Les jeunes filles sortirent du train à quelques minutes d'intervalle pour ne pas s'accabler d'un risque inutile.
Au loin, Irina vit Catherine se jeter dans les bras de sa mère ; Mme Leroux ne s'attarda alors pas, elle attrapa sa fille fermement et, sans un regard pour quiconque, se pressa de quitter le quai.
Bientôt les deux femmes brunes disparaissaient, noyées dans le flot angoissé de parents et d'enfants.
Alors que le quai se vidait, une silhouette noire demeurait, un peu à l'écart drapé d'un part-dessus gris souris et camouflé sous un chapeau de sorcier de la même couleur. Rabastan Lestrange toisait la foule, un sourire goguenard, satisfait. Irina s'avança vers lui et ne parvint pas à retenir ses mots qu'elle cracha comme un venin.
- Que faites-vous ici, vous n'êtes plus recherché ?
L'homme fronça les sourcils, visiblement mécontent d'être interpelé aussi sèchement sans même la considération qu'il pensait devoir mériter.
- Le ministère à d'autres chats à fouetter.
La jeune fille attrapa son bagage à deux mains et tenta de cacher au mieux sa moue dubitative.
Sur le quai, pas de trace de Drago ou de Narcissa.
- Sauriez-vous où est Drago ? Il a disparu depuis la nuit dernière, la nuit où les mangemorts sont entrés à Poudlard.
Une remarque acerbe résonna dans la tête de l'adolescente, mais elle parvint à garder les lèvres scellées « La nuit où vous y étiez ». Bien qu'elle n'en eût aucune certitude, la simple possibilité qu'il ait pu être de la partie, celle de l'assassinat du directeur la révulsait de dégout et de colère.
- Drago est rentré avec nous après la mission, il est l'un des nôtres maintenant.
Cette simple phrase la rassura autant qu'elle l'accabla. Ainsi Drago Malefoy était vivant, mais d'un autre côté il était désormais définitivement un fidèle du mage noir. Avec tous les dangers que cela comportait. Irina garda pour elle ses interrogations, pourquoi Voldemort avait-il voulu Drago ?
Ce n'était qu'un adolescent ! Il pouvait et de toute évidence avait joué un rôle stratégique, mais il n'était pas adulte, pas apte à prendre ce genre de décision pour son avenir. Comment Narcissa avait-elle pu laisser cela arrivé ? Mais au fond d'elle Irina Lestrange le savait.
Drago n'avait pas eu le choix.
Comme elle ne l'aurait pas.
Ensemble, ils rejoignirent la longue file d'attente pour sortir de la gare.
Tel un loup au sein d'un troupeau d'agneau, Rabastan ne se répartissait pas de son sourire moqueur.
À côté de lui, Irina se demanda dans quelle catégorie elle devait se placer ; pas loup, mais plus agneau pour autant.
Sans n'accorder aucun regard à ses camarades, la jeune fille essayait de se rendre invisible et n'espérait qu'une chose ; qu'on ne note pas sa présence autour de celle du mangemort recherché.
Mais très vite elle se rendit compte de l'absurdité de son vœu pieu, Rabastan Lestrange était son père, bine sur que tous savaient qu'elle le côtoyait, qu'elle vivait ou au moins, avait vécu avec lui pendant des années ; bien sûr que tous la pensaient sur les traces de son père.
À pas vifs, le duo Lestrange rejoignit la dalle de transplanage et en éclair, disparut du quai bondé
Avec un ravissement limité, la jeune fille découvrit que le transplanage ne la rendait plus aussi nauséeuse qu'auparavant ; peut être lié a la fréquence de ce moyen de transport bien au-dessus de la moyenne des étudiants de son âge ou de son corps qui progressivement finissait de grandir.
Cette fois ce fut elle qui poussa la porte du manoir, et ce, sans avoir le cœur au bord des lèvres, seulement les viscères emmêlés d'angoisse et le cœur plus maussade que jamais.
Au rez-de-chaussée, des voix enjouées retentissaient.
Aussitôt la porte refermée, Bellatrix et Rodolphus vinrent les accueillir dans le hall, visiblement en pleine célébration.
Bellatrix les invita d'un geste de la main à les suivre dans le salon, un large sourire rendait son visage momentanément agréable à regarder.
Sur la table du salon, des bouteilles d'alcool et différentes mignardises colorées.
D'autorité, Bellatrix plaça un verre de vin vermeil entre les doigts de sa nièce et de son beau-frère avant de s'emparer de son verre qu'elle dut remplir dans la foulée.
Irina toisa un instant le liquide et plissa du nez ; l'odeur d'alcool était prégnante.
- Voyons Bella, elle n'a pas l'âge pour ça ! grinça Rabastan en amorçant un geste pour retirer le verre des mains de sa fille.
Outrée, Irina écarquilla les yeux et haussa les sourcils avec un sourire désabusé.
Ainsi Rabastan considérait que du haut de ses presque 16 ans elle ne pouvait consommer de l'alcool, mais jamais il ne l'avait empêché où protéger de s'approcher des dangereux criminels à deux pas d'elle.
Mais Irina soupçonnait la motivation de son père d'être de contrarier sa belle-sœur et d'assoir son autorité sur son éducation plus que de vraiment s'enquérir de la consommation d'alcool de sa fille.
- Allez un verre ne va pas la tuer ! rétorqua Bellatrix en incitant les quatre Lestrange à trinquer leurs verres au centre de leur groupe.
- À la mort du vieux fou de Poudlard et à la réussite de cette mission périlleuse ! clama Rodolphus, revigoré par un élan de vie peu habituel.
Un tintement cristallin bientôt suivi par une gorgée goulue de vin rompit le silence.
Avec une moue dégoutée, Irina regarda tour à tour ces mangemorts dont elle se sentait à l'opposé.
Abimé par la prison et la magie noire, ils étaient tous rongés par une noirceur incompatible avec la plus simple énergie de vie. Tels des pantins dont les fils avaient été coupés, ils ne retrouvaient des forces et une vitalité de façade que dans la mort qu'il pouvait distribuer autour d'eux, dans les méfaits qu'ils pouvaient accomplirent pour plaire à l'incarnation même de la mort.
Ils avaient jeté le chaos sur son école, sur le monde des sorciers. Avec haine elle balaya son regard bleu sur les silhouettes voutées déjà occupé à remplir à nouveau leurs verres, trop heureux de célébrer le désordre qu'ils avaient causé.
- Tu ne bois pas ? s'interrogea Rodolphus en jetant un œil au verre à pied, intact dans les mains de sa nièce.
La jeune adolescente tourant vers sa famille un sourire faussement contrit.
- Désolé, je n'aime pas le vin.
Rodolphus opina distraitement du chef avant de tendre sa main vers un plateau rempli de toasts.
- Quel a été le rôle de Drago dans cette mission. Demanda calmement Irina, en articulant chaque mot ; qu'on ne la fasse pas répéter.
Bellatrix se figea un moment. Derrière ses lourds cils noirs et fournis, Irina pouvait presque y lire l'indécision.
- Drago a rempli sa mission donnée par le seigneur des ténèbres ; le maitre l'a marqué et Drago a pleinement rempli sa tâche ; il est digne de sa famille.
Elle s'était préparée à ne pas réagir trop violemment, s'attendant à ce genre de révélation.
Mais, cela faisait tout de même mal, elle n'avait rien vu, Drago s'était démené toute l'année avec ses démons, une mission donnée par Voldemort lui-même et surement les derniers éclats de sa conscience à se demander quel camp choisir et le bien-fondé derrière tout le mal qu'il allait créer.
Et cela, Drago avait dû l'affronter seul.
Pour cacher son trouble à sa tante qui l'observait toujours beaucoup fixement, Irina avala cul sec son verre de vin. Sous les applaudissements de Rodolphus et l'air agacé de son père, elle but jusqu'à la dernière goutte. Le gout amer du vin et la chaleur de l'alcool lui brulèrent la gorge et la firent grimacer avant de tousser. Des larmes se formèrent aux commissures de ses paupières et pendant 2 secondes elle put penser à autre chose que sa vie en lambeaux.
Le soir même, après s'être assuré que les adultes continuaient de festoyer, elle s'éclipsa du manoir avec un sac contenant tout son argent et sa baguette.
Aussi lentement qu'elle l'avait pu, elle avait refermé le battant puis avait couru à toutes jambes à travers les rues désertes de son quartier jusqu'à rejoindre la route à quelque 500 m de son domicile.
Essoufflée, mais alerte, elle avait scruté les alentours, vérifiant qu'il n'y avait pas trace de moldus ou pire, de mangemort avant de lever haut sa baguette et d'articuler distinctement.
- Magicobus !
À cette heure tardive, le fameux bus s'arrêta rapidement devant elle, plus habitué que lors de ses voyages précédents, elle donna l'adresse du manoir Malefoy et le compte en monnaie.
Sans un mot ni un regard aux occupants, elle s'assit sur le siège le plus proche de la porte et attendit d'arriver à bon port, sa baguette toujours enfoncée dans son poing, caché sous son sac en toile sur ses genoux.
Ce ne fut qu'une fois au dehors des grilles du manoir Malefoy qu'Irina se demanda si elle avait fait le bon choix celui de se déplacer, de nuit, sans n'avoir été annoncé dans ce qui semblait être le lieu de prédilection de villégiature du mage noir.
Mais, elle n'eut pas à s'inquiéter longtemps, avant même d'atteindre le portail, la voix fatiguée, mais caractéristique de Narcissa se fit entendre sans pour autant qu'elle ne soit visible nulle part.
« Surement un sort de surveillance » pensa Irina avant de reculer d'un pas, par prudence.
- Irina ? que fais-tu ici ? Il t'est arrivé quelque chose ?! Où est Bella ?
Rassuré de trouver dans le timbre de sa tante de l'angoisse, plus que de la colère, elle se décida a l'honnêteté.
- Bonsoir Narcissa, je suis désolé de vous déranger si tard, mais j'aurais voulu parler a Drago, je voulais savoir comment il allait depuis... Juste savoir comment il allait. Éluda, la jeune fille précipitamment.
La voix fantomatique de Narcissa s'éleva encore:
- Drago arrive tout de suite.
Alors, le silence retomba sur le parvis des Malfoy, quelques minutes après une silhouette se découpa au bout du long chemin de grès encadré de haies. À allure modérée l'homme aux cheveux blond s'avançait vers la grille. Après quelques instants Irina reconnut Drago, pendant un bref instant elle l'avait confondu avec son père.
Le visage de son cousin apparut entre les grilles du portail plus famélique que jamais.
D'un coup de baguette assurée, Drago ouvrit le dernier obstacle les séparant et tourna un regard inexpressif vers Irina.
- Qu'est-ce que tu fais là ?
La voix trainante du garçon correspondait parfaitement à la stature harassée de son porteur.
Irina tenta de s'engouffrer entre l'interstice de la grille, mais Drago tiqua d'énervement avant de s'engouffrer lui en dehors du manoir et de refermer la grille.
- J'avais besoin de te voir, de te parler après ta disparition de Poudlard.
Drago leva les yeux au ciel avant d'enfoncer ses mains dans ses poches. Après un silence et le regard insistant de sa cousine sur son teint maladif et de ses cheveux en bataille, il s'exclama :
- Oui et bien parle !
Irina prit une grande inspiration avant de déverser son fiel brulant entre ses lèvres.
- Je sais que c'est toi qui les as fait entrer dans Poudlard ! Je sais que c'est toi qui...Qui a tué Dumbledore cette nuit-là ! Bellatrix m'a dit que tu étais devenu un mangemort ! Comment as-tu pu faire ça !
Le jeune homme se tourna précipitamment vers elle et alors qu'elle crut à un geste de censure de sa part, il lança un sortilège de confidentialité avant de ranger sa baguette dans son pantalon, comme si de rien n'était.
Dans un souffle à peine audible, Drago murmura « continue ».
- Pourquoi ne m'en as-tu pas parlé ? j'aurais pu t'aider ! D'autres auraient pu t'aider ! En faisait ça tu as gâché mon avenir, notre avenir ! tu as condamné le monde des sorciers à revivre l'enfer de la guerre ! Sans Dumbledore, il n'y a plus personne entre le lui et le monde !
- JE N'AVAIS PAS LE CHOIX ! hurla-t-il les yeux révulsés de colère.
C'était Dumbledore ou moi ! Quand le maitre m'a donné cette mission, c'était une épée de Damoclès constamment au-dessus de moi ! Si j'échouais, j'étais mort ainsi que ma mère, pour faire bonne figure ! Les choses n'ont jamais été simples... Je n'ai jamais eu le choix.
Drago marqua un temps d'arrêt, sa colère s'apaisa un peu avant qu'il ne reprenne :
- Suite au retour du Maitre, après l'enfermement de mon père j'ai été plein d'espoir c'est vrai... Sauver mon père, laver mon nom, obtenir le respect des autres, ne plus être un gamin, mais un sorcier d'exception. Oui je l'avoue, mon ego a été revigoré par son intérêt, au début je m'en suis trouvé galvanisé, mais j'ai fini par comprendre. Je n'étais qu'un moyen de pression, une punition pour l'échec de mon père a lui ramener cette prophétie. Avec déception j'ai découvert l'envers du décor et de tout ce que j'ai méticuleusement occulté en grandissant. J'ai découvert la violence, la mort qui jalonnait chacune des actions des mangemorts.
Irina le laissa continuer, vider son sac et enfin, éclairer sa lanterne.
- Dans mon propre manoir, dans la maison de mon enfance où chaque coin recelait tous les souvenirs heureux ; des mangemorts, des soldats, des prisonniers trainés jusque dans les cachots, torturés, mis à mort. J'ai vu le maitre humilier mon père, le traiter de moins que rien dans ma propre demeure tandis qu'il s'octroyait tous les droits, même vie ou mort sur ma mère et moi...
Sa langue retrouva son immobilité, mais il tourna un regard purement horrifié vers Irina, restée silencieuse et espérait-elle, neutre, face à cet épanchement soudain.
- Je n'aurais jamais dû t'en parler. Maintenant toi aussi tu es une arme contre moi.
Le garçon semblait accablé, à deux doigts de craquer et de fondre en larme.
- Le maitre est un excellent Legilimens, mais aussi talentueux qu'il puisse l'être on ne peut pas pénétrer ton esprit sans que tu ne t'en rendes compte. Mais, une fois qu'il y est, c'est fini, il te met à nu, toutes tes pensées, expériences passées les plus intimes. Et, à la fin tu te retrouves vidé, à ne plus savoir comment toute ta tête pouvait bien être organisée avant.
Irina ne se permit pas de lui demander s'il avait personnellement vécu telle violation, mais le récit de Drago apparaissait trop précis et douloureux pour n'être que pure spéculation.
- Maintenant tu vas devoir apprendre à te protéger, pour toi, mais aussi pour moi. Tu vas devoir apprendre à compartimenter ton esprit, ta mémoire.
Drago s'approcha encore d'elle et s'arrêta à un pas, cela faisait des années qu'ils n'avaient pas été si proches.
- Il faudra que tu saches éloigner à chaque instant le doute, la peur et surtout les désaccords avec les actions de notre clan. Parce que le Seigneur des Ténèbres exècre encore plus que les moldus, les traitres. Il n'hésitera pas à t'éliminer, même si tu n'es encore qu'une enfant.
Et là seulement, Drago entoura de ses bras les épaules de cousine, très fort, il l'enveloppa contre son torse et accueillit les larmes de celle-ci.