[Crin de Chimère] Les Eaux du Temps - Thomas Weill

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Hello, hello ! Ça faisait un long moment que nous n'avions pas fait un tour chez Crin de Chimère, mais on peut dire que c'est un retour en fanfare avec un énorme coup de cœur littéraire ! Nous découvrons aujourd'hui Les Eaux du Temps de Thomas Weill.

Hello, hello ! Ça faisait un long moment que nous n'avions pas fait un tour chez Crin de Chimère, mais on peut dire que c'est un retour en fanfare avec un énorme coup de cœur littéraire ! Nous découvrons aujourd'hui Les Eaux du Temps de Thomas Weill

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À la recherche du temps perdu

La vie de Tara, fille de pêcheur, a basculé le jour où son père est rentré de mer sans son grand frère, Aydan. Tombé par dessus bord et présumé mort, on annonce du jour au lendemain à la petite fille qu'elle ne le reverra plus jamais.

Les années passent, mais la blessure, elle, reste intact. Maintenant jeune adulte, Tara se sent prisonnière de son quotidien, entre ses parents étouffants et la corruption ambiante du difficile monde où elle vit au quotidien.

Le jour où elle met la main sur un paquet de lettres étranges, signées de la main de son frère, l'espoir renaît. Aydan serait coincé dans le passé, et les dernières lettres, alarmantes, l'appellent à l'aide. Tara, qui ne peut pardonner à ses parents de lui avoir caché la vérité, décide d'embarquer coûte que coûte vers les Eaux Tueuses, dans l'espoir d'elle aussi retourner dans le passé et voler à sa rescousse.

Cependant, se débrouiller seule dans un monde où le moindre faux pas peut vous traîner derrière les barreaux n'est pas simple, et par un malheureux concours de circonstances, la jeune femme se retrouve poursuivie pour trafic de drogues. Contrainte de se cacher, elle désespère de trouver un marin pour l'emmener vers sa destination.

Se pourrait-il qu'Alessio, un marin instable psychologiquement, puisse être convaincu ? Ce n'est pas comme si elle avait le choix.

Tara réussira-t-elle à sauver son frère ?

Le roman est disponible depuis le 12 juillet 2022 aux éditions Crin de Chimère, au format papier et numérique. Vous pouvez le retrouver sur le site de la maison d'édition. Le lien est en commentaire à cette ligne.

Égoïsmes destructeurs

J'ai passé un excellent moment de lecture en compagnie de ce petit roman très riche en émotions. Je n'ai pas du tout vu le temps passer, et j'avoue que se retenir de ne lire qu'un seul chapitre par jour a été très difficile à tenir (... et d'ailleurs, je n'ai pas tenu sur la fin ahah).

Nous nous trouvons dans un univers à la limite de la fantasy, de la science-fiction et de l'aventure, et parfois même flirtant avec le conte et le fantastique. L'histoire se passe dans deux temporalités.

Le premier, c'est l'univers de Tara, à la limite du post-apocalyptique. Il s'agit d'un archipel pollué, où les pluies sont acides, contraignant la population à se couvrir de masques pour éviter d'en souffrir. Il s'agit aussi principalement d'un état policier corrompu, où les forces de l'ordre ont tous les pouvoirs et décident qui a le droit d'être libre ou non. Il s'agit clairement ici d'une grosse critique des dérives du capitalisme, puisque l'argent y est le plus important, plus que la vie, et c'est d'ailleurs à cause de l'argent, d'une certaine manière, que le personnage principal va se retrouver dans les problèmes. Il y a également un message écologique fort, bien évidemment, surtout quand on compare ce monde au second, celui du passé.

Hotua, le deuxième monde, est ce qu'on pourrait appeler un paradis perdu. C'est une île qui n'existe plus dans le futur, utopique, où il fait bon vivre, où tout est plus simple et les ressources abondantes. Toutefois, on se rend compte au fur et à mesure de la lecture que c'est une fausse utopie, construite sur les faux-semblants et surtout les abus d'une religion originale, celle du Poisson immémorial, qui régit le quotidien des habitants. On y suit une jeune femme, Véralis, rejetée par les siens et qui va subir progressivement une métamorphose qui va corrompre le monde.

C'est intéressant quelque part, puisque l'irruption d'un monde dans l'autre provoque sa corruption, à différents niveaux. Pour Tara, la découverte des lettres de son frère provoque son ouverture d'esprit sur son monde, ce qui la rend différente des autres et apporte la lumière dans un monde très sombre. À l'inverse, l'arrivée d'Aydan dans l'autre monde a un impact direct sur Véralis et la corrompt, apportant les ténèbres de son monde dans ce coin de paradis qui n'a jusque-là jamais connu de danger pareil. Les personnages gardent par ailleurs leurs traits jusqu'à la fin, ce qui rend l'histoire tragique.

J'ai beaucoup aimé les quatre personnages principaux de l'histoire, deux duos, de chaque côté du monde. On a tout d'abord Tara, une jeune femme désespérant de retrouver un passé perdu inatteignable, qui voyage avec Alessio, qui lui est coincé avec les démons de son passé, instable mentalement. J'ai adoré Alessio, c'est un excellent personnage, très surprenant, et assumé jusqu'au bout. Tara également est très attachante. J'ai bien aimé comment elle devient un miroir de Véralis, qui rêve d'être acceptée par les siens, mais est rejetée à cause de ses différences, là où Tara cherche au contraire à se faire différente pour ne plus avoir à dépendre des autres. Aydan, lui, est une figure plutôt positive et qui a envie d'aider, au point que les événements finissent par se retourner contre lui, parce que personne ne croit qu'on peut être bon sans rien demander en retour. Ainsi, tous les personnages sont en nuances de gris, ni entièrement bon, ni entièrement mauvais, ce qui fait la force des personnages du roman. On ne peut pas vraiment leur en vouloir de dériver, c'est même une évolution plutôt logique, malgré les conséquences graves que cela peut avoir.

Ce que j'ai bien aimé aussi dans le texte, c'est la narration. Nous suivons Tara et Véralis dans la narration, mais les ellipses sont rédigées dans les fameuses lettres d'Aydan à Tara, que l'on découvre tout au long de l'intrigue et permettent d'une part d'en savoir plus sur le monde dans lequel il est tombé, et de l'autre de comprendre l'enjeu et les motivations de Tara, qu'on ne connaît pas avant un bon moment, outre le fait qu'elle veut sauver son frère. Pendant un long moment, on se demande un peu où va l'intrigue, et ça devient un jeu de piste qui prend une allure tragique une fois qu'on en comprend les enjeux, et j'ai adoré ça.

Ce texte est un gros coup de cœur, autant pour l'originalité de son univers que pour la manière dont l'intrigue se développe petit à petit, sans forcer, avant de vous exploser soudainement au visage et de vous achever pour de bon. J'ai beaucoup aimé la fin, même si l'épilogue met un petit coup au moral, mais est assez logique avec cette histoire de corruption dont j'ai parlé plus tôt. Rien n'est simple dans la vie, et le texte le retranscrit à merveille. Le texte peut limite être lu comme un conte philosophique par certains aspects, notamment pour l'importance que la morale exerce tout au long de l'intrigue, et l'écriture qui devient parfois poétique et mystérieuse, comme lors de la rencontre de Véralis et de la baleine, qui est l'une des meilleures scènes que j'ai lu depuis un moment.

Je ne peux que vous recommander ce petit bijou très, très bien construit et dont il a été très difficile de se détacher. C'est très facilement accessible, c'est bien écrit, et ça donne envie d'en découvrir plus ! Très bonne découverte !

Un petit extrait ?

Sans réaliser qu'elle se mettait en mouvement, Véralis finit par lâcher le garde-corps, et battit des pieds pour s'approcher du mammifère. Elle était désormais certaine qu'il s'agissait bien de la baleine qu'elle avait déjà sauvée quelques semaines plus tôt. Elle avait le même air d'intelligence, le même regard habité de pensées et d'entendement braqué sur elle. La même voix. Lentement, la soigneuse approcha sa main du mammifère et posa les doigts sur son cuir épais. Ce fut comme si une tempête éclatait dans sa tête. La puissance de ce qu'elle entendit dépassa tout ce qu'elle aurait pu imaginer. L'expérience fut tellement douloureuse qu'elle choqua Véralis au point de lui faire reprendre conscience de son corps. Réalisant enfin qu'elle était en train de suffoquer, elle nagea furieusement jusqu'à la surface pour prendre une bouffée d'air salvatrice, tout en plaquant ses mains sur ses oreilles dans l'espoir futile de les protéger. Elle les retira couvertes de sang. Elle resta un instant sidérée à regarder ses gants vermeils, puis l'eau tout autour d'elle se mit à bouillonner. Bientôt, ses pieds, qui battaient mollement pour lui permettre de garder la tête hors de l'eau, se posèrent sur quelque chose de solide. La baleine, pensa-t-elle, au-delà de la panique. Puis sa conscience lui échappa.

C'est tout pour aujourd'hui ! Merci d'avoir lu cette chronique jusqu'au bout et rendez-vous bientôt pour de nouveaux articles !

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