Lymerya Alley.
Rien que le nom était déjà des plus anormaux.
Alors si, en plus, elle voyait des évènements inexplicables et surnaturels autour d'elle depuis son enfance, on pouvait déjà s'imaginer que sa vie ne serait pas des plus communes.
Pourta...
Elle pouvait maintenant sentir son souffle ardent qui soulevait ses mèches emmêlées autour d'elle. Le Noxis laissa échapper un long grognement furieux qui signifiait clairement qu'il ne voulait pas de cette proximité inattendue, mais elle ne flancha pas. Elle s'avança encore et tendit la main jusqu'à ce que ses doigts soient à quelques centimètres de sa peau écailleuse.
- Tu n'es pas seul...
Le grognement s'éteignit, mais elle vit ses narines se dilater légèrement, à quelques centimètres de sa paume.
- T'es pas seul, gros tas d'écaille. Tu me fais confiance ?
Elle sentit l'ombre d'un sourire se former sur son visage et attendit le rugissement de colère du dragon, qui ne vint pas. Il la toisait avec un air inquisiteur, comme s'il se demandait si elle méritait encore sa petite vie de pacotille ou s'il pouvait se défaire d'elle d'une bouchée. Elle attendait toujours son verdict.
Puis le dragon sembla prendre sa décision.
Il avança légèrement le museau jusqu'à ce qu'elle puisse sentir les écailles rugueuses de son museau sous ses doigts. Son cœur fit un bond dans sa poitrine. Les écailles étaient froides au toucher, malgré la chaleur accablante de cette journée estivale. Elle avait l'impression de poser les doigts sur un morceau de glace.
Elle caressa doucement son museau, les yeux grands ouverts de stupeur.
Oui.
Lym sourit. « Oui », son dragon lui faisait enfin confiance. « Oui », il l'avait enfin acceptée comme cavalière.
Elle s'écarta lentement de l'animal immense, d'un pas lent pour ne pas lui donner l'impression d'être une menace (ce serait dommage de tout gâcher à ce stade-là) et se dirigea vers le mur de bois couturé de griffures qui empêchait Laxy de voir le soleil. Elle tira sur la grosse planche qui le retenait clos, et les venteaux pivotèrent en grinçant affreusement pour laisser se déverser à l'intérieur une mer de chaleur étouffante et de soleil doré. Les pupilles noires dans la mer de violet se rétractèrent face à la lumière de l'astre. Le dragon ferma les yeux, semblant savourer les rayons d'or qui venaient chauffer ses écailles aux mille couleurs du ciel ; Lym, tandis qu'il profitait des chatoiements de l'astre, alla cette fois vers les grosses chaînes qui entravaient les pattes arrières du dragon et ses ailes. Elle sortit de sa poche la petite clef rouillée que lui avait donnée Zale. « Ne t'en sers que quand tu seras totalement sûre de la docilité de ton Equitem », l'avait-elle avertie. Était-elle « totalement sûre de la docilité » de Laxy ? Pas du tout. Elle était même encore surprise d'avoir ses deux mains et d'être vivante.
Mais elle ne laisserait pas cette bête se languir du ciel où il voulait voler ; elle ne le maintiendrait pas enfermé comme ça, avec les ailes rétractées dans le noir et les yeux rétrécis par l'obscurité. La clef tourna dans la serrure et les chaînes tombèrent lourdement, avec un bruit de ferraille, sur le sol de pierre.
Laxy ne sembla pas tout de suite remarquer sa soudaine liberté. Lorsqu'il s'en aperçut, ébahi par tant de miracles, il agita les pattes, battit des ailes en les faisant grincer contre les murs de la grotte, et fit crisser les rangées de pics argentés sur la pierre tandis qu'il prenait conscience des possibilités qui lui étaient offertes.
Malgré tout son courage d'un peu plus tôt, Lym fila quand même se cacher derrière une brouette ; même s'il ne l'attaquait pas, elle n'en était pas en sécurité pour autant. Car s'il s'envolait, elle risquait d'être saisie par les bourrasques ou de se prendre un coup d'aile, comme l'avait expliqué Zale au dernier cours. Laxy resta encore un instant à savourer cette libération en agitant les ailes comme un oiseau nouveau-né qui cherche comment s'en servir, puis, sans prévenir, il se mit à courir sur le sol de pierre, et donna un gros coup de pattes pour se propulser. Il étendit ses ailes, qui étaient si grandes que Lym eut l'impression qu'elle était en pleine nuit, et s'éleva lentement vers le ciel lumineux. Elle le regarda monter vers les nuages avec la fierté d'une grande sœur voyant son petit frère faire ses premiers pas. Reviendrait-il dans son nid ? Peut-être. Après tout, il y avait de la nourriture gratuite et à volonté, des soins fournis par dizaines et une petite humaine chétive qui semblait bien l'aimer ; alors peut-être, effectivement, qu'il reviendrait.
Elle passa les trois heures suivantes à profiter de son absence pour faire le tour de la grotte. Sans dragon menaçant qui donnait l'impression de vouloir la dévorer, elle avait enfin l'occasion de remettre en état l'endroit, balayant la paille sale pour la remplacer par des fétus propres, étendant des couvertures qui n'étaient pas déchirées de tous côtés et empilant des coussins duveteux dans les coins. Elle remplit l'abreuvoir, nettoya les murs couverts de sang de poisson, et mit à la place des teintures qu'elle eut bien du mal à appliquer. Si tout se passait aussi bien qu'elle l'espérait, ces murs seraient un jour couverts de photos et d'affiches, comme ceux de la grotte de Glass.
Lorsqu'elle eut terminé, la grotte laissa échapper une impression subtile de confort chaleureux qui détonnait par rapport à sa froideur et son animosité d'autrefois. Comme elle l'avait espéré, Laxy revint quelques minutes avant la fin du cours : lorsqu'il entra dans son box, une vague d'air brûlant s'y engouffra aussi en balayant en partie des amoncèlements de paille.
- Salut, sourit Lym. Alors, c'était sympa ?
Laxy hocha la tête en collant ses immenses ailes sur son dos pour parvenir à se glisser dans la cavité rocheuse ; il avait l'air épuisé, mais une étincelle de liberté grisante scintillait dans ses grands yeux lavande. Lym hésita un instant puis posa la question qui la taraudait :
- Dis... Tu pourrais pas m'emmener voler ?
Le dragon prit un air courroucé, et elle ne put s'empêcher de rire de son indignation.
- Bon, bon, d'accord. C'est trop demander, pauvre crocodile idiot.
Il avait l'air heureux, et cette joie animait aussi Lym. Un Equitem et son cavalier partageaient-ils aussi des émotions, ou bien était-ce simplement à cause du bonheur de le voir aussi libre et épanoui ?
Elle jeta la pelle dans un coin, prit son livre posé par terre et allait sortir quand elle entendit une voix tonitruante dans sa tête.
Lym... Merci.
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