Bonjour tout le monde ! On se retrouve pour notre première chronique de novembre avec un auteur que vous avez déjà découvert dans cette petite pépite qu'est 77 Assassins, et que vous allez croiser souvent sur ce blog dans les semaines à venir, puisqu'on va le retrouver dans les deux tomes suivants de la trilogie, mais aussi dans un roman qui sort dans quelques jours que vous découvrirez bientôt ! On embarque avec Henri Duboc pour une toute nouvelle trilogie complètement folle !
1. W3 ou comment tuer Dieu
Dans un futur pas si lointain, la société est passée au tout numérique. Le papier a disparu et en détenir est presque considéré, le monde s'est doté d'intelligences artificielles pour réaliser toutes les tâches de leur vie quotidienne et les voitures roulent désormais toutes seules.
Gabriel, un vieux monsieur de soixante-quinze ans, est le Croque-Monde : le directeur de la plateforme Memoriam. Son but est très simple : conserver les mémoires des morts sur hologrammes, afin que les familles puissent garder un souvenir, une voix, livrer des messages de ce qu'a été le défunt. Aujourd'hui considérée comme une des entreprises qui respectent le plus la mort, il se bat pour que son idée continue d'évoluer vers toujours plus de respect et d'accompagnement des familles.
En tout cas, ça, c'était jusqu'à l'arrivée de W3 dans sa vie. W3, c'est le surnom du hacker le plus recherché de la planète après la panique qu'il a provoqué lorsqu'il a arrêté brusquement le système GPS, causant d'innombrables accidents et morts dans son sillage. Aujourd'hui plus ou moins repenti, il aborde Gabriel avec une idée bien précise : il en est persuadé, une grande catastrophe se prépare et la religion en sera la source principale. Pour lutter contre ça, il a donc eu une brillante idée : il a décidé de tuer Dieu. Mais pour ça, il a besoin d'aide, et quoi de mieux que celui qui possède les données de milliards de morts ?
Gabriel se retrouve embarqué dans une aventure à laquelle il n'était pas préparée en compagnie d'un hacker (ou n'est-il vraiment qu'un simple hacker ?) un peu trop survolté qui va l'emmener face à Verinas, un prêtre aux tendances religieuses discutables qui est, d'après W3, la source de tous leurs problèmes.
La trilogie est disponible depuis le 29 septembre 2020 sur le site de la maison d'édition, au format papier et numérique ! Elle est sortie en une fois, donc n'hésitez pas à aller la découvrir, encore plus si vous vous retrouvez coincés à la maison à cause du confinement ! Le lien est en commentaire !
2. Un roman terriblement d'actualité
Si je vous dis que j'étais tombée sous le charme du style d'Henri Duboc dans 77 Assassins, ce n'est pas une grande surprise. Ce premier tome aborde des thèmes complètement différents, mais il se place dans la lignée du premier pour donner un roman incroyable et surtout terriblement flippant à la lumière de l'actualité.
L'univers de Dieu 2.0 se place donc dans un univers pas si lointain, dans les années 2050. On y suit deux intrigues parallèles : celle de Gabriel et W3, qui est le gros fil rouge de l'histoire, mais aussi celle de Yosa Takahara et du professeur Hattam, sur laquelle je vais revenir dans quelques minutes. Malgré la période récente, nous nous trouvons dans un univers en grande majorité technologique, sans que ça ne soit non plus trop exagéré : l'intelligence artificielle en particulier est partout et pleinement intégrée à la société, tout en étant toujours très critiquée par exemple. Ainsi, même si on sent qu'on est dans un monde plus évolué, on garde quand même de solides accroches avec ce qui se passe aujourd'hui.
J'ai adoré le concept de Memoriam, ces espèces de tombes numériques vivantes qui vous permettent de revivre les mémoires de vos défunts. Même si l'idée comme ça est très critiquable (ce qui est d'ailleurs également le cas dans le roman), ça permet d'ouvrir la réflexion sur tout ce qui est éthique ou non de faire avec des intelligences artificielles, un des thèmes par ailleurs abordés dans l'histoire. Cette idée de tout numérique des enterrements se place dans un cadre plus large qui est celui de la numérisation de l'Eglise et de ses efforts pour s'adapter à l'évolution du monde. Pour le coup, on en est encore un peu loin pour le moment. Le Pape, il a Twitter et c'est tout aujourd'hui. Là on parle vraiment d'une Eglise avec de nouvelles règles, notamment la possibilité aux femmes de devenir prêtres et même papesse dans notre cas, mais aussi des cérémonies de baptême à distance par drones et d'autres choses du genre.
C'est dans ce cadre que se passe notamment la plus grosse partie de l'histoire, celle qui concerne Gabriel et W3. Ces deux personnages sont vraiment incroyables. Déjà, les vieux personnages grincheux, c'est trop bien, mais avec un duo « jeune surexcité », c'est encore mieux. J'ai complètement adoré le personnage de W3, qui est très, très décalé et original. Je ne peux pas trop en parler ici parce que ça spoilerait l'intrigue, mais il a une petite particularité qui le rend très attachant et ses réflexions parfois très drôles et tirées par les cheveux. Le duo fonctionne très bien et leurs discussions toujours drôles parce que ça va super loin. J'ai très hâte de retrouver W3 dans la suite de l'histoire et ses réflexions. Pour ce qui est de Gabriel, je l'ai trouvé assez en arrière-plan jusqu'à la fin, ce qui est très bien joué de la part de l'auteur, puisque ça met bien en avant le fait que, intelligent ou pas, il reste un pion du plan de W3, qui est, rappelons-le, de tuer Dieu. C'est pas rien quand même.
Ensuite, dans l'autre partie de l'intrigue, nous avons un face-à-face de scientifiques : le professeur Hattam, un gars pompeux et insupportable qui ne fait que rabaisser ses élèves (et me rappelle étrangement certains profs de fac, c'est assez drôle), persuadé qu'il a découvert la recette du voyage dans le temps, et Yosa Takahara, un de ses étudiants, qui est persuadé que ça va être une catastrophe et qui essaie de se faire désespérément entendre par son professeur et sa faculté. J'ai trouvé beaucoup d'écho dans cette partie, parce que le sujet des profs élitistes et qui ont « droit de vie et de mort » sur leurs élèves, c'est pas un fantasme à l'université. Il y a vraiment malheureusement beaucoup de cas de gars comme ça, pas forcément aussi extrême que Hattam, mais tout aussi toxiques. Les personnages sont super intéressants et permettent de ce fait de lancer les thématiques importantes de l'histoire.
Comme vous vous en doutez, Dieu 2.0, ça parle beaucoup de religion, mais aussi de science. De manière plutôt bien jouée, les deux thématiques sont constamment rapprochées dans le livre, jusqu'à même en faire une seul et unique entité dans la dernière nouvelle du récit. Ce que la science et la religion ont en commun, c'est la foi. La foi en Dieu, la foi en des théorèmes, peu importe, les deux ont des débordements et des côtés positifs. Ces deux côtés sont abordés tout au long du texte, pour le côté religieux avec Gabriel et W3 (bien que la science n'est jamais loin, le monsieur a créé des IA qui parlent pour les morts, je vous rappelle), et le côté science avec bien sûr toute la partie sur Yosa et comment parce que les élites se croient au-dessus de tout le monde, les choses peuvent aller très, très mal.
De ce fait, et pour le coup, c'est involontaire vu que l'histoire est sortie avant, on trouve dans le roman énormément de répercussions à tout ce qui se passe là en ce moment autour des extrémismes, des réponses catholiques à celles-ci, mais aussi de comment la science influence les opinions et devient au final aussi problématique que la religion qu'elle dénonce depuis des centaines d'années pour obscurantisme. Sans parler bien sûr des petites piques aux médias ici et là, et de la condition absurde de certaines machines, comme la voiture qui agit comme garde du corps, ce que j'ai trouvé extrêmement drôle.
C'est un texte, encore une fois, à plusieurs niveaux de lectures, et notamment grâce à une grande diversité de formats dans la présentation du texte. Et ça, vous savez que j'aime beaucoup, beaucoup. Outre les points de vue différents, on a des retours dans le passé, des extraits de pages web, et surtout pas loin de quatre nouvelles totalement indépendantes et imbriquées dans l'histoire, dont la toute première sur la mort de Louis Pasteur qui est tout simplement incroyable et met directement en scène ce Science vs Religion qui sera en arrière-fond dans la suite du texte. Chacune de ces nouvelles est très fun à lire et possède un sous-texte réflexif intense, qui, en plus, présente le mode de pensée d'un des personnages de manière très intelligente, et j'ai trouvé ça tout simplement génial.
Et j'en profite pour caser par ailleurs que Dieu 2.0 est transmédia 😀 Il y a des courts-métrages qui arrivent, et notamment celui inspiré de la mort de Louis Pasteur à ce que j'ai compris, et du coup j'ai grave hâte d'en savoir plus ! Suivez les réseaux sociaux de la maison d'édition pour suivre le projet !
En tout cas, ce texte est un énorme coup de cœur, et j'ai très hâte d'attaquer la suite pour voir jusqu'où cette histoire va bien pouvoir aller. Aucun doute là-dessus en revanche, c'est totalement une trilogie à lire d'urgence !
3. Un petit extrait ?
Les anges s'approchent, aussi nombreux que les petits. Un à un, ces engins étincelants freinent, jouent de leurs hélices de sustentation et se stabilisent au-dessus des bambins. Exactement à l'aplomb des fleurs de métal, équipées en leur centre d'un pointeur laser qui permet aux machines de se caler parfaitement. Tout le monde se tait. Un engin plus imposant, auréolé d'un voile blanc, se pose au centre du groupe. A peine atterrit-il qu'un hologramme en jaillit. Un jeune homme souriant les salue dans sa superbe tenue de prêtre.
Les parents sont émerveillés ; les petits tentent d'apercevoir la silhouette brillante tout en gardant la tête inclinée, sans quoi le drone perdra son repère et l'ange les quittera. Le cérémonial commence. La petite fille n'entend ni ne voit très bien : sous la chaleur écrasante, la sueur de son front coule dans ses yeux et sa vision se trouble. Le grand homme lumineux parle fort, et de sa voix, elle ne retient qu'un mot : ESCAN. Comme un leitmotiv entraînant ESCAN martèle son esprit. C'est alors qu'elle regarde horrifiée les manches de sa tenue qui s'assombrissent, jusqu'à devenir totalement noire. La couleur d'ébène semble vivante, démoniaque, court sur son corps, bouge sur ses vêtements comme des volutes d'encre tombant dans l'eau. La petite panique :
— Maman ! Mais qu'est-ce qui se passe ? Maman, j'ai peur !
— Tais-toi, c'est normal. C'est tout le mal que tu as en toi qui ressort. Ton mal, ma fille. Regarde et écoute le prêtre.
Les voilà entièrement recouverts de noir. Certains enfants crient, mais le silence revient quand reprend la voix du prêtre de lumière :
— Que la confession commence. Que vos pêchés s'étalent sur votre chair. Qu'ils se montrent à la lumière, que la noirceur de vos âmes danse sur vos corps. Vous allez être confessés par le Seigneur qui va absoudre vos péchés !
Et le textile numérique des tenues qui a viré au noir sous les projections modélisées UV du drone redevient immaculé. Les enfants rayonnent de lumière. Magique !
— Ohhh !
— Vous voilà absous ! Anges, baptisez ces enfants de Dieu, ces enfants d'ESCAN !
Alors les drones vaporisent une fine bruine autour des crânes des enfants, en la balayant de rayons lumineux. Les enfants se retrouvent nimbés d'un dôme arc-en-ciel, devant des parents émerveillés. Le prêtre prononce une dernière formule et les voilà baptisés. La cérémonie touche à sa fin, les enfants exécutent la dernière consigne : ils lèvent le majeur vers l'ange et le touchent un instant, jusqu'à ce qu'il « brille ». La machine numérise la pulpe de leurs doigts et enregistre leur empreinte digitale, afin qu'ils puissent accéder à toutes les structures auxquelles on a le droit après le baptême.
C'est tout pour aujourd'hui ! Merci d'avoir suivi cette chronique et à bientôt pour d'autres articles !