. Si les Sphinx devaient avoir une qualité, à part peut-être leur surpuissance, c'était leur art pour le dramatique. Car s'ils pouvaient vraiment, comme le disaient les légendes, créer un tout nouvel environnement à leur guise, dans ce cas ils auraient pu se bâtir un joli petit chalet, une salle de jeux, une bibliothèque ou un café. Mais non, bien sûr qu'ils devraient se construire un gigantesque temple semblable à ceux que dédiaient les grecs à leurs dieux. Bien sûr. Lym décida que si un jour elle devenait une entité mythique surpuissante, elle n'irait pas s'inventer des monuments qui étaient si grands que c'en était nauséeux. Elle créerait une jolie réplique de Poudlard grandeur nature et n'en sortirait plus jamais, parce qu'elle n'aurait qu'à se téléporter des pizzas pepperony dans la salle commune des Gryffondors. Comme ça, au moins, elle n'embêterait pas de pauvres Dragomirs avec ses histoires de grandeur et de pouvoir.
Tout ça pour dire que l'intérieur du Temple Sphinx était grand.
Il n'y avait qu'une seule salle – semblait-il, du moins, puisque Lym et ses amis avaient eu la grande joie de visiter le foyer aux portes inouvrables. Mais cette salle était si gigantesque que l'on aurait pu y loger plusieurs châteaux médiévaux, empilés les uns sur les autres comme se voisinant côté à côte. Des colonnes de marbre blanc et doré étaient alignés dans l'immensité de la salle, décorées de symboles d'or et de gravures sinueuses. Les colonnes semblaient s'étirer à l'infini à leur gauche et à leur droite, comme s'ils avaient pu marcher au milieu de cette forêt de marbre jusqu'à mourir de fatigue. Derrière eux, la lumière d'un soleil qui aurait pourtant dû s'être couché depuis longtemps traversait l'unique salle, les éblouissant s'ils essayaient de regarder derrière eux. Mais la vive lumière faisait étinceler les symboles d'or sur les colonnes et faisait s'étirer leur ombre par terre. Le sol lui-même était une véritable œuvre d'art ; ciselé de fins dessins et de mots en langues disparues depuis longtemps, il racontait en lui seul une histoire. Des récits d'Anges vengeurs, de dragons rebelles et de territoires inconnus étaient tracés par terre, et si le sol était ainsi taillé partout dans la salle, alors il pourrait raconter tous les destins de tous les hommes de la terre et ne pas pour autant manquer d'espace tant la salle était grande.
En levant les yeux, là encore, Lym ne pouvait même pas voir de plafond. Les colonnes montaient si haut qu'elles se perdaient dans une brume blanche et brillante. Peut-être l'endroit était-il si gigantesque que des nuages s'y étaient formés. Elle crut voir des ailes blanches et dorées au milieu de la brume, qui devaient être gigantesques si elle pouvait les voir à une telle hauteur, mais ses yeux refusaient de rester concentrés sur pareils détails. De même, elle ne pouvait pas lire les secrets taillés dans le marbre du sol sans détourner le regard. Si elle avait pu suivre des yeux les récits que relataient les parterres et les colonnes du Temple, elle y aurait sans doute trouvé les réponses à toutes les questions de l'univers. Mais l'endroit gargantuesque était rempli d'une douce lumière qui faisait divaguer les esprits, qui donnait sommeil tout en éveillant tous les sens, et qui empêchait à qui que se soit de se concentrer sur des détails de leur entourage. Un parfait schéma de vérité que l'on ne pourrait pas déchiffrer, un piège de savoir qui vous laissait dans l'ignorance.
Les amis de Lym semblaient plongés dans la même sorte de transe fascinée qu'elle. Kosh passait distraitement une main sur la surface lisse de la colonne la plus proche, traçant du bout des doigts les symboles dorés. Larrow essayait désespérément de déchiffrer les écritures tracées dans le sol, sachant sans doute que lui, si curieux, pourrait y trouver toutes les réponses à toutes ses questions, mais comme Lym, il ne parvenait pas à suivre l'histoire sans se perdre. Ses yeux suivaient une ligne et, le temps qu'il soit parvenu au bout, il avait oublié où elle avait commencé, même si elle ne faisait que quelques centimètres. Elyra, elle, s'était adossée à la colonne que Kosh détaillait doucement du bout des doigts.
Shay, pour une raison ou pour une autre, avait déployé ses ailes d'Ange derrière lui. Lym voulut lui demander pourquoi, mais il dodelina de la tête avec un air perdu, et elle comprit que ce n'était pas intentionnel. Apparemment le simple fait de se trouver dans cette salle avait fait s'ouvrir ses magnifiques ailes. Le bout de ses plumes blanches comme la neige effleuraient le sol de marbre tandis qu'il s'éloignait un peu d'eux à pas lents.
Lym fronça les sourcils en réalisant que ses amis étaient très concentrés sur leurs différentes tâches – inspecter les symboles de la colonne, essayer de déchiffrer les inscriptions du sol – comme s'ils s'y étaient attelés depuis plusieurs minutes. Elle-même n'était pas vraiment sûr de depuis combien de temps elle admirait ses alentours. Et s'ils étaient restés à divaguer durant des heures sans le remarquer ? Elle avait l'impression qu'elle n'avait défoncé la porte que quelques minutes plus tôt, mais elle commençait à croire que dans cet endroit tout était possible, même le plus fou et improbable – surtout le plus fou et improbable, en fait.
- Depuis combien de temps sommes-nous ici ?
Elyra, Kosh et Larrow levèrent un à un les yeux vers elle, l'air un peu troublés. À leur tour, ils froncèrent les sourcils en réalisant qu'ils avaient perdu toute notion du temps. Elyra sortit son téléphone de sa poche et secoua la tête.
- Il ne fonctionne pas. Il refuse de s'allumer. Et ma montre s'est arrêtée lorsque nous sommes entrés dans le Temple.
- Mon téléphone ne marche pas non plus, avoua Kosh.
Larrow et Lym essayèrent aussi, mais aucun des appareils qui pourraient leur indiquer le temps ne semblait fonctionner. Lym se tourna vers Shay, qui s'était un peu éloigné et regardait le ciel où se perdaient les colonnes avec un air intéressé.
- Shay ! Est-ce que ton téléphone marche ?
- Non, il se s'allume pas, répondit-il sans se tourner vers elle.
- Alors on n'a aucune façon de savoir depuis combien de temps on est restés là à ne rien faire, soupira Kosh.
- Eh bien, cela dépend du temps auquel tu penses. Le temps du Temple et le temps de l'extérieur s'écoulent très différemment. Les deux n'ont rien à voir l'un avec l'autre.
- Quoi ?
Shay se tourna vers elle. Lui-même avait l'air troublé par son propre savoir, les sourcils froncés. Lym remarqua alors que ses yeux avaient perdu leur couleur marron foncé pour devenir d'un or pur.
- Je... Je sais pas d'où je sors tout ça. C'est la lumière qui...
Il sembla hésiter à aller jusqu'au bout de sa pensée, mais Lym lui fit un petit signe d'encouragement.
- On dirait une phrase tirée d'un mauvais épisode de My Little Pony, mais... c'est la lumière qui me l'a dit. Je crois.
Lym continuait de regarder à ses yeux nouvellement dorés. C'était une très belle couleur, très féerique et irréelle, mais elle voulait voir ses iris reprendre leur brun foncé habituel. Elle préférait la couleur normale et chaleureuse de ses yeux.
- Et la... lumière te dit-elle combien de temps on a passé ici, monsieur la licorne de My Little Pony ? demanda Elyra.
Il sembla prêt à répondre par la négative, mais les paroles qui sortirent d'entre ses lèvres étaient très différentes, et lui-même en parut surpris.
- Du point de vue de l'extérieur, trois minutes et vingt secondes sont passées depuis qu'on est entrés dans le Temple. Selon la chronologie de l'intérieur du Temple, ça fait deux heures, trente-deux minutes et quarante-neuf secondes que nous sommes dans cette salle. Mais le temps varie selon le point du Temple où nous nous trouvons.
Ils le regardèrent, abasourdis, tous surpris – Shay y compris – par la précision de ses réponses.
- Eh ben, marmonna Lym. La lumière est très ponctuelle.
- Je n'arrive pas à déchiffrer ce qui est écrit ici, s'exclama Larrow, derrière eux.
Il ne s'était pas joint à la conversation, trop occupé à essayer de lire les écritures qui couraient sur le sol, formant courbes et angles, mots et dessins. Il semblait désespéré de ne pas pouvoir comprendre le moindre mot à la gigantesque série de gravures se trouvant sous leurs pieds.
- Quoi, tu es aveugle ? se moqua Shay. Il faudrait que Kosh te prête ses lunettes, Larrowie.
Tous les quatre le fixèrent avec de grands yeux, n'en croyant pas leurs oreilles, et Shay leur rendit leurs regards, surpris par leur réaction.
- Ben quoi ? C'est pas la première fois que je l'appelle Larrowie. Ou que je me moque de lui, d'ailleurs.
Comme ils continuaient à le regarder bouche bée, il prit un air boudeur et croisa les bras comme un enfant.
- Je vais pas m'excuser !
- Ce n'est pas ça, Shay, répondit Lym. À ce stade, on n'est plus surpris quand tu te fous de lui. Au contraire, on serait plutôt surpris que tu ne le fasses pas, pour être parfaitement honnêtes.
- C'est parce qu'aucun d'entre nous n'arrive à déchiffrer ce qui est écrit sur le sol, avoua Kosh.
Le garçon agita ses ailes d'un air perdu et, décroisant les bras, les regarda tous un à un, aussi troublé qu'eux.
- J'y arrive, moi, répondit Shay, l'air hésitant.
- Qu'y a-t-il écrit ici ? demanda Larrow en pointant un endroit du sol au hasard, et Shay s'en approcha pour avoir une meilleure vue.
- Eh bien, tout n'est pas vraiment écrit, il y a aussi des dessins, c'est plutôt comme une BD sans vignettes. Mais si je comprends bien, ce coin parle d'un... hum. Je pense que c'est un Ægans, il a une aile d'oiseau et une aile de chauve-souris. Apparemment, il s'appelle Cairn. C'est l'histoire de sa vie.
Tandis qu'ils le regardaient tous avec le même air béat, Shay eut un petit sourire et se mit à chantonner ;
- L'histoire de sa vie, le cycle éterneeel...
- Tu dois tout me traduire, le pressa Larrow en interrompant son début de chanson, et en fouillant ses poches à la recherche d'un calepin et d'un stylo pour écrire. Ces gravures doivent renfermer des milliers de réponses, si l'on peut en obtenir la signification...
- On n'a pas le temps, l'arrêta vite Elyra, et Kosh hocha la tête même si lui aussi semblait curieux de savoir ce que Shay pourrait leur dire des inscriptions du sol.
- C'est vrai, approuva Lym en hochant à son tour la tête. Si cette très chère lumière de My Little Pony dit vrai, alors on a déjà été coincés ici depuis deux heures et demie. On ne peut pas s'attarder davantage. La question, c'est ; de quel côté aller, maintenant ?
- Peut-être que la lumière vient des Sphinx, dit Kosh en indiquant le côté d'où émanait la lumière intense. Auquel cas on devrait se diriger vers elle.
- Je ne pense pas qu'on puisse lui faire face sans devenir aveugles, même si l'on évite de la regarder directement, avoua Larrow.
Il avait renoncé à ses recherches sur les gravures, et ne cherchait plus de carnet pour prendre des notes. De toute façon, il n'en avait sans doute pas apporté. Et puis, la salle était si gigantesque, probablement infinie, qu'à quoi bon essayer de déchiffrer un tout petit morceau de l'impressionnante histoire qu'elle racontait ? D'autant plus qu'avec l'aura étrange et distrayante du Temple, il serait facile de perdre la notion du temps et de mourir affamé ou assoiffé au milieu de ces colonnes. Malgré tout, il avait l'air penaud de ne rien avoir découvert alors qu'il y avait tant à apprendre ici.
- Mais ce n'est pas vers la lumière que l'on doit aller, protesta Shay, les surprenant une fois encore par l'assurance dans sa voix, comme s'il était confus de réaliser qu'eux ne pouvaient pas s'en rendre compte aussi. Au contraire, on doit avancer dos à la lumière – par là.
Il indiqua l'autre côté, celui qui les ferait s'éloigner de la lueur aveuglante. Lym fronça les sourcils en regardant le côté qu'il leur montrait. Cette direction-là, comme toutes les autres de la forêt de colonnes, ne lui semblait pas être particulière. Simplement une autre branche d'un gigantesque dédale.
- Comment tu sais ça ? demanda Elyra, qui elle aussi scrutait la direction qu'il leur indiquait à la recherche de quelque chose de particulier.
- Eh bien, c'est par là-bas qu'ils vont, répondit Shay d'une voix posée, sur le ton de l'évidence.
- Qui ?
Alors qu'il allait répondre, quelque chose sembla bouger au milieu de la brume qui les surplombait, loin au-dessus d'eux, et il leva les yeux. Des plumes dorées apparurent derrière un étau nuageux, et cette fois, concentration vacillante ou pas, Lym fut sûre de ne pas les avoir imaginées. Ses amis regardèrent en haut à leur tour, suivant le regard de Lym et de Shay.
Lorsqu'ils eurent tous levé la tête et attendu quelques minutes, alors qu'ils allaient détourner les yeux, une créature apparut au milieu de la brume et s'en détacha, devenant de plus en plus claire et nette tandis qu'elle descendait vers eux. Ce qui ressemblait à un oiseau de la taille d'un rossignol ne cessait de grandir au fur et à mesure qu'il descendait et qu'ils pouvaient mieux en constater la taille. Lorsqu'il fut arrivé à moins d'un kilomètre au-dessus d'eux, la créature n'avait plus rien d'un rossignol. Ses ailes étaient dorées et gigantesques, comme si elles avaient été plongées dans l'or fondu ; seules les racines des plumes étaient encore d'un blanc de neige. Elles étaient si énormes que les pointes des plus grandes plumes des ailes écartées frôlaient presque deux colonnes, alors que chaque colonne devait être à des kilomètres de sa voisine. Peut-être cette distance était-elle une illusion, comme tout semblait l'être dans cet endroit. Ou bien la créature était vraiment si gigantesque qu'elle y paraissait. Lorsque Lym essayait de voir ce qu'il y avait au milieu des deux ailes, elle était incapable de discerner de quoi il s'agissait. Elle avait vaguement forme humaine, avec des yeux d'un or si pur et brillant que c'en était aveuglant. À part l'indistinct contour d'une tête et de vagues membres humanoïdes, Lym avait du mal à voir quoi que ce soit d'autre. Ou en tout cas quoi que ce soit qui ait du sens. Elle avait l'impression de percevoir des boucliers ronds qui tournaient, comme des disques vinyles gravés de mandalas, ou bien les rouages circulaires d'une énorme montre. Les bords affutés des boucliers brillaient de bleu et d'or. Il y avait aussi sans doute une queue servant de gouvernail, elle aussi couverte de plumes dorées, qui s'agitait derrière la bête. Et, derrière les boucliers tranchants et pivotants comme des rouages coupants, il y avait une tempête de paillettes pourpres s'agitant comme l'intérieur d'une boule à neige, du lierre d'où pendaient des grappes de pierres précieuses, des épées dressées comme les pointes d'une dorsale, des milliers d'yeux éparpillés un peu partout, une carapace de cristal, des rais de lumière bleue et dorée qui la traversaient, des veines remplies de saphir liquide, un cœur de métal et de verre qui battait, des cornes torsadées, des masques de carnaval brisés, de la mousse bleue étincelante, le magma bouillonnant, de l'argent fondu, une cascade de lierre, des centaines de griffes nacrées, du pelage ambré, une peau dorée, des fleurs argentées, un feu cyan, une...
Lym découvrit soudain qu'elle était étendue par terre lorsque sa tête commença à lui faire mal, la douleur du choc parvenant enfin jusqu'à elle après le vague bourdonnement de l'étourdissement. Elle avait la nausée, et ses yeux brûlaient comme si on y avait lancé des braises. Avec difficulté, elle se redressa sur un coude, et vit que ses amis étaient tombés aussi, à part Shay qui restait debout, stoïque mais le regard rêveur et lointain. Elle retrouva la créature des yeux, mais cette fois elle ne chercha pas à en discerner les détails. Elle se contenta des deux iris d'or, et des ailes gigantesques. Au moins elle avait pu voir la magnificence de ce qu'était vraiment cette chose, et c'était une vue inoubliable, alors elle était sûre de s'en souvenir à jamais.
La créature aux ailes dorées continua de voler calmement, dans un silence assourdissant, dans la direction que Shay avait indiquée, s'éloignant de la lumière. Elle allait tellement vite avec ses plumes colossales qu'elle eut bientôt disparu au milieu des colonnes.
- Eux, dit Shay, répondant d'une voix très calme à la question d'Elyra, alors que Lym l'avait déjà totalement oubliée.
Elle se souvint alors que Shay avait dit que c'était dans cette direction qu'ils allaient, et qu'Elyra avait demandé de qui il parlait. Apparemment, ils, c'était ces créatures incroyables et irréelles. Ce qui voulait dire qu'il y en avait d'autres. Lym n'arrivait même pas à concevoir comment une pareille merveille monstrueuse pouvait tenir dans leur petit monde misérable sans l'ensevelir sous sa lumière. Alors plusieurs ?
- Le Temple Sphinx est aussi appelé le Sanctuaire des Anges, dit la voix rauque de Larrow quelque part à sa droite, lui aussi étant tombé par terre.
Lym voulut répondre, mais si la voix de Larrow était rauque, sa propre voix était inexistante. Elle se sentait incapable de dire le moindre mot. Elle réalisa alors que ses joues étaient humides, et se demanda si elle avait pleuré. Lorsqu'elle porta une main à son visage, ses doigts se retrouvèrent recouverts de ce qui ressemblait à de l'or fondu. Tout ce qui se passait dans le Temple était beaucoup trop déboussolant pour elle.
Apparemment, Elyra, elle, avait comme Larrow retrouvé sa voix, car elle posa la question que Lym ne pouvait formuler à sa place.
- Tu veux dire que cette... chose était un Ange ?
- Peut-être un Ange qui a passé tant de temps ici qu'il en a été réduit à sa forme la moins humaine.
- Réduit n'est pas le mot que j'utiliserais, contra Lym, et oh, apparemment, elle aussi avait retrouvé sa voix.
- Cela expliquerait pourquoi Shay, qui est d'origine Ange, réagit comme ça à cet endroit, dit Kosh, le dernier à avoir retrouvé l'usage de la parole, d'une toute petite voix.
Lym fit l'effort colossal de se relever, et Larrow, Elyra puis enfin Kosh suivirent son exemple. Elle vit que leurs joues à eux aussi étaient couvertes de larmes dorées.
- On doit se mettre en marche, lança Shay sans parler à personne en particulier. On n'a plus beaucoup de temps devant nous.
Sa voix à lui n'était ni rauque, ni brisée, ni semblable au piaillement timide d'un petit oiseau comme celle de Kosh. Elle était ferme et si forte qu'elle se répercutait au milieu des colonnes. Lym se tourna vers lui ; ses yeux étaient toujours dorés, et la pointe de ses plumes s'était également teintée de cette couleur. Peut-être l'imaginait-elle, mais ses ailes semblaient aussi avoir grandi.
D'un pas assuré, Shay commença à suivre la créature – l'Ange, si c'en était vraiment un. Les quatre autres videntis se reposèrent encore quelques instants, essayant de reprendre leurs esprits, avant d'emboîter le pas à leur ami, dont les ailes ne traînaient plus au sol mais étaient fièrement déployées, exhibant leur nouveau coloris.
Ce n'est qu'en commençant à marcher que Lym réalisa qu'elle avait complètement oublié à quoi ressemblait la créature. Elle ne se souvenait que d'ailes et d'yeux dorés, mais tout ce qui l'avait menée à s'effondrer semblait avoir été effacé de sa mémoire. Seules les larmes d'or restaient comme témoins de ce qu'ils avaient vu. Les larmes, et une unique plume dorée que Shay avait attrapée au vol et glissée dans sa poche.
Il était 4h du matin quand j'ai écrit ce chapitre et je crois que ma drogue préférée, le thé et le manque de sommeil, avait prit possession de moi pendant la description de l'ange. Et pourtant je l'ai pas changé jsp pourquoi. Bref. Bisous à tous
(aussi il y a un problème sur Insta et j'arrive pas à accéder à mon compte d'écriture depuis des semaines mais je pense que ça va s'arranger vous inquiétez pas)