Livre III : Chapitre 12
Elle zooma sur la première phrase et se mit à lire.
Expérimentation du sérum Irisa n°7
Rapports écrits par : Gus Agua
Responsables du sérum : Freema Smith, Oliver Winchester, Jules Pince & Anna Zimmer
Sujet test des expérimentations : Sujet n°4, J.A., entreposé provisoirement aux bâtiments d'Arcem sous la supervision de l'Empereur
Lym fronça les sourcils et leva les yeux vers Larrow. Apparemment, ce dossier concernait les Irisas, et le liquide violet qu'il avait vu n'avait rien à voir avec la Toxine. Il devait s'agir de ce fameux sérum.
Comme Larrow tapotait le téléphone pour lui faire signe de continuer, elle baissa les yeux, déroutée. Sujet n°4, J.A., entreposé provisoirement aux bâtiments d'Arcem. Entreposé. L'un des sujets d'expérimentation de Drake avait été celui sur lequel on avait testé ce fameux sérum. Entreposé. Comme un objet que l'on pourrait utiliser lorsqu'il aurait une quelconque utilité. Lym sentit la fureur bouillir en elle. Cet Irisa était comme elle, un adolescent qui avait beaucoup trop de pouvoirs, et il, ou elle, devait en plus endurer toutes ces expérimentations.
L'extraction des enzymes a parfaitement marché, et le Sujet semble être incapable de se servir de ses capacités améliorées, comme tout videntis classique. Il dit essayer de toutes ses forces mais ne pas y parvenir malgré tout. Malheureusement l'extraction semble fortement troubler le Sujet, qui semble incomplet sans les enzymes.
Lym ouvrit de grands yeux, abasourdie. Drake avait trouvé un moyen de priver un Irisa de ses capacités. Il pouvait transformer un Irisa en un videntis normal, réduire ses pouvoirs.
Durant un court instant, elle sentit l'espoir la submerger. Elle pourrait devenir normale. Bon, peut-être pas aussi normale qu'une caecus, mais elle pouvait cesser de se considérer comme un monstre, une menace ; elle pouvait arrêter d'avoir peur de tuer ses amis sans le faire exprès ; elle pouvait cesser de dissimuler ses pouvoirs de peur de devenir une arme.
Puis toutes ses espérances s'évanouirent aussi rapidement qu'elles étaient apparues lorsqu'elle lut la dernière phrase. Le rapport disait que l'Irisa sur lequel on avait testé cette expérience ne s'en était pas sorti indemne, et elle-même n'était pas sûre de ce qu'elle sentirait si on la privait de ses pouvoirs. Elle n'avait jamais vécu sans, ou du moins pas depuis qu'elle savait comment les utiliser. Serait-elle encore réellement elle-même si on lui enlevait un morceau de ce qui faisait d'elle Lymerya Alley ? Et puis, ces pouvoirs pouvaient être utiles pour gagner la guerre.
D'autant plus que Drake, qui s'était tant battu pour parvenir à maintenir en place le projet Irisa, n'avait absolument aucune raison de faire des Irisas qu'il avait eu tant de mal à créer puis capturer de simples videntis. Il devait avoir une idée derrière la tête. La suite du dossier le lui confirma.
Malgré tout, même en les multipliant et les injectant à des patients aléatoires, leur maîtrise et pouvoirs reste inchangée. Il s'agit apparemment bien du métabolisme modifié par les longues années sous l'emprise des enzymes qui rend les Irisas capables de se servir de leurs pouvoirs.
Les six premières versions du sérum n'ont pas été une réussite et ont seulement estompé les pouvoirs du Sujet provisoirement ou lui ont donné un mal de crâne aigu. Cependant, le septième essai semble plus prometteur.
Première injection du sérum. Le Sujet n'a pas de réaction particulière et ne peut pas encore utiliser ses pouvoirs correctement. Sérum à améliorer, effets trop peu rapides.
Deuxième injection, plus fructueuse. Le Sujet s'est retrouvé capable d'utiliser ses pouvoirs. La concentration des enzymes dans le sérum semble même rendre ses pouvoirs encore plus puissants qu'avant l'extraction.
Même s'il reste des améliorations à faire au sérum, il semble fonctionner. Des échantillons seront envoyés à Arcem dès qu'il sera perfectionné.
Lym éteignit le téléphone et regarda un moment droit devant elle, hébétée. Il lui fallut un moment pour remettre ses pensées en place, et lorsque ce fut enfin le cas, elle parla d'une voix lente, très loin du débit ininterrompu qu'étaient habituellement ses paroles ;
- Tu essaies de me dire que Drake a trouvé un moyen... Un moyen de priver les Irisas de leurs capacités, et de les « réactiver » quand il le veut. Exactement comme des armes. Il peut en faire des videntis normaux et quand il veut presser la gâchette de son arme secrète, il leur injecte ce foutu sérum et BAM, ils vont tout exploser sur ses ordres. C'est ça ?
- Je crois que c'est ce qu'il fait dans ses laboratoires, à Arcem, murmura Larrow. Il entraîne les Irisas jusqu'à ce qu'ils atteignent l'apogée de leur pouvoir, puis il le leur arrache pour pouvoir les utiliser quand il le souhaite. La question, c'est ; pourquoi ne s'en est-il pas servi durant la dernière bataille contre Eleuth ?
- Peut-être qu'ils étaient encore instables, que le sérum n'était pas prêt, ou bien qu'il était trop sûr de gagner. Dans tous les cas, il faut qu'on réagisse, Larrow. Il y a des gens qui sont enfermés sur une île sombre, et on est en train de leur arracher leurs pouvoirs contre leur gré pour en faire des armes.
- Je sais que tu as soif de justice, et c'est plutôt normal après ce que tu viens de découvrir. Mais tu sais très bien que c'est impossible...
- Impossible ? On a les coordonnées de Drake, et on peut se téléporter. On pourrait emmener nous armées là-bas, ou bien envoyer quelqu'un pour poser une bombe ou quelque chose dans ce style. Ou encore mieux ; moi ! Je suis une arme à moi toute seule, tu l'as déjà oublié ?
- Ne dis pas ça, protesta Larrow.
- Mais c'est vrai !
Elle se leva d'un bond et se tourna vers son ami, toujours assis sur le banc et l'air triste.
- Je suis une arme. Ça ne me plait pas, d'accord, mais tu sais que c'est la vérité. Tu en es une aussi, après tout.
Il vacilla légèrement à ces mots, mais il ne protesta pas, car ils savaient tout d'eux qu'elle n'avait pas tort. Lym était une Irisa, créée dans le but même de se servir de ses pouvoirs pour détruire ou servir Arcem – et elle n'avait pas l'intention de servir Drake. Quant à Larrow, il était un assassin surentraîné, qui vivait à Eleuth depuis des années et faisait preuve d'un sang-froid sans faille. Ils étaient tous deux destinés à être des soldats. Larrow pour Cave et Eleuth, Lym pour Drake et Arcem. Mais elle n'avait aucunement envie de suivre la destinée que l'on lui avait tracée, même si son ami, lui, avait apparemment abandonné tout espoir de renier son propre destin.
- Je peux conserver mes pouvoirs sans les utiliser pendant quelques jours, ou des semaines, même. Vous m'enverrez à Arcem et je détruirai la tour d'améthyste, les stupides bâtiments de science, le volcan que j'ai fait exploser. Je pourrais évacuer les Irisas piégés, et réduire toute l'île en cendres d'un battement de cils. Pourquoi pas ? Je sais que toute cette puissance n'est pas une bonne chose, et qu'aucun être humain n'est censé en posséder autant ; je sais que ça finira par me consumer si je ne m'en sers pas correctement. Mais je pourrais sauver mes semblables, Row, et, tant que j'y suis, préserver l'Académie, voire tous les Dragomirs.
Larrow se leva à son tour, l'air énervé.
- Tu crois vraiment que je n'y ai jamais pensé, Lymie ? Par Ladon, tu me connais. Les Dragomirs, Eleuth, tout ça, c'est ma priorité. Mais tout d'abord, Cave ne sait rien de tes pouvoirs et de ce que t'a fait Drake lorsque tu étais petite. Et même s'il savait, je ne voudrais pas t'utiliser comme une arme. Parce que oui, tu as raison, j'en suis une aussi, et tu sais quoi ? Non, ça ne me plait pas d'être utilisé. Je m'y suis fait avec le temps. Il n'est pas question que tu t'y fasses aussi. C'est dangereux, insensé, irréfléchi...
Elle ouvrit la bouche pour lui lancer une réplique bien trempée, mais il leva la main pour l'interrompre.
- De toute façon, on ne peut pas t'y envoyer. La téléportation ne fonctionnera pas. Il y a des boucliers autour d'Arcem. Il y en a aussi autour d'Eleuth, sinon nous serions déjà tous morts.
- Mais ils ont réussi à abîmer nos boucliers l'an dernier, non ? Et on est entrés à Arcem sans problème.
- C'était particulier. Nos boucliers étaient faits à la hâte, et même aujourd'hui ils sont moins puissants que les leurs. Quant à notre entrée à Arcem, on a suivi ce Glacyés qui leur appartenait ; je suppose que le bouclier, comme le nôtre, reconnait celui qui veut entrer et lui ouvre un passage. Il a laissé entrer le dragon, et on s'est faufilés dans son sillage. Or il me semble qu'on est à court de créatures maléfiques contrôlées par Drake qu'on pourrait libérer et suivre. Crois-moi, Lym, j'ai fait assez de recherches pour toute une vie, et tout ce qu'on peut faire, c'est attendre.
- Tu ne me dis pas tout, répliqua-t-elle. On pourrait réussir à briser les boucliers si on faisait un effort. Peut-être pourrais-je le faire avec mes pouvoirs. Il y a quelque chose d'autre. C'est quoi ? Tu ne me crois pas capable de me servir de mes pouvoirs ?
Il hésita un instant, et elle sut qu'elle avait vu juste ; il ne lui avait pas présenté toutes ses raisons. Finalement, d'un ton prudent, comme s'il avait peur qu'elle ne s'énerve, il avoua ;
- Je n'ai pas peur que tu ne puisses pas t'en servir, Lym. J'ai peur que tu le fasses.
- Quoi ? balbutia-t-elle, surprise, car ce n'était pas la réponse qu'elle attendait.
- Sur Arcem, la dernière fois, tu as commencé à déchaîner tes pouvoirs. Ils ont commencé à enfler comme un ballon que l'on étire trop. Dis-le-moi si je me trompe, mais j'ai eu l'impression que si je ne t'avais pas tirée de ta transe, tu ne te serais pas arrêtée.
Pour toute réponse, Lym cligna des yeux une fois. Elle se souvenait effectivement de la fureur qui l'avait submergée, et ce moment aussi grisant qu'effrayant où elle n'avait plus rien ressenti, où elle avait été à deux doigts de perdre les rênes de ses pouvoirs.
- Si tu détruis Arcem, tu devras déchaîner une telle quantité de pouvoir, Lym, que j'ai bien peur de ne pas pouvoir t'arrêter, cette fois. Quand on y pense, Eleuth n'est pas si loin d'Arcem...
Lym comprit où il venait en venir. Si elle utilisait assez de puissance pour détruire Arcem, ses pouvoirs ne s'y arrêteraient pas. Ils continueraient jusqu'à ce qu'elle ne puisse plus du tout s'en servir. Et, effectivement, lorsqu'Arcem serait réduit en miettes, Eleuth serait la deuxième destination la plus proche. Et si après avoir détruit Arcem, elle en finissait avec Eleuth et, incapable de retenir ses pouvoirs, elle commençait ensuite à se tourner vers d'autres îles, des villes, des continents ? Après tout, ils ne savaient pas du tout jusqu'où pouvait aller la destruction d'un Irisa au summum de sa puissance. Pour tout ce qu'ils en savaient, elle pourrait être infinie.
- Alors, Lym, reprit Larrow, réponds-moi honnêtement. Si tu me dis que tu es sûre de pouvoir te retenir, de garder le contrôle, je t'emmène sur Arcem aujourd'hui même. Sinon, on va devoir attendre que les Dragomirs se décident à attaquer.
Ils s'affrontèrent du regard un moment, puis Lym soupira et se laissa lourdement tomber sur le banc. Elle savait très bien qu'elle ne pourrait pas retenir l'ouragan qui faisait rage en elle.
- Tu as raison, comme d'habitude... Mais ça me tue d'attendre.
- Moi aussi...
Il s'assit précautionneusement à ses côtés, levant des yeux qu'elle trouva tristes vers le ciel constellé d'étoiles encore pâles. Lym, elle, garda les yeux rivés sur ses mains, imaginant ses veines qui se mettraient à briller de rouge à travers la peau, et les nuages de lumière rouge qui s'enrouleraient autour de ses bras. Non ; elle avait été à deux doigts de perdre le contrôle la dernière fois qu'ils avaient été sur Arcem. Elle ne prendrait pas le risque à nouveau de manière inconsidérée. La seule manière de l'arrêter lorsqu'elle serait en plein cœur de sa rage destructrice serait de l'assommer ou de la tuer. Et non seulement elle ne pouvait pas demander ce service à Larrow, car il n'accepterait probablement pas, mais surtout, lorsqu'elle serait saisie par sa furie ravageuse, qui lui disait qu'il en serait capable avant qu'elle ne le tue elle-même ?
Elle frissonna, et détourna le regard de ses mains pour lever les yeux vers le ciel étoilé.
- Tu as dit que tu pouvais le sentir lorsque mes pouvoirs me submergeaient, finit-elle par articuler. Qu'est-ce que tu sens ?
Après un temps durant lequel il sembla réfléchir, il répondit lentement ;
- Eh bien, d'abord, bien sûr, il y a toi. Tes yeux se mettent à briller, la brume rouge apparaît, et souvent tu te mets à trembler, comme quand tu es tellement en colère que tu en trembles, tu vois ? Mais ce n'est pas tout. On peut le sentir. C'est comme si l'air se chargeait d'électricité, comme juste avant un orage. Souvent mes cheveux se dressent sur ma nuque, et j'ai la chair de poule. C'est pareil pour les autres, d'ailleurs. Oh, et quand tu t'es mise à crier, sur Arcem, on a tous saigné des oreilles, aussi. Je suppose que tes pouvoirs augmentent ta voix, ou quelque chose comme ça.
- Tu ne me l'avais jamais raconté, lui reprocha-t-elle.
- Je ne pensais pas que ça puisse t'être utile, répondit Larrow avec un haussement d'épaules, et elle hocha la tête un peu à contrecœur.
Ils n'avaient plus vraiment grand-chose à se dire à cet instant précis, mais le silence était plutôt agréable. Elle put réunir ses pensées les plus égarées. Les découvertes de Larrow, Joy et Anita Pace étaient d'une importance capitale pour elle ; savoir que Drake pouvait lui arracher ses pouvoirs lui donnait certes de l'espoir, car elle pourrait devenir une videntis normale. Mais surtout, ces nouveautés lui faisaient peur. Ses pouvoirs faisaient partie d'elle, et même si elle voulait cesser d'être une bizarrerie, une expérience créée lorsqu'elle était encore bébé, perdre ses capacités serait terrible pour elle. Elle commençait tout juste à s'habituer à toute cette nouvelle palette de possibilités, et aussi à apprendre comment la contenir et l'utiliser. Grâce aux conseils de Luis, elle pouvait à présent conserver ses pouvoirs pour pouvoir les faire jaillir au summum de leur puissance lorsqu'elle en avait besoin.
Interrompant ses pensées, Shay, Kosh et Elyra revinrent en riant et chahutant ; Kosh et Elyra se partageaient un tas de sacs marqués d'un logo en forme de tour Eiffel, tandis que Shay portait tant bien que mal cinq gobelets en carton fumants. Tous les trois vinrent s'asseoir auprès d'eux, tandis que Shay distribuait les gobelets avec un air fier de lui.
- Alley, j'ai failli ne rien te prendre pour me venger de m'avoir abandonné avec ces deux insupportables gamins...
- Je m'excuserais, mais les têtes que tu faisais derrière la vitrine étaient très comiques, répondit Lym, et il esquissa un sourire, ayant presque l'air fier de lui-même.
- Chocolat chaud caramel beurre salé. Ton préféré, il me semble.
- Je suis surprise que tu t'en souviennes, Lake. Merci !
Il le lui tendit et elle le prit, se réchauffant les mains contre le gobelet. Ils avaient déjà bu assez de chocolat chaud pour s'y noyer dans le petit café parisien où ils s'étaient réfugiés plus tôt, mais peu leur importait. Ils s'assirent en cercle sous le chatoiement de la voûte céleste, leurs boissons produisant des nuages blancs dans l'obscurité.
- C'est une blague.
Euh... non ?
- Si, forcément. C'est forcément une blague.
Je n'y vois pas vraiment un côté comique...
Lym en avait lâché son sac qui était lourdement tombé par terre, et elle n'avait même pas sursauté lorsqu'une montagne de pinceaux, livres et carnets s'en était échappé.
En arrivant à Eleuth presque une semaine après leur petit détour vers Paris, elle avait été ravie de retrouver Joy. Celle-ci était restée un moment chez elle avant d'enfin revenir à l'Académie. Joy traînait avec son frère, comme d'habitude, en revanche elle n'allait voir Ash que de temps à autres, ce qu'ils trouvaient tous étrange. Lukas avait raconté à Lym qu'une bonne vingtaine de Dragomirs venus des quatre coins du monde s'étaient réfugiés sur l'île dernièrement. Apparemment, Cave avait lancé un appel pour réunir toutes les troupes, puisque le Conseil, qui était habituellement le point de réunion principal du monde videntis, n'avait pas encore été rebâti. La plupart des QG Dragomirs s'étaient vidés pour que tous puissent aller se réfugier sur Eleuth. Lym remarqua effectivement, dans les couloirs et à l'extérieur, beaucoup plus d'adultes et d'adolescents qu'elle était certaine de ne pas connaître, tous armés jusqu'aux dents et souvent couverts de cicatrices. Il y avait aussi de nouveaux dragons aux Galeries. Des dragons plus grands, plus forts, et mieux équipés, qui n'étaient de toute évidence pas ceux des élèves. Et de nouveaux œufs arrivaient aussi tous les jours dans la nursery. Zale avait dû exiger que tout œuf de dragon soit amené sur l'île pour être protégé par leurs forces.
Après avoir discuté un moment avec les frères Bishop, elle était allée en cours de Contrôle et avait perfectionné ses pouvoirs pour se changer en Nyx. Puis elle avait mangé un sandwich de la taille d'une montagne. Enfin, elle était allée s'exercer au tir avec Shay, et pour finir la journée en beauté, elle avait décidé d'aller faire un tour aux Galeries et retirer les écailles égarées dans la paillasse de Laxy. Une journée qui s'annonçait comme étant parfaitement normale.
Elle était arrivée dans la grotte de Galaxie, et avait trouvé le dragon somnolant, attendant la tombée de la nuit pour aller faire un tour. C'était une magnifique journée, et un coucher de soleil resplendissant faisait chatoyer la mer de toutes les teintes de rouge et de rose imaginables. Lym avait entrepris d'amasser les grosses écailles de toutes les couleurs de la nuit dans un petit sac. Parfois elle s'en servait pour ses dessins, comme modèle, et Elyra lui avait même demandé un jour si elle pouvait s'en faire un collier. Laxy n'y voyant aucun inconvénient, elle n'avait pas refusé.
Alors qu'elle observait l'une des écailles, particulièrement brillante, qui était mouchetée de volutes argentées rappelant de la poussière d'étoile, son dragon lui avait communiqué une pensée totalement inattendue.
Lym, je pense que je suis prêt.
- Mmh ? Prêt à quoi ? demanda Lym, toujours distraite, en faisant jouer des rayons de soleil sur la surface lisse de l'écaille.
À t'emmener voler.
Elle en fit tomber son sac plein de matériel à dessin et d'écailles égarées.
À présent, elle tournait en rond devant le nez de Laxy, donnant des coups de pieds dans des touffes de pailles et poussant de petits cris d'écureuil surexcité. Le Noxis la fixait avec un air stupéfait, ne s'attendant apparemment pas à une réaction pareille.
Hum... Tu te sens bien ? Je t'ai cassée ?
- Cassée ? Je ne suis pas une console de jeux qui ne fonctionne pas bien. Mais, bon sang ! Tu pourrais prévenir avant de lâcher une bombe pareille.
... une bombe ... ?
- Tu es un idiot, vieux lézard. Okay, okay, pas de panique. Tout va bien se passer. Je... Par Ladon ! Bouge pas.
Elle avait suivi les cours de Zale, pourtant il lui fallut une éternité pour placer correctement la selle et grimper entre deux écailles dorsales particulièrement acérées. Son cœur battait à cent à l'heure. Elle allait voler. Certes, elle avait déjà fait un tour sur le dos de Glass avec Larrow, mais la dragonne était trop capricieuse pour l'emmener faire de longues ballades ; il y avait aussi eu la fois où elle avait suivi le Glacyés avec Laxy, mais alors ils avaient agi dans l'urgence de la situation. Ils étaient en pleine guerre et talonnaient un dragon possédé, sous un véritable déluge. Elle n'avait pas vraiment eu l'occasion de profiter du paysage.
- C'est bon, vas-y. Tu peux t'envoler.
Pas sûr. On dirait que tu vas t'effondrer, et, au cas où tu ne le saurais pas, c'est assez peu pratique lorsqu'on est en plein vol.
- Envole-toi, Laxy ! Tu m'as dit que tu étais d'accord !
Le dragon eut un vague grondement agacé, mais elle pouvait sentir que lui aussi bouillonnait d'impatience. Finalement, il déploya ses ailes, faisant voleter des brins de paille de tous côtés ; une rafale de vent s'échappa de la grotte en sifflant, et ses griffes argentées crissèrent sur la pierre tandis qu'il s'avançait vers le rebord. Il courait, déterminé, et Lym sentait chacun de ses pas qui faisait trembler son corps et s'entrechoquer ses dents. Alors qu'elle s'était promis de les garder ouverts, lorsqu'il parvint au bord de la falaise et fit mine de bondir, elle ferma les yeux en s'agrippant aux écailles de son cou. Une brise fit voler ses cheveux autour d'elle, les faisant fouetter son visage, et une vague de froid lui chatouilla les doigts.
Elle ouvrit un œil, puis un autre, et prit une profonde inspiration de l'air pur et lourd de sel qui l'entourait. Elle regarda autour d'elle, ses cheveux se soulevant dans son dos à chaque battement d'aile de Laxy. Ils volaient à des dizaines de mètres au-dessus des vagues rougeoyantes de la mer, face au magnifique coucher de soleil.
Hébétée, elle regarda derrière elle et put voir les falaises blanches d'Eleuth d'où s'échappaient régulièrement deux ou trois dragons, qui piquaient vers la mer pour en arracher la quelconque créature ou barque échouée qu'ils avaient trouvée.
- Wow, siffla Lym en tapotant de ses bottes les écailles bleues sous ses pieds. Je préfère définitivement voler quand ce n'est pas pour aller sauver le monde au péril de ma vie. Et qu'il pleut, en plus.
Un Vandor passa à côté d'eux, ses ailes trempées après un petit plongeon faisant un bruit mouillé en claquant dans l'air salé. Des gouttelettes vinrent former des perles sur ses cheveux, et elle grimaça en baissant la tête pour éviter de se faire asperger.
Laxy rugit avec un air mécontent en direction du Vandor, qui se retourna pour lui adresser un regard moqueur et joueur. Il cracha une langue de feu vert au museau du Noxis, faisant s'évaporer toute humidité de la chevelure de Lym, avant de fondre en piquet vers l'océan. Laxy battit de la queue en lançant par ses naseaux un feu violet qui s'enroula autour d'eux, obligeant Lym à se tapir à couvert derrière l'une de ses ailes.
Quoi, tu vas juste le laisser te cracher du feu à la figure sans réagir ? le nargua Lym, qui n'avait pas apprécié la vague de chaleur.
Laxy éploya ses ailes au maximum, filtrant la lumière du soleil et envoyant des lueurs pourpres sur les vagues, puis il fondit à la suite du Vandor. Il descendit en piquet de manière plutôt brusque, faisant couiner Lym de surprise. Elle avait envie de lever les bras comme dans les montagnes russes d'un parc d'attraction, mais elle avait peur de s'envoler si elle s'y essayait.
Sans trop comprendre comment, elle se retrouva en plein milieu de ce qui devait être l'équivalent dragon d'une bataille de polochons. Ils s'envoyaient des nuages de fumée et des langues de feu à tort et à travers, faisant des loopings pour éviter de se faire brûler le museau. Certains des dragons étaient accompagnés de leurs Equitem, et devaient faire des figures encore plus acrobatiques pour les maintenir hors de portée des flammes. Lym remarqua pour la première fois que le feu que crachaient les dragons n'était jamais similaire à celui de ses voisins. Le feu des Glacyés était dans des teintes plutôt bleues colorées d'argent, celui des Vandor, dans toute la palette des verts, celui des Furoki était d'un rouge et or étincelant, celui des Noxis pourpre et mauve. Quant à ceux des Skuros et des Ekaons, les premiers crachaient des flammes d'un noir d'encre, et les deuxièmes d'un blanc pur et immaculé.
Il fallut une éternité aux dragons pour se disperser et arrêter de se défier à grands panaches de fumée, et lorsque Laxy s'éloigna enfin du groupe, les vêtements de Lym sentant le roussi, il faisait déjà nuit noire. Grâce aux enchantements de Zale qui avait agrandi les boucliers qui entouraient l'île, ils avaient pu s'éloigner jusqu'à n'apercevoir que de loin Eleuth, mais Laxy dut malgré tout faire demi-tour. Une lueur chatoyante d'un bleu pâle et orange vif zébrait de temps à autres l'air trouble à quelques mètres d'eux, indiquant l'endroit où se trouvait le bouclier.
Alors qu'ils retournaient vers l'île à grands battements d'aile, Lym laissa ses yeux s'égarer sur la surface de la mer. Elle était d'un noir d'encre, mais parcourue par des vagues que la lune teintait de reflets d'argent. Des créatures diverses remontaient parfois à la surface, de toutes les espèces possibles et imaginables ; baleines, dauphins et poissons scintillants, mais aussi serpents de mer, Glacyés et Selkies. En voyant une tache grise au milieu du flot d'eau noire, elle fronça les sourcils et plissa les yeux en fronçant le nez pour essayer de discerner mieux la forme dans l'obscurité.
- Laxy, appela-t-elle en tapotant le cou de son dragon pour attirer son attention.
Sa voix fut noyée sous le bruit de ses battements d'aile et la musique de la mer. Réessayant, cette fois par la pensée, elle lui transmit télépathiquement quelques mots.
Laxy, tu peux t'approcher de la mer ?
J'ai dit oui pour t'emmener voler, mais je suis pas encore prêt à faire des loopings sous tes ordres !
Par les Trois Sphinx, qu'est-ce-que tu peux être susceptible. Va vers la mer !
En maugréant et la traitant de maudit singe roux, il obtempéra. Elle ne prit pas le temps de répondre à ses provocations comme elle l'aurait fait d'habitude, plissant toujours les yeux. La forme grise ressemblait étonnement... à un manteau en soie ? Elle fronça les sourcils.
Il y avait un homme au milieu des vagues, allongé sur le ventre sur une planche de bois. Son manteau gris était troué et taché de rouge par endroits – les taches semblaient presque noires dans la nuit. Que faisait cette personne au beau milieu de la mer, le soir tombé, au large d'Eleuth ? Après s'être de toute évidence fait tirer dessus à plusieurs reprises ? Quelqu'un sur l'île avait-il essayé de se débarrasser d'un corps ?
Lym n'eut qu'à se concentrer un instant pour que le corps s'élève et se mette à flotter à quelques mètres des vagues. Utiliser ses pouvoirs devenait presque aussi instinctif pour elle que manger ou dormir. D'un geste de la main, elle attira le blessé à elle et se poussa pour lui laisser de la place sur le dos de Laxy, qui battait toujours des ailes d'un air ennuyé.
On doit vite rentrer à Eleuth, lui transmit-elle. Vite.
Il se serait probablement plaint, si elle n'avait pas transmit ces pensées avec une vague d'inquiétude. Sans répliquer, il battit des ailes pour remonter, et s'éloigna à tire-d'aile vers l'ombre lointaine d'Eleuth.
Se remémorant les cours de Luis sur le sujet, elle retourna précautionneusement le corps et posa un doigt sur son cou. Pas de pouls. Mort. Et la peau était froide, ce qui voulait dire que ce n'était pas tout nouveau. Des mèches brunes et trempées tombaient devant les yeux de l'homme. Elle remarqua presque aussitôt l'enchanteur passé à sa ceinture, cassé en deux, et l'œil des Dragomirs tracé en blanc sur sa montre. Une balle avait apparemment été arrêtée par la montre en question, car le verre était étoilé de cassures. Lym pensa à lui faire un massage cardiaque, mais il était évident que les trois balles qui avaient criblé son dos avaient touché des organes vitaux. Son genou était également brisé. Elle chassa les mèches poisseuses d'eau, de sang et de sel qui cachaient son visage. Cet homme lui disait vaguement quelque chose.
Ne s'agissait-il pas de l'un des Dragomirs qui était dernièrement arrivé à Eleuth ? Le déclic se fit ; c'était Antony Pickett, qui était venu avec une cargaison d'œufs de Skuros qu'il était parvenu à voler à l'un des soldats de Drake chargé de les élever pour leur extraire de la Toxine. Mais s'il était hébergé sur l'île, pourquoi était-il, mort, au beau milieu de la mer ?
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IL SE PASSE
DES
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