362-Arc Ashfeld : Acte LXXX Noblesse

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Palais des Cristaux
Domaine du Prince Conquérant

La salle royale était très ouverte sur la largeur. Le sol, tapissé, les murs, parsemés de peintures élégantes, les parures, les fenêtres en cristal, les bougies d'or, personne ne pouvait s'y tromper. Nous étions dans le domaine d'un homme puissant, quelque peu taciturne au vu de l'atmosphère noire qui planait dans les airs.

L'orchestre continuait de faire résonner la mélodie du violon. Hommes, femmes, enfants, tous correctement vêtus, jouaient avec maîtrise et ne ménageaient nullement leurs cordes. Ils étaient regroupés sur le coin gauche du trône.

Une fois qu'on passait l'escalier, on se retrouvait nez à nez avec le noble, qui, assis confortablement, le bras droit posé sur la chaise et soutenant son visage énigmatique. La lumière frêle du matin donnait un léger aperçu de ses cheveux verts foncés, courts, soignés, le tout s'harmonisait avec un air séduisant qui retranscrivait les traits d'un homme bien gâté par la nature.

Les yeux fermés, Friedrich écoutait sa musique, comme transporté dans un autre monde. Il avait une carrure imposante, des bras et jambes robustes qui apparaissaient bien dans son ensemble seigneurial noir avec des boutons d'or, de jade, de rubis et d'argents.

On aurait dit qu'il dormait, mais il n'en était rien. Aujourd'hui, comme depuis une semaine déjà, il supervisait rigoureusement l'orchestre. Les fausses notes n'étaient pas admises. Quand une bonne musique perdait de sa vitalité, il suffit au prince de faire savoir son mécontentement et l'orchestre finissait au cachot où, à force d'exercices répétés, ils tentent de retrouver le niveau qui était leur.

Aujourd'hui, c'était au tour du 19ème orchestre de faire ses preuves. Mais on sentait qu'ils arrivaient tous à court d'énergie. Mais pourtant, personne n'osait amorcer un semblant de révolte. Ils continuaient à jouer, encore, encore, encore... Friedrich écoutait.. Oui, il écoutait...

Subitement, une silhouette familière ouvrit très grand la porte de la salle. La jeune femme en armure avançait d'un pas décidé vers le prince. L'orchestre, surprise par cette entrée fracassante, arrêtèrent leur musique, puis en profitèrent pour souffler. La moitié tomba même à terre. Tellement le rythme était intense.

Friedrich leur fit signe de partir, ils acquiescèrent sans demander leurs restes. Charlotte regardait d'abord d'abord les musiciens qui hâtaient le pas, puis jeta son dévolu sur le seul résident restant.

- Les musiciens ne sont pas des automates... Grand-Frère.  Dit Charlotte.

Friedrich, toujours les yeux fermés, le regard indéchiffrable, écoutait sans répondre.

- La meute s'agite. Ils montrent déjà des crocs de révolte. Quelque soit le vainqueur de la grande guerre, il y aura des répercussions sur l'état du royaume. Sieghart en profite pour soigner son image. Il se dit en haut-lieu que notre bien aimé frère aurait ouvertement déclaré la guerre à William et que la prise d'Ashfeld n'en était que le commencement. Ajouta Charlotte.

Friedrich, toujours silencieux, écoutait attentivement les mots de Charlotte, ainsi que tous les sentiments qui y étaient mêlés. Il écoutait, et ce qu'il pouvait y entendre, seul lui pouvait le comprendre.

- Les cartes sont redistribués. J'avoue que Sieghart m'a beaucoup surpris. Je ne pensais pas qu'il irait aussi loin. Grâce à ses faits d'arme, il a gagné quelques faveurs et notamment du respect parmi les gens influents du royaume. Mais bien évidemment, nous restons en position de force. Friedrich, tu deviendras le nouveau roi d'Astaroth, c'est ton noble destin, celui de personne d'autre... Pour cela, il suffit d'aller au Nord et de....

- Silence. Dit sèchement Friedrich en lui coupant la parole.

Charlotte planta son épée au sol, posa genou à terre puis baissa la tête de honte. Friedrich quitta son siège, il tira sur ses gants blancs avec des inscriptions noirs dessus, puis avançait lentement vers sa sœur.

- Je suis navrée. Je n'aurai pas dû parler avec autant de légèreté. Nul ne doit t'imposer la marche à suivre. J'ai été arrogante d'avoir pensé cela. Reprit Charlotte soumise.

Friedrich arriva à son niveau, souleva le menton de celle-ci, puis lui donna une claque retentissante au niveau de la joue droite. Charlotte, insensible, gardait toujours sa posture, comme attendant un châtiment plus grand encore. Mais contre toute attente, Friedrich tira sur ses gants, avant de se diriger vers la sortie de la salle.

- Grand-Frère !! Hurla Charlotte en l'interrompant de nouveau. Que... que... que comptes-tu faire?

Friedrich arrêta sa marche, tira quatre fois sur ses gants, ouvrit ses yeux inquisiteurs et laissa entrevoir ses pupilles violettes foncées. Il jeta un regard perçant à Charlotte avant de définitivement quitter la pièce.

La femme en armure se remit sur ses appuis, avant de poser sa main sur sa joue. Elle commençait à ressentir les douleurs de cette gifle. Ça faisait mal, très mal.

Grand-frère.. On ne peut décider rien te cacher.. J'ai été naïve de croire que je pouvais te berner... Le conflit du Nord, la guerre pour la succession.. Je ne veux pas davantage de victimes.. Surtout des personnes qui me sont chères... Mais malheureusement, c'est inévitable.. Je te prie de bien vouloir me pardonner Sieghart.. Mais je ne suis pas en mesure de calmer le courroux de Friedrich.. Tu es désormais son objectif. William Van Bastard passe au second plan. C'est ce que je craignais... Si seulement le tombeur de Suleiyman était toujours à tes côtés.. Qu'est-ce qui lui a pris de mourir sitôt?... Cet incapable...



Sven Et Ingrid IIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant