Comme Nina se mettait à pleurer, craquant face au poids de tout ce qui s'était passé, Shay s'agenouilla devant elle en chassant gentiment une mèche noire et frisée de devant ses grands yeux larmoyants.

- Eh, princesse, pourquoi tu pleures ?

- Je crois qu'ils ont tué papa, confia la petite fille en reniflant.

- Bien sûr que non, ils ne l'ont pas tué. Il va bien. Il est juste un peu assommé avec tout ce qui s'est passé, c'est normal ! Allez, princesse, on va partir d'ici, d'accord ?

Nina Djaili renifla à nouveau, et Shay la prit dans ses bras pour la porter jusqu'à l'extérieur, suivi de Lym qui ne savait pas vraiment s'y prendre avec une bande d'enfants qui pleurnichaient, serrant dans ses bras la boule de poils blancs qui aboyait sans arrêt. Au moins les chiots étaient moins bruyants et n'exigeaient pas des biscuits à longueur de journée. En revanche, ils avaient la désagréable habitude de déféquer un peu partout. Mais bon, personne n'était parfait.

En arrivant dans le jardin, ils virent que Kosh et Larrow avaient quasiment achevé de tracer les enchantements nécessaires à la téléportation.

- C'est ton chien ? s'enquit Kosh en avisant le minuscule Flocon.

- Non, c'est une licorne, rétorqua Lym à sa place.

Kosh esquissa un sourire.

- Il s'entendra bien avec mes animaux de compagnie et ceux de Shay, je pense.

Lym haussa les sourcils. Pourquoi Larrow et elle étaient les seuls à ne pas avoir d'adorable petite boule de poils pour leur aboyer dessus ?

Avec empressement pour ne pas s'attarder dans cette maison où semblaient traîner les fantômes des évènements passés, ils prirent place dans le cercle et des retrouvèrent très vite engloutis par la lumière d'or du sortilège.

Immédiatement, l'odeur de peinture fraîche, de frites du fastfood et de plantes chauffées par le soleil s'évanouit, ainsi que la chaleur presque étouffante d'humidité. Ils furent assiégés par un froid nocturne lui aussi très humide, et par le parfum persistant du petrichor et de la sève de conifères. C'était exactement la même odeur que celle de Shay, et Lym comprit tout de suite d'où il la tenait. Elle relâcha ses bras qui maintenaient Flocon dans ses bras, et le spitz allemand nain tomba au sol où il se mit à courir allègrement. En ouvrant les yeux, elle découvrit une vallée entourée d'un solide barrage de sapins dont les épines tapissaient le sol herbeux. Au loin, derrière les arbres, on discernait les toits d'une ville, mais ils étaient cachés par les masses d'arbres épineux. Deux maisons très différentes l'une de l'autre se dressaient dans cette combe herbeuse, séparées par une haie haute.

La première, à droite depuis leur point de vue, avait une boîte aux lettres tordue plantée dans le gazon irrégulier, qui indiquait « BLUEWELL » en grosses lettres écrites à la peinture bleue qui avait bavé. Le toit incliné était tuilé d'ardoises, au milieu desquelles apparaissait une petite cheminée d'où s'échappait un petit panache de fumée. Les murs de briques, la porte à la peinture irrégulière et les fenêtres aux vitres dépareillées illuminées par une accueillante lumière qui mouchetait l'herbe humide, tout dans cette maison avait une aura de bienveillance et donnait l'impression d'être un refuge pour les égarés. On entendait des gens s'apostropher à l'intérieur et des animaux pousser de petits cris. De nombreux nids d'hirondelles avaient été construits sous la gouttière du toit.

À côté, la deuxième maison semblait sortir d'un magazine de publicité Ikea. Avec le petit sentier appliqué de pavés lisses sans la moindre aspérité, ses massifs de fleurs blanches parfaitement coupés, les colonnes à la grecque d'un blanc immaculé et la porte de verre, on aurait dit l'un de ces manoirs que des servants passaient des siècles à nettoyer avec un soin fébrile pour l'arrivée de chaque invité. Les murs étaient gris et blancs, et de grandes baies vitrées qui montraient les salles de marbre donnaient sur des balcons à l'étage ; l'endroit, moderne et resplendissant de propreté, était surmonté par un plafond plat où était aménagé une terrasse. Elle n'aurait pas été surprise d'y trouver une piscine. Ou dix.

À l'intérieur, comme on pouvait le voir au travers des immenses baies, des plantes artificielles en pots servaient de mince décoration et quelques cadres aux peintures simples essayaient d'aviver les murs nus. C'était un peu trop grand, avec un mobilier trop blanc et soigné, une précision et une symétrie à en avoir le tournis.

Dehors, il y avait deux box où un cheval pommelé absolument magnifique somnolait et où une jument brune agitait sa crinière avec agacement, chassant une mouche. Il y avait aussi un pieu planté dans le jardin, auquel était enchaîné un très beau chien au pelage long qui semblait mourir de chaud et haletait tristement, roulant dans l'herbe dans son sommeil.

Un panneau à la calligraphie appliquée indiquait en lettre dorées gravées dans le marbre le nom « ESTRELL ».

L'endroit était luxueux, très beau à sa manière, digne d'un Conseiller Dragomir. Mais il était aussi froid, stérile et dur.

- C'est ta maison ? demanda Lym à voix basse à Shay, bien que ce fût plus une affirmation surprise qu'une question.

- Celle de mon père, oui, répondit-il sombrement.

Il garda les yeux fixés tristement sur le bâtiment aux allures modernes, l'air hagard et pensif. De toute évidence, pour Kosh, cet endroit représentait son foyer ; pour Shay, en revanche, c'était sa prison.

 De toute évidence, pour Kosh, cet endroit représentait son foyer ; pour Shay, en revanche, c'était sa prison

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(chapitre corrigé ✔)

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