Livre III : Chapitre 10
Lym ouvrit précautionneusement la porte de la maison des Bluewell, et, le plus silencieusement possible, elle sortit la clef de la serrure pour la mettre dans sa poche. Kosh lui avait confié un double des clefs depuis longtemps. Elle ferma doucement la porte et reprit enfin son souffle.
Après être passée par Eleuth, elle était bien sûr revenue chez les Bluewell, où elle passait quasiment tout le temps où elle n'était pas à Eleuth. C'était d'ailleurs là qu'elle était avant de s'absenter pour aller jusqu'à Pruinae. Depuis Pruinae, elle avait tracé les coordonnées d'un rocher au large d'Eleuth où elle pourrait déchaîner ses pouvoirs sur la mer sans être dérangée. Avoir laissé ses pouvoirs se déverser dans les flots lui avait fait le plus grand bien, et elle ne sentait plus les frissons constants le long de son échine, ni le bourdonnement incessant dans son oreille. Pourtant, elle fit un bond gigantesque et fit sans doute inconsciemment flotter la moitié des meubles de la pièce lorsque la lumière s'alluma brusquement.
Shay l'attendait, adossé à une poutre en bois, bras croisés et sourcils haussés. Lym reprit son souffle, soulagée.
- Eh ben ! T'es particulièrement tendue, dis. Pourquoi tu sens la mer ?
Il avait un air sérieux, comme s'il menait un interrogatoire. Seulement, il portait un pyjama rouge, et avait les cheveux encore plus ébouriffés que d'habitude, ce qui montrait qu'il venait de sortir de son lit. Comment était-elle censée le prendre au sérieux lorsqu'il ressemblait à un lionceau énervé ?
- Je suis allée me balader à la plage. Un problème, Lake ? Depuis combien de temps es-tu adossé au mur avec un air flippant, la main sur l'interrupteur ?
- Une demi-heure, rétorqua-t-il. Tu seras gentille de te dépêcher, la prochaine fois, Alley. Faire des entrées dramatiques, c'est épuisant.
- Et pourquoi tenais-tu à faire une entrée dramatique, au juste ?
Elle avait les chaussures trempées, et elle les retira d'un coup de pied. Enlevant sa veste, elle l'accrocha à un porte-manteau.
- Parce qu'Elyra m'a dit que tu étais partie faire un tour, et que je voulais vérifier que tu rentrais. Tu es une videntis – et une Irisa, qui plus est ! On ne sait jamais quand tu risques de te faire kidnapper...
- Je n'ai pas besoin d'un baby-sitter, merci. De nous deux, c'est plutôt toi qui te comporte comme un bébé.
Pour ne pas avoir à supporter les protestations qui risqueraient de la poursuivre, elle s'engouffra dans la petite salle de bain et se changea en deux temps trois mouvements, enfilant son pyjama vert bouteille. Puis elle ressortit, vit que Shay n'était toujours pas parti, et alla s'asseoir en face de lui, croisant les bras pour imiter sa posture.
- Alors ! claironna Shay d'un air impérieux.
- Alors, répéta Lym.
- On doit parler de quelque chose d'important.
- C'est vrai. Ce pyjama te va à ravir.
- Merci. Mais c'est pas ça qui est important.
- Quoi, alors ?
- Il faut qu'on parle de cette histoire de sortie nocturne.
Elle sourit, amusée. Pas question qu'elle lui dise qu'elle était allée prendre le thé avec l'Empereur qu'ils essayaient de tuer. Mais Shay n'allait bien sûr pas laisser tomber le sujet aussi facilement.
- Ah bon ?
- Sérieusement, tu étais passée où, Alley ?
Pour toute réponse, elle haussa les sourcils, ce qui ne sembla pas lui suffire car il insista ;
- C'est un garçon ? Hein ? Il y a un garçon, c'est ça ?
- Jamais de la vie, Lake.
- Alors une fille.
- Non, c'est pas ce que... C'est Elyra qui est bi, Shay, pas moi. Non, pas de garçon, pas de fille, juste moi, et la mer, et des poèmes d'amour que je récite à mon petit-ami le célibat.
Elle s'efforça de garder une expression impassible durant sa tirade, alors que ses joues étaient sans doute d'un rouge vif. Shay soupira, perdant son air malicieux, son visage se faisant plus sérieux.
- Lym, si tu t'es mise en danger...
- Oui ?
Il hésita un instant, puis plaqua sur son visage un air amusé qui avait l'air faux.
- Eh bien, je serais vexé que tu l'aies fait sans moi. Tu sais que j'adore le danger.
- Je vais bien, Lake. Ce n'était rien que je ne puisse gérer.
- Est-ce que tu vas m'appeler Shay, un jour ?
Elle se dirigeait déjà vers les escaliers et s'arrêta à mi-chemin, déroutée par sa question inattendue. Si elle allait l'appeler par son prénom ? Cela n'avait absolument rien à voir avec son départ, qui était le précédent sujet de conversation. Elle fronça les sourcils.
- Non.
- Pourquoi pas ?
- Parce que.
- J'adore ta loquacité et la philosophie de tes paroles, Alley.
Elle pointa vers lui un doigt accusateur.
- Tu vois ? Toi, tu m'appelles Alley ! Je vois pas où est le problème pour que je t'appelle par ton nom de famille. Bam, le débat et clos. Bonne nuit, Lake.
Ne lui laissant pas le temps de répondre, elle fila au premier étage. Kosh dormait déjà profondément dans la chambre des garçons, et Elyra s'était emmêlée dans les couvertures de son lit, dans la chambre qu'elles partageaient. Faisant un détour par la salle de bain pour se laver les dents et chasser les restes du goût du milkshake de Pruinae, elle rejoignit ensuite son lit sur lequel elle s'affaissa lourdement.
Elle entendit les marches de l'escalier qui grinçaient, et devina que Shay remontait au premier étage.
Lym fourra son visage dans son coussin, s'emmitouflant dans son édredon. L'automne commençait à poser ses griffes sur l'Angleterre, et il faisait de plus en plus frais. Lym essaya de penser à tout et n'importe quoi, la météo, la mer, des sujets aléatoires qui lui permettraient de s'endormir facilement, mais ses pensées se dirigeaient automatiquement vers Drake et la guerre. Le sommeil ne venait toujours pas. Avec un petit grognement de mécontentement, elle prit son téléphone et débrancha le chargeur.
Après avoir vérifié ses notifications, dans le noir complet, sur divers réseaux sociaux, elle l'éteignit et chercha à nouveau le sommeil. Qui refusait catégoriquement de venir à elle. Marmonnant de nouveau des jurons de frustration, elle reprit son téléphone et vit qu'elle avait reçu un message.
Larrow :
Je rentrerai à Eleuth ce soir, si tout ce passe bien. Tout va bien par là-bas ?
Elle s'empressa de lui répondre, pianotant sur l'écran à toute vitesse. Elle ne l'avait pas vu depuis une éternité, et il lui manquait affreusement ; la distance avait fini par étouffer les restes de son énervement d'avant son départ.
Là, je suis chez les Bluewell. Tu ne veux pas venir ici au lieu d'aller sur l'île ?
Larrow :
Je préfère ne pas m'incruster chez les parents de Kosh, ce serait plutôt malpoli.
Lym leva les yeux au ciel, bien qu'elle sût que personne ne pouvait la voir.
Tu sais très bien que Kate et Nico sont d'accord. C'est eux qui insistent à chaque fois pour que tu restes ! Ils t'ont même donné une clef, par Ladon ! Sauf si tu dois aller voir Cave pour lui faire un rapport ou un truc dans ce style...
Larrow :
Non, on n'a rien trouvé, de toute façon. Je lui dirai tout ce qu'il a à savoir demain, à la rentrée des classes.
Dans ce cas, tu vas venir ? Ou rentrer à Eleuth ?
Larrow :
Si tu insistes, je viendrai d'ici demain matin.
Génial !
Elle devait avouer qu'elle était ravie d'apprendre cette nouvelle. Elle reverrait Larrow le jour même... ! Il lui avait manqué, et elle avait hâte de le retrouver après son absence prolongée.
Joy va bien ?
Il resta un long moment sans rien dire, aussi elle supposa qu'il ne répondrait pas avant le lendemain. Reposant le téléphone, elle ferma les yeux, se roulant en boule dans les couvertures. Elyra laissa échapper un ronflement, et Lym dut résister à l'envie dévorante de l'enregistrer.
Finalement, la sonnerie de son téléphone résonna dans l'obscurité, faisant marmonner Elyra d'un air désapprobateur. Oubliant presque aussitôt ses essais pour s'endormir, Lym ramassa l'appareil qui gisait par terre.
Larrow :
Oui, à merveille. Elle n'arrête pas de parler de Lukas et Ash. Je pense qu'elle est morte d'impatience de les revoir.
C'était à prévoir, malgré tout Lym se sentit presque immédiatement gênée. Joy s'attendait à revenir à Eleuth pour trouver son frère et son meilleur ami qui l'accueilleraient à bras ouverts, et ce serait sans doute le cas, après tout. Seulement, elle pensait sans doute aussi qu'elle les trouverait soudés comme des amis. Elle ne savait rien des tensions qu'il y avait entre eux deux dernièrement. Lym elle-même, qui avait pourtant assisté à la plupart des scènes entre eux, n'arrivait pas à s'expliquer comment leur relation, autrefois si amicale, avait pu se dégrader aussi brutalement. Ils étaient passés d'amis à simples connaissances en l'espace de quelques jours... Alors qu'aucun des deux n'avait fait quoi que ce soit qui pourrait réellement causer une dispute.
Malgré tout, elle préféra ne pas inquiéter Larrow, et lui répondit avec tout l'enthousiasme dont elle était capable.
J'imagine ! Ils vont être contents de la revoir aussi. Et le troisième membre de votre expédition ? Comment s'appelait-elle, déjà ? Anna ?
Larrow :
Anita Pace.
Sympa ?
Larrow :
Plutôt. Elle est très amie avec la cousine d'Estrell, Angéla Shade-Estrell.
Elle est très amie avec la cousine de... ?
Larrow :
De Shay, pardon.
C'est mieux. Ravie qu'elle soit sympa. C'est dommage qu'ils ne m'aient pas choisie pour la mission, tout de même.
Larrow :
J'aurais aimé que tu sois là.
Elle sourit en lisant les mots que venait d'écrire son ami, mais elle n'eut même pas le temps de répondre avant qu'il n'ajoute ;
Larrow :
Désolé, je vais devoir y aller. On doit partir et je suis censé conduire la voiture. Joyce et Anita vont m'enguirlander si je prends trop de temps.
Enguirlander ? Sérieusement ?
Larrow :
Quoi ?
Ok, à demain matin, alors.
Larrow :
À demain ! :)
Tiens, un smiley. C'était l'influence de Kosh, ça. Lym sourit.
Elle posa le téléphone par terre et remonta les couvertures sous son menton pour se réchauffer. Elle crut entendre la porte du rez-de-chaussée qui s'ouvrait ainsi que le bruit d'une sonnette, et se demanda s'il s'agissait de Larrow ; elle voulut se lever pour aller voir, mais elle était déjà trop fatiguée pour faire le moindre geste. Elle se détendit donc et ferma les yeux, s'attendant à une nouvelle heure à contempler le plafond en attendant tristement le sommeil. Pourtant, pour une fois, elle s'endormit presque immédiatement.
Lym fut réveillée par le cri de surprise d'Elyra, et se leva d'un bond. Par réflexe, elle tendit la main vers sa table de chevet, où elle gardait toujours son pistolet, et brandit l'arme devant elle. Et si les pas qu'elle avait entendus la veille n'étaient pas ceux de l'un de ses amis, mais ceux d'un soldat d'Arcem ?
Pourtant, elle baissa tout de suite son pistolet. Larrow était celui qui se trouvait sur le pas de la porte. Elyra sauta de son lit et courut vers lui, le serrant dans ses bras.
Il portait une veste et un jean, ainsi que des chaussures de sport. Un gros sac était passé à son bras, et Draksaura était sagement dans son fourreau, à sa ceinture. Ses cheveux bouclés étaient un peu humides. Lym jeta un coup d'œil par la fenêtre et vit qu'il pleuvait des cordes... C'était presque comme si Larrow venait tout juste de revenir.
Posant son arme sur le lit, elle laissa retomber ses pieds sur le sol froid et courut vers son ami, de qui s'était écartée Elyra. Il tendit les bras pour l'accueillir et la serra contre lui en riant, l'air aussi heureux qu'elle d'enfin avoir droit à des retrouvailles dignes de ce nom. Elle fourra son visage dans son épaule. Il sentait la neige et la menthe.
Lorsqu'il finit par la lâcher, elle lui adressa un énorme sourire.
- Bon sang, ce que tu m'as manqué !
- Toi aussi, tu m'as beaucoup manqué, Lym ! Désolé de vous avoir réveillées. Je pensais que vous seriez déjà debout... Et la sonnette est apparemment cassée, je n'ai pas pu prévenir.
- Tes cheveux sont trempés, observa Elyra en tendant la main comme pour les ébouriffer.
Il se déroba à son geste avec un léger sourire.
- Oui, il pleut. Tant pis pour mes plans d'aller bronzer.
- Tu es la personne la plus pâle que je connaisse ! plaisanta Elyra en donnant un coup de coude à son amie pour chercher son soutien.
Mais Lym n'était pas d'humeur à taquiner Larrow sur son teint maladif. Elle avait les sourcils froncés, et dévisageait Larrow comme si une trompe d'éléphant venait de pousser sur son visage, ce qui semblait d'ailleurs l'inquiéter légèrement.
- Hum... Lym ? Tout va bien ?
- Tu es tout habillé. Tu as dormi comme ça ?
Il fronça les sourcils à son tour, l'air dérouté par son drôle de comportement.
- Euh... Oui ? Joy, Anita et moi avons finalement dormi dans la voiture. On a préféré ne pas se téléporter avant l'aube pour éviter d'attirer l'attention avec la lumière et tout.
- Tu veux dire que tu viens tout juste d'arriver ?
- Oui, pourquoi ?
Lym sentit le sang quitter lentement son visage. Si Larrow n'était pas celui qu'elle avait entendu la veille, qui était entré dans la maison au soir ?
- Dis, Lyra, les parents de Kosh ont passé la soirée à l'extérieur, non ?
- Euh... Non, ils sont venus se coucher avant nous. Lym, tu te sens bien ? C'est quoi, ces questions bizarres, tu... ?
Sans prendre le temps de lui répondre, elle attrapa son pistolet sur le lit, sortit de la chambre et dévala les escaliers, toujours en pyjama. Elle s'arrêta juste devant la porte de la cuisine, son arme levée près de son visage, prête à tirer. Même si, elle s'en doutait bien, une quelconque menace serait montée pour les tuer au lieu de traîner dans la cuisine pendant des heures, elle préférait encore être prudente.
Elle ouvrit la porte d'un coup de pied, le pistolet brandi devant elle. Personne, comme elle s'en doutait. En revanche, elle entendit Larrow qui dévalait les escaliers à sa suite, sans doute inquiet de la voir descendre après s'être emparée de son arme au passage. Préférant ne pas l'impliquer s'il y avait effectivement un quelconque danger, elle tendit la main vers la porte de la cuisine, qui se referma comme si un coup de vent était entré dans la salle. Par mesure de précaution, elle referma le verrou d'une simple pensée avant de se diriger vers la porte.
Dehors, la voiture des Bluewell était introuvable ; Nicolas et Kate devaient déjà être au travail, puisqu'ils partaient souvent de bonne heure. Tant mieux. S'il y avait réellement un risque, elle préférait les garder à l'écart aussi.
Elle fit le tour de la cuisine, puis de la salle à manger adjacente, et jeta même un coup d'œil aux toilettes. Puis elle se dirigea vers la porte, qu'elle ouvrit, et elle jeta un coup d'œil à l'extérieur. Il n'y avait rien. Avec un soupir, elle s'adossa au mur, parcourant la vallée du regard. Était-elle seulement paranoïaque ? Avait-elle rêvé le claquement de porte et le bruit de la sonnette ?
La sonnette... Oh. Larrow avait dit qu'elle ne fonctionnait pas. Elle appuya sur le bouton, mais effectivement, il n'y eut pas le moindre bruit. Pourtant elle avait entendu un sifflement étrange la veille... L'avait-elle rêvé aussi ? Et si réellement un soldat de Drake ou une créature aléatoire était entrée dans cette maison pleine à craquer de videntis, pourquoi ne les avait-il pas tués ? Toute cette histoire n'avait aucun sens.
Entendant le raffut que faisait Larrow, frappant la porte de la cuisine en lui demandant de le laisser entrer, elle revint sur ses pas et lui ouvrit la porte un peu à contrecœur. Il l'ouvrit presque immédiatement, l'air inquiet. Elyra était juste derrière lui, toujours en pyjama, ayant séparé ses cheveux en deux couettes vagues et les yeux encore un peu bouffis de sommeil.
- Lymie ! s'écria-t-elle en entrant dans la cuisine. Tout va bien ? Pourquoi tu as filé comme ça ?
- J'ai... Hier soir, j'ai entendu quelqu'un qui entrait dans la maison. J'ai cru que c'était Larrow, ou peut-être Nico et Kate. Mais puisque Row vient tout juste de rentrer et que tu dis que les Bluewell sont montés se coucher tôt...
- Alors il y a eu un intrus, en déduisit aussitôt Elyra, qui perdit toute trace de fatigue pour prendre un air déterminé.
Les yeux de Larrow s'agrandirent de surprise et il lâcha son sac encore trempé, laissant une tache humide sur le tapis de la cuisine. Puis il entreprit, très méthodiquement, de retourner chaque coussin, ouvrir chaque placard et de dévisser chaque lampe du rez-de-chaussée. Lym et Elyra essayèrent de lui venir en aide, mais il travaillait de manière si efficace qu'elles n'eurent pas vraiment l'occasion de faire quoi que ce soit. Enfin, il revint dans la cuisine, l'air victorieux, en brandissant son poing fermé.
Les deux adolescentes s'approchèrent, curieuses, et il ouvrit la main légèrement pour leur montrer son contenu sans pour autant le laisser s'enfuir. Il s'agissait d'une toute petite forme humanoïde, avec de petites ailes irisées. Lym pris d'abord la créature pour un simple papillon, puis vit qu'elle avait un visage à la peau verdâtre, et brandissait ses petits poings verts en pestant furieusement d'une voix si haut-perchée qu'elle était presque silencieuse.
- C'est un Fé ? demanda Elyra, surprise, en tendant un doigt vers l'Être.
- Oui, ils peuvent changer leur taille à volonté, tu te souviens ? répondit Larrow. Apparemment, c'est un mouchard. Plutôt malin. Il y a des défenses autour de la maison, qui neutralisent tout ce qui peut être dangereux, ainsi que les micros. Mais les Fés ont une capacité assez déplaisante à contrer les sortilèges, d'autant plus que celui-ci a l'air plutôt inoffensif. Il n'est même pas armé. Sans doute était-il censé nous espionner, voire nous empoisonner à un moment ou à un autre... Heureusement que tu l'as entendu hier, Lym !
- Aïe !
Elyra grimaça en retirant sa main, que le Fé avait mordue. Cette fois, elle sembla des plus agacées. Lym, très curieuse, elle aussi, voulut s'approcher, mais Larrow laissa tomber sa prise sur la table. À toute vitesse, il prit son enchanteur, caché dans sa poche, et commença à tracer une série de runes et de mots sur le bois de la table. Le petit Fé se mit à courir et à battre des ailes pour sortir du cercle, mais Elyra le poussa du bout du doigt pour le maintenir à l'intérieur, le faisant pester de sa petite voix aiguë.
- C'est quoi, cet enchantement ? demanda Lym en inspectant le Fé.
- C'est pour l'empêcher de changer de taille, il risquerait de devenir trop grand ou microscopique.
Apparemment, le Fé l'avait entendu. Juste au moment où Larrow complétait son enchantement en y ajoutant l'œil des Dragomirs, il se mit à enfler, à s'étirer, comme si quelqu'un le gonflait à l'hélium ; il passa de la taille d'un petit papillon à celui d'un jeune oiseau, puis prit la taille d'une poupée Barbie. À ce moment, l'enchantement s'enclencha et une lumière dorée les éblouit. Lorsqu'elle eut disparu, le Fé sembla coincé à la taille plutôt désagréable d'une poupée.
Il se mit à battre des ailes et à pester à tout bout de champ, provoquant un désagréable vrombissement d'abeille qui rappela à Lym le bruit qui précédait le débordement de ses pouvoirs. Elle comprit subitement que ce qu'elle avait pris pour la sonnette de la porte la veille n'était autre que le bruit que faisait le petit Fé en battant des ailes.
Ils entendirent des pas dans les escaliers, et un Kosh en pyjama accompagné d'un Shay déjà habillé mais aux cheveux en pétard arrivèrent dans la cuisine. Ils se figèrent sur le pas de la porte en voyant l'Être sur la table, Larrow qui était encore en tenue de voyage avec son enchanteur entre les doigts, Elyra en robe de chambre qui tapotait la tête du Fé et Lym, aussi en pyjama mais avec un pistolet dans la main.
- Euh... Pourquoi y a-t-il un papillon géant sur la table de la cuisine ? demanda Shay, perplexe. Et que fait Larrow ici, au juste ?
- C'est une Fée ! s'exclama Kosh, l'air surexcité.
Il accourut vers eux, et se transforma vite, à son tour, en Fé, tandis que Larrow expliquait ce qu'avait entendu Lym et où il avait trouvé la créature. Les yeux de Kosh s'agrandirent et se colorèrent d'une palette de couleurs toutes plus vives les unes que les autres, tandis que d'énormes ailes apparaissaient dans son dos. Fermant légèrement les yeux, il rapetissa pour prendre la même taille que l'Être et ils commencèrent à communiquer en gazouillant comme des insectes ou de petits oiseaux. Le véritable Fé semblait des plus mécontents, tapant du pied et pointant Larrow du doigt d'un air menaçant, et à voir l'expression de Kosh, Lym devina qu'il ne se montrait pas des plus polis.
Effectivement, lorsque Kosh se retransforma en humain, il avait l'air penaud et un peu ennuyé.
- Il m'a dit qu'il n'était pas une Fée mais un Fé, a dit qu'il ne me dirait rien et m'a traité d'une belle variété d'insultes. Je ne savais pas qu'ils étaient aussi imaginatifs en la matière...
- Méchant Fé, méchant, le rabroua Shay en le tapant sur la tête avec une cuillère en bois qu'il avait récupérée dans l'un des tiroirs de la cuisine. On n'insulte pas Koshy.
- Essaie de ne pas le tuer, quand même, conseilla Lym.
- Je ne risque pas de le tuer avec une cuillère en bois !
- On ne sait jamais, avec toi... Et puis, il est si petit...
- En revanche, les interrompit Kosh et volant la cuillère des mains de Shay, il a dit une chose. « Lorsqu'il saura, Drake sera furieux. »
- Donc c'est bien Drake, souffla Larrow. Drake a envoyé ce Fé pour nous espionner. Il a réussi à traverser les défenses érigées par nos Dragomirs autour de la maison...
- Ça suffit ! s'exclama Lym. Vous me stressez, là. Shay, veux-tu bien enfermer ce papillon hyperactif dans un pot à confiture ? Il me casse les oreilles à vrombir à tout bout de champ.
- D'ailleurs, je t'ai pas dit bonjour, toi !
Kosh tendit les bras vers Larrow et le serra contre lui amicalement. Le Dragomir répondit à l'étreinte avec un air dérouté, ne s'attendant visiblement pas à une telle marque d'affection de sa part. Shay, lui, se contenta de lui adresser un hochement de tête froid, auquel Larrow répondit de la même façon.
Lorsqu'il eut fini de le serrer contre lui à lui en briser les côtes, Kosh s'écarta et hocha la tête comme s'il était enfin prêt à passer à la phase supérieure de son plan antistress.
- Maintenant, petit-déjeuner, scanda Kosh en accourant vers la cuisine.