Tome I : Chapitre 15
Chassant Larrow de ses pensées, Lym se tourna vers la fille aux cheveux frisés qui la détaillait avec anxiété, comme si elle se demandait quelle serait sa réaction après ces révélations, mais elle préféra arrêter d'en parler.
- Merci pour l'info, euh... Je me rends compte que je ne connais même pas ton nom !
- Elyra Djaili, se présenta-t-elle en tendant la main par la fenêtre de sa chambre. (*)
Lym tendit la main à son tour, et elles se prirent la main avant de la serrer, au-dessus du vide et du sublime paysage de la mer turquoise, des bois feuillus et de la grande pelouse sauvage semée d'herbes hautes.
Elle retira sa main, puis lui sourit, cherchant quelque chose à lui dire qui n'ait rien à voir avec le dur passé de Larrow. On devait déjà assez parler de lui dans son dos pour qu'elle s'y mette aussi.
- Est-ce qu'on a cours ensemble, toi et moi ? Tu n'es pas nouvelle, si ?
- Non, ce n'est pas mon premier jour.
- Tu es ici depuis combien de temps ?
- Pas si longtemps, en réalité, je suis venue avec la dernière fournée d'élèves, il y a un peu plus d'une semaine.
- Alors on sera dans la même classe ?
- Sans doute. Le système des classes ne correspond pas à l'âge ni à la durée de notre séjour à Eleuth, mais à notre niveau, alors je pense qu'on sera ensemble, oui.
Lym hocha la tête, enthousiaste.
- Dans ce cas, tu sais par quelle matière on commence, aujourd'hui ?
- Oui, répondit Elyra ; on a Histoire et Étude. Les bases, en somme. Je parie qu'ils attendent demain pour vous faire voir les dragons, ce qui est compréhensible !
- Et c'est quoi, ta matière préférée ? demanda-t-elle, avide d'en savoir plus.
Elyra fronça les sourcils puis se tut un moment, l'air plongée dans une intense réflexion, avant d'enfin lâcher d'une voix un peu hésitante ;
- Peut-être Contrôle ? Même si je n'aime pas trop Cave, la matière est passionnante. J'ai aussi une faiblesse pour le Combat, Luis est des plus sympathiques... J'en sais rien, elles sont toutes bien, à leur façon.
- En quoi consiste le Contrôle ?
La jeune fille eut un sourire amusé.
- Tu es beaucoup trop curieuse, toi ! De toute façon, tu le sauras bien assez tôt, et il faut que j'aille me changer, ou je vais être en retard pour le petit déjeuner.
Penaude, Lym la salua d'un geste et la regarda fermer la fenêtre après lui avoir adressé un mot d'au revoir : elle reprit donc son livre, réjouie de s'être trouvée une nouvelle amie en plus de Joy, Shay et Kosh, et recommença à lire, adossée au rebord du grand hublot dans le nid qui pendait dans le vide, attaché à l'une des branches de l'arbre qui abritait l'Académie.
Totalement absorbée par sa lecture, elle se laissa aller à oublier l'heure et les milliers de questions qui tourbillonnaient dans sa tête pour se plonger dans l'univers qu'elle était en train de redécouvrir au travers des pages jaunies par le temps et que ses multiples lectures avaient racornies. L'odeur du livre, inimitable, ainsi que celle de l'herbe fraîche et des embruns marins qui lui parvenaient depuis l'océan ainsi que le froissement des pages lui fit oublier complètement l'endroit et la situation dans lesquels elle se trouvait. Elle fut brutalement ramenée à la réalité lorsque quelqu'un lui attrapa l'épaule.
Poussant un petit cri de surprise, Lym, automatiquement, habituée aux petites brutes du lycée qui passaient leur vie à persécuter les élèves qui aimaient lire et qu'ils traitaient d'intellos, répliqua à l'attaque. Elle écrasa le pied de son assaillant, qui s'écarta d'elle en riant et en jurant.
- Ouch ! Lym ! Tu m'as fait mal !
- Lake ! soupira-t-elle, soulagée mais aussi agacée. J'aurais dû m'en douter !
Un énorme sourire mesquin jouait sur les lèvres du garçon aux cheveux blonds qui étaient aussi ébouriffés que s'il ne les avait pas coiffés. Il ricana.
- T'aurais vu ta réaction !
- Sache, Shay Lake, que personne, jamais, au grand jamais, ne m'interrompt en pleine lecture, fit-elle d'un ton bourru en ramassant son livre qui s'était écrasé par terre.
Elle grogna de mécontentement en découvrant qu'elle avait perdu sa page, mais elle savait qu'il lui suffirait de le feuilleter pour la retrouver lorsqu'elle en aurait le temps. Shay haussa les épaules.
- Et personne, au grand jamais, ne critique ma sublime chevelure. Je suppose qu'on est quittes !
- Mais aussi, si tu ne voulais pas que je la critique, tu n'avais qu'à la coiffer !
- Je l'ai coiffée ! protesta-t-il. J'ai passé une éternité à les ébouriffer comme ça, et, avoue, tu adores mes cheveux.
Elle sourit, amusée.
- N'importe quoi. Je les déteste.
Il prit un air vexé qui ne fit qu'accroître son hilarité, et elle le poussa légèrement vers l'escalier.
- Allez, ouste. Tu n'as rien du tout à faire ici !
- À vrai dire, si. Il est huit heures et quart. Dans trois quart d'heure, on doit être en cours.
- Quoi ?!
- J'avais pas dit que tu étais tout le temps en retard ?
Elle secoua la tête, excédée, et tous deux sortirent du nid pendouillant pour grimper sur la large branche. Des élèves sortaient de tous côtés pour aller vers le tronc de l'arbre ; Kosh sortit à son tour de sa chambre, l'air encore un peu ensommeillé et perdu, rajustant tant bien que mal des lunettes sur son nez, mais son visage s'illumina lorsqu'il les vit. Ils se saluèrent chaleureusement puis allèrent vers la cafétéria.
Lym passa devant Cléandra, la tête haute, l'ignorant superbement, tâchant de ne pas lui rendre son regard furieux. Elle aurait aimé lui retourner sa froideur, mais elle savait que ce qui la ferait le plus fulminer serait de faire semblant de ne même pas la voir – l'inattention pouvait être plus frappante que la haine. En passant devant leur bande de gorilles au regard vitreux et inexpressif, elle sentit que Larrow, le seul aux yeux éveillés, la regardait et lui adressa un petit signe discret qu'il lui rendit timidement. S'asseoir à ses côtés serait une erreur, mais elle ne se priverait pas de montrer qu'il était son ami. Après être tous passé devant l'étrange distributeur pour prendre croissants et jus d'orange, la jeune fille aux cheveux roux alla s'asseoir entre Shay et Kosh, à une table ronde.
Ils discutèrent gaiement tandis qu'elle donnait des coups de couteau à un gâteau aux cerises, son fruit préféré. Tandis que tous trois parlaient, elle vit une fille s'approcher d'eux avec un petit sac en papier et un verre en carton fumant sentant le caramel et le café, ses cheveux noirs frisés encore humides après sa douche lui tombant sur les épaules et son sourire plein de fossettes collé au visage.
- Alyra, c'est ça ? lui lança Lym en lui souriant.
- Elyra. T'y étais presque. Salut, Lym ! Bonjour, ajouta-t-elle en saluant les deux garçons. Moi, c'est Elyra Djaili. Enchantée.
- Kosh, se présenta celui-ci. Et le zouave qui met des cerises dans ses cheveux en draguant ouvertement sa voisine, c'est Shay.
- C'est mon exacte description, ricana Shay en offrant son sourire mesquin à Elyra, des cerises toujours accrochées un peu partout, ce qui faisait toujours rire Lym.
Celle-ci fit signe à Elyra d'approcher et elle vint s'asseoir en face d'eux, sur un petit banc en souche de chêne veinée de sève.
La jeune fille sortit de son sac en papier un muffin aux myrtilles et but de son café fumant une gorgée, avant de grimacer lorsque la mixture ardente lui brûla la langue. Elle reposa le gobelet sur la table en faisant une moue sceptique, tandis que Lym et Shay continuaient de se chamailler.
- Puisque je te dis que si, insista le garçon.
- Bien sûr que non !
- Tu avais un regard de zombie quand tu lisais ! Et même que des fois, tu faisais ce sourire idiot...
- C'est parce que mon couple préféré s'était embrassé ! protesta Lym. J'avais toutes les raisons du monde de sourire bêtement.
- Vraiment ? Je n'aurais pas pensé que tu serais du genre à aimer les romans à l'eau de rose.
Cette fois, Lym ne put s'empêcher de ricaner doucement. Un roman à l'eau de rose ? Effectivement, ce n'était pas son style. S'il savait le nombre de fois où son personnage préféré était mort dans d'affreuses souffrances, il ne parlerait pas aussi vite. Elle lui tendit le livre en lui disant de l'ouvrir à n'importe quelle page, et il obéit, passant quelques pages jusqu'à être près de la fin.
Il s'éclaircit la gorge, et elle s'imagina qu'il allait prendre une voix ridicule pour la narguer, mais il commença à lire avec calme et en mettant le ton ;
- J'ignore s'il est en train de hurler, bien qu'il ait la bouche grande ouverte. Nous regardons, impuissants, son corps fondre comme de la cire... (**) Mmh, effectivement, approuva-t-il en refermant le livre et en le lui tendant. Pas trop d'histoires d'amour dégoulinantes de niaiserie – tant mieux, je préfère les histoires d'horreur, moi.
- Parce que tu aimes lire ? s'étonna-t-elle.
- Peut-être pas autant que toi. Ça, c'est plutôt le style de Kosh. Lui, il adore les maths. Les MATHS, tu te rends compte ?
- J'ai entendu mon nom, fit d'ailleurs celui-ci en s'incrustant dans la conversation. Si vous me critiquiez, Elyra vous balance son café à la tête.
- Qui te dit qu'elle le fera ? répliqua Lym.
- Moi, répondit Elyra en souriant.
Elle avait déjà l'air de bien s'entendre avec Kosh, et bien qu'elle ait peut-être dû être jalouse de la voir devenir amie avec tous ceux qu'elle appréciait, Lym était au contraire ravie de s'être trouvé une énième camarade aussi sympathique.
- Pas la peine de balancer ton café, lança Shay en prenant une gorgée de son thé typiquement anglais. On ne critiquait pas notre chère maman surprotectrice.
- Il n'est pas notre mère, soupira Lym.
- Si, Luke, je suis ta mère, lança Kosh, ce qui fit immédiatement rire le garçon aux cheveux blonds.
- Fan de Star Wars toi aussi ? devina Elyra.
Et voilà que le brun et la fille aux cheveux frisés s'étaient lancés dans un débat pour déterminer si, oui ou non, le dernier film sorti était à la hauteur et aussi pour décréter qui était l'âme sœur de Rey, entre Kylo Ren et Finn. Lym, ennuyée, les regarda se disputer durant une éternité jusqu'à ce qu'enfin, une sorte de gong étrange résonne dans tout l'arbre pour les prévenir de l'heure.
Tous les quatre se levèrent pour se rendre vers leur classe d'Histoire, et la jeune fille rousse sentit l'anxiété croître en elle à mesure qu'ils prenaient l'échelle qu'elle avait empruntée avec Larrow pour aller discuter la veille. Au premier étage se trouvaient toutes les salles de classe en intérieur, et les deux filles menèrent les garçons jusqu'à la salle d'Histoire ; la première y avait déjà fait des cours, et l'autre y était passé pour parler avec son ami un jour plus tôt. Un par un ou par petits groupes qui discutaient et riaient allègrement, les élèves arrivèrent devant la salle d'Histoire et se rangèrent dans le couloir en attendant impatiemment l'arrivée de leur professeur. Elle se demanda s'il s'agirait de l'un des trois auctors, Zale, Cave et Luis, ou si ce serait quelqu'un de complètement différent qu'elle n'avait jamais rencontré : lorsque tout le monde se fut agglutiné – bien que le chêne d'Eleuth fût gargantuesque, les salles y étant elles aussi immenses et donc peu nombreuses, il était difficile de s'y perdre – devant la porte, enfin, l'enseignant arriva.
Ce n'était aucun des trois auctors, c'est-à-dire dirigeants, de l'Académie des Dragomirs, mais une nouvelle personne qu'aucun des trois nouveaux ne connaissait. C'était un homme qui aurait parfaitement pu être le bibliothécaire du CDI de St Exupéry. Le genre de personne qui aimait beaucoup trop le café pour son propre bien et n'aimait que les livres anciens. Grand, avec un nez aquilin sur lequel étaient perchées des lunettes, des yeux trop grands et bruns, un visage intemporel, des joues osseuses et des rides aux coins des yeux, il tenait un sac sous son bras, était vêtu d'une cape longue et d'un haut noir boutonné jusqu'en haut du col. Il avait l'air sévère, mais ce genre de sévérité qui allait de paire avec un enseignement très instructif et intéressant et des cours excessivement longs et passionnés. Sans un mot, il leur offrit un léger sourire qui rehaussa les rides aux coins de ses yeux et ouvrit la porte de la salle d'Histoire, qui était ouverte et non pas fermée à clef comme d'autres ; à l'intérieur, Lym retrouva le décor qu'elle avait découvert la veille, avec ses tables, ses poufs et ses chaises variées, les fenêtres rondes qui n'étaient pas sans rappeler celles des maisons des Hobbits, et les murs invisibles sous les affiches, les dessins et les très nombreuses frises et cartes variées. Comme le professeur ouvrait les fenêtres pour aérer, l'odeur de papier froissé et de craie blanche qui flottait habituellement dans les salles de classe de son lycée caecus St Exupéry était accompagnée de la grisante senteur de la rosée, du sel marin et des herbes hautes.
Tous les élèves prirent place dans la classe, et Lym alla s'asseoir sur un gros pouf pourpre qui s'affaissait sous son poids, entre Elyra et Larrow, à la grande déception de Shay qui prit un air vexé de petit garçon pour essayer de l'attendrir. Pour une fois, le garçon aux yeux pâles ne se montra pas distant. À vrai dire, il sembla surtout surpris de la voir lui adresser la parole, même s'il se décala pour lui laisser une place à côté de lui.
- Salut, lui dit-il.
- Salut ! Tu n'es pas avec Cléandra et sa bande, aujourd'hui ?
Il prit un air un peu offensé ;
- Non. Ils sont dans la classe d'au-dessus. Moi, j'ai tellement étudié ici que Cave me laisse travailler dans le niveau que je veux. Et j'évite, au possible, de trop traîner avec eux. Seulement de temps à autres pour montrer que je suis toujours un membre de sa clique.
Elle hocha la tête, un peu rassurée. Au moins, elle pourrait ainsi lui parler sans avoir à s'inquiéter de trouver Cléandra qui lui collait aux basques. Malgré tout, Larrow semblait toujours un peu hésitant, et elle fut déroutée de l'entendre demander ;
- Dis... Tu as parlé avec l'un des élèves ?
- Tu veux dire, est-ce que j'ai interrogé quelqu'un à ton sujet pour comprendre pourquoi tu fréquentes Cléandra ?
Après un temps d'hésitation, il acquiesça.
- Oui, je me suis renseignée.
- Et tu veux toujours être mon amie ?
- Sinon, je ne serais pas là, non ?
Il n'en sembla que plus confus, cherchant ses mots. De toute évidence, il ne s'attendait pas à ce qu'elle accepte de rester à ses côtés après pareilles découvertes.
- Je crois que tu ne comprends pas. J'ai déjà tué, et...
- Sans blague ! Cave m'a clairement exposé les contraintes de ma scolarité lorsque je suis arrivée. Il m'a dit que devenir une élève, c'était aussi m'engager dans une guerre. Et dans une guerre, il y a des morts. C'est comme ça.
- Mais je n'ai pas seulement tué une paire de malfaiteurs, je...
Elle l'interrompit en levant une main, lui faisant signe de se taire.
- Je t'arrête là. Ouais, t'as fait de vilaines choses, mais j'ai décidé de te laisser une chance. Je ne vais pas me faire une opinion sur toi à base de rumeurs et de ragots. Tu as une réputation peu flatteuse, mais il ne faut pas toujours se fier à la réputation des gens.
Elle vit qu'il allait reprendre en lui exposant un énième argument, lorsque le professeur alla se poster devant le tableau en toussotant pour attirer l'attention de ses élèves. Rapidement, le silence s'installa dans la salle.
- Bonjour, chers Dragomirs ! lança l'homme en leur offrant l'un de ses sourires qui relevait les rides au coin de ses yeux. Commençons par faire l'appel.
Il claqua des doigts et ses yeux devinrent brusquement d'un rouge braisillant qui illumina ses pupilles. S'ils avaient été dans le noir complet, elle était persuadée qu'elle aurait pu voir deux points incandescents au milieu de l'obscurité. Certains élèves sursautèrent, mais Lym resta de marbre, bien qu'intéressée ; elle avait vu Larrow, Orion Elgar et elle-même faire rougeoyer leurs iris avant d'utiliser leurs aptitudes et voulait savoir ce qu'il allait faire, cette fois.
Un ruban, enroulé autour de l'un des rideaux censés obstruer la vue des fenêtres, se déroula puis se redressa dans les airs comme un reptile appelé par un charmeur de serpents avant de flotter devant le professeur. Il commença à former des noms en l'air en face de l'homme, qui lisait les mots que traçait le ruban par ordre alphabétique. « Alley Lymerya » était bien sûre dans les premières, suivie de « Bluewell Kosh », « Bishop Joyce » puis « Djaili Elyra » et « Larrow Sean », mais elle n'entendit pas le nom de Shay dans les L pour Lake. Peut-être n'avait-elle pas attentivement écouté, mais elle avait d'autres préoccupations en tête. L'enseignant, lorsqu'il eut terminé, fit un vague geste de la main, faisant voler le ruban jusqu'à l'autre bout de la pièce où il s'affaissa sur le sol comme un serpent envers qui le charme se serrait rompu, puis il reprit la parole.
(*) l'ancien nom d'Elyra était Lara, mais je l'ai changé. S'il y a des erreurs autour de son nom je suis vraiment désolée et n'hésitez pas à me prévenir pour que je m'en occupe, merciii
(**) cet extrait est issu d'Hunger Games - la Révolte
PS: Je ne mettrai sans doute plus de montages à la fin des chapitres, ils me prennent trop de temps et je dois plutôt me dépêcher sur la correction pour pouvoir continuer à écrire
(chapitre corrigé ✔)