Lymerya Alley.
Rien que le nom était déjà des plus anormaux.
Alors si, en plus, elle voyait des évènements inexplicables et surnaturels autour d'elle depuis son enfance, on pouvait déjà s'imaginer que sa vie ne serait pas des plus communes.
Pourta...
- Je suis désolée. Vraiment. Je comprendrais si tu m'en veux...
Sofy secoua la tête en essayant de ravaler ses sanglots et s'approcha de son amie pour la prendre dans ses bras, fourrant le visage dans ses cheveux roux. Lym la serra contre elle, consciente de sa tristesse et sa fragilité, et elles restèrent l'une contre l'autre, longtemps, avant de se séparer pour se tourner vers le terrain de foot. Sofy prit son fondant entre ses doigts tremblants et commença à mordre dedans à pleines dents, prenant d'énormes bouchées qu'elle avait du mal à avaler. Les larmes salées semblaient flotter dans l'air vibrant, en suspension comme si elles allaient recommencer à couler à flots d'une minute à l'autre.
Lym regarda les garçons se passer la balle et feinter pour arriver jusqu'aux buts, avant de marquer et de pousser des hurlements de phoques constipés, se sautant dans les bras et se donnant des tapes dans le dos si violentes que l'un d'entre eux faillit vomir. S'ils savaient toutes les choses qu'ils ignoraient...
Si Sofy savait tout ce que Lym savait, à présent...
Elle comprendrait.
- Je suis désolée, murmura Lym.
- Non, répondit Sofy. Ne le sois pas. C'est une grosse opportunité. Je n'aurais pas refusé non plus, à ta place.
Elle était persuadée qu'il s'agissait là d'un immense mensonge. Sofy avait un cœur d'or ; elle serait capable de laisser derrière elle tous ses rêves pour rendre ses amis heureux. Et puisqu'en l'occurrence « ses amis » signifiait « Lym », elle ne s'en sentait que plus coupable de l'abandonner.
- Je ne t'en veux pas, Lym, vraiment. Passons cette dernière journée comme il se doit, d'accord ? Et si on faisait tout ce qu'on a toujours voulu faire dans cet établissement ? C'est ton dernier jour ici.
Lym lui sourit, touchée, et hocha la tête.
Déjà, elles achetèrent tous les fondants au chocolat de la cafétéria et en mangèrent jusqu'à n'en plus pouvoir ; puis la jeune fille rousse alla interrompre le match de foot pour marquer le but qui devait être le plus phénoménal de l'histoire du lycée. Les garçons en maillots de sport trempés en restèrent bouche bée, et, eux qui l'avaient toujours refusée auprès d'eux car elle était une fille, ils la supplièrent presque de rejoindre l'équipe de St Exupéry. Lorsqu'elle répondit que c'était son dernier jour, ils s'en arrachèrent les cheveux, regrettant sans doute de l'avoir aussi souvent refusée parmi eux.
Puis Lym, pendant l'Art Plastique, se leva et alla prendre la place du professeur en affirmant que c'était une performance artistique, et elle commença à ouvrir des débats sur ses livres et films préférés avec toute la classe. À la fin du cours, même le professeur s'était investi dans le débat Marvel vs DC qui s'était engagé en plein cours. En cours de chant, elle courut jusqu'à l'estrade et se mit à entonner avec enthousiasme La danse des canards, et enfin, en français, elle trouva le courage d'hurler « POUR NARNIA » en brandissant sa règle en plastique, cri reprit par la moitié des élèves, dont Sofy. Lorsque les professeurs exigèrent son carnet de correspondance pour lui mettre des heures de colle, elle leur annonça qu'il s'agissait là son dernier jour de cours, ce qui les laissait sans voix à chaque fois.
À la fin de la journée, la dernière classe, mathématiques, s'acheva et les deux amies sortirent dans la cour en se dirigeant lentement vers la sortie ; Lym jeta un dernier coup d'œil au grillage où se trouvait encore le grand trou, au couloir derrière le bâtiment des sciences où elle avait parlé à Larrow. Elles passèrent sous le portail et arrivèrent devant le tas de compost malodorant, et elles firent les gestes qu'habituellement elles faisaient hâtivement pour rentrer vite chez elles, avec, cette fois, une grande lenteur pour faire durer cet instant. Les deux amies extirpèrent leurs vélos des buissons où elles les camouflaient toujours, puis elles marchèrent dans la ruelle à l'asphalte craquelée par le temps et les mauvaises herbes qui avaient profité des fissures pour s'épanouir, tenant les guidons de leurs vélos.
- Ça va faire tellement bizarre quand tu ne seras plus là, fit tristement Sofy.
- Je sais... Je t'appellerai. Lundi soir.
- Mardi, proposa-t-elle. Profite de ton premier soir dans ce nouveau lycée pour te reposer. Tu seras sans doute exténuée. Tu n'as qu'à m'appeler mardi.
Elle allait la laisser seule et sans amis au lycée et elle s'inquiétait pour ses heures de sommeil. Lym eut presque envie de rire.
- Merci, Sofy, murmura-t-elle en serrant sa main tout en conduisant son vélo de l'autre. Merci d'être une amie aussi fantastique.
Le sourire que lui offrit la petite blonde aux nattes soignées était empli d'un mélange de lassitude et de mélancolie.
- Merci à toi. C'est pas un adieu, tu sais ? On n'est seulement plus dans le même lycée. On se verra toujours.
- Je sais. On s'appelle, hein ? On continue à se voir ?
- Oui. Je ne te lâcherai pas, promit Sofy.
Lym hocha la tête. Elle monta sur son vélo puis se mit à pédaler à toute vitesse, tressautant sur le sentier irrégulier, ses longs cheveux roux voletant derrière elle. Sofy la regarda s'éloigner puis se détourna avec des larmes dans les yeux, et elle rentra chez elle.
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