Rentre chez toi

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Rah, merde !

Je me relève rapidement en priant pour que personne ne m'ait vue me casser la gueule dans les escaliers. Ils sont vachement raides mine de rien ! Heureusement, tout le monde a l'air absorbé par l'arène, comme d'habitude. J'essuie mes vêtements et vérifie que je n'ai rien de cassé. Ça me ferait chier de me faire mal juste avant un combat.

Et si je vomissais, là ?

Mauvaise idée... Bon sang, j'aurais peut-être pas dû finir la bouteille ! Cela-dit, je ne sais pas si c'est l'alcool ou le fait d'être ici mais je me sens...euphorique. En titubant un peu, je m'avance pour me fondre dans la foule. Une fois à l'intérieur, je me mets à jouer des coudes pour me faufiler jusqu'au cercle mais je n'arrive même pas à comprendre dans quel sens je vais. Il me faut bien dix minutes pour comprendre que je tourne en rond au milieu des corps agglutinés. Je bouscule un type qui m'adresse un regard noir. Sa tête me fait éclater de rire.

On dirait Carlos dans Bob l'éponge.

Mon rire semble le mettre en colère mais il se détourne rapidement. Mine de rien je crois avoir acquis une petite réputation ici, je ne pense pas qu'il veuille se frotter à moi ! Ou alors, il m'a prise en pitié parce que j'ai l'air absolument misérable et que je pue l'alcool à des kilomètres. Peu importe. Je finis par me frayer un chemin jusqu'au cercle dans lequel le combat vient de se terminer. Parfait, je n'avais aucune envie d'attendre ! Je me précipite au centre en titubant un peu, manque de m'étaler, me rattrape de justesse et termine par une révérence moqueuse à l'attention de l'assistance. Ridicule. Comme si je ne m'étais pas déjà assez donnée en spectacle, je m'entends ajouter d'une voix forte.

« Je suis...hic...prête à casser des culs ! »

...non.

« Euh...des gueules ! »

Et j'éclate de rire devant ma propre bêtise sans me soucier des regards consternés de l'audience. Après tout, je m'en fous. Un sifflement me vrille les tympans et je me retourne vers Bennie qui a réclamé le silence. Il m'adresse un regard sévère, tel un juge dans son tribunal.

« T'es bourrée, petite. »

Ouaip !

Je secoue la tête.

« Je suis pas petite ! Je suis...hic...Axelle ! »

Merde, je vais vraiment gerber !

« Et je suis grande ! »

J'ajoute le geste au mot en mettant ma main sur le dessus de ma tête pour comparer ma taille à celle de Bennie. Ce qui est affolant de stupidité puisque lui est perché sur une table. Je ris de nouveau en m'en rendant compte.

« T'es plus grand que moi !

-Ça suffit. »

Il toise l'assistance, prêt à déclamer sa sentence. Et si je lui pétais la gueule ? Le moment me semble parfait. Cela dit, le moment me semble aussi excellent pour improviser un karaoké ou danser le kazatchok. Sacré dilemme. Bennie tend le doigt vers moi en un remake raté de La création d'Adam de Michel Ange.

« Les règles sont claires, petite. Si t'es bourrée, tu dégages. »

Je fronce les sourcils. Non mais il est pas bien, lui ? Depuis quand c'est lui qui commande d'abord ?

Ah oui, depuis toujours.

Sans me démonter, je secoue la tête.

« J'suis juste un peu pompette ! Et je veux me battre !

-Tu tiens à peine debout. Rentre chez toi.

-Mais...

-Rentre chez toi ! »

Rentre chez toi, Axelle. Ici tu fais chier. T'es trop faible pour ça. Trop faible...

Je baisse les yeux. Non, il ne peut pas faire ça. Il ne peut pas m'enlever ça. Le Blue Cross, c'est tout ce qu'il me reste. Je prends une grande inspiration en sentant un sanglot m'obstruer la gorge. Je crois que j'arrive en phase deux du bourrage de gueule : l'alcool triste. Je relève la tête pour fixer Bennie droit dans les yeux.

« Je veux me battre. »

Je veux vomir.

Ma voix tremble un peu malgré tous mes efforts pour la rendre ferme et assurée. Je me sens au bord du gouffre. J'ai mal, tellement mal que je voudrais mourir.

Je veux Daryl.

Il me manque trop. Je ne supporte plus de ne plus voir son visage, de ne plus entendre sa voix. Sa voix...putain je ferais n'importe quoi pour l'entendre juste une dernière fois. Et son rire craquant, et son sourire en coin... Ses cheveux en bataille quand il se lève le matin. La ride qui apparaît entre ses deux yeux quand il ne comprend pas quelque chose. Sa manie de faire craquer ses doigts quand il est impatient, de se frotter les tempes quand il est agacé, sa façon de sourire et de bouger les mains quand il parle de quelque chose qui lui plaît. Jusqu'à ses ronflements et sa façon de bouder quand je le bats aux jeux vidéos, tout me manque.

« Rentre chez toi et décuve. Tu t'es assez rendue ridicule pour ce soir. Tu te battras la semaine prochaine. »

Les paroles de Bennie et leur ton incisif me rentre sous la peau pour se ficher dans mon cœur en miettes. J'ai envie de le supplier de me laisser rester. Je me fous de prendre la dérouillée de ma vie, à ce stade, ça me ferait même plaisir. N'importe quoi du moment que je peux me sentir vivante. Parce que depuis que Daryl est parti, je suis comme morte. J'ai besoin de retrouver l'adrénaline et l'excitation d'un combat. Sinon je vais mourir pour de bon. Je secoue de nouveau la tête, les larmes aux yeux.

« Non.

-Dégage. »

Son agressivité ne laisse aucune place à la négociation. Je parcoure la foule des yeux, cherchant désespérément un allié. Mais la plupart des combattants préfèrent baisser les yeux. Le seul sentiment que je distingue dans leur regard, c'est de la pitié. Et ça m'écœure. Je ne veux pas de leur pitié. Elle me rappelle que je suis une sous-merde. Et surtout, elle prouve que tout le monde me voit comme telle.

Exactement ce que tu ne voulais pas être.

Cette vision finit de m'achever et je sors de l'arène en reniflant. Pas très sexy mais je m'en fous. Il ne me reste rien, pas même ma dignité. La foule s'écarte devant moi comme si j'étais contagieuse et me libère le passage jusqu'aux escaliers que je remonte lentement. Je traverse le bar, les yeux baissés. Je ne veux plus qu'on me regarde, je ne veux plus qu'on me parle. Je ne veux plus ressentir ce manque. Une fois dehors, je me mets à marcher dans la nuit, trop épuisée pour appeler un taxi. De toute façon, je n'ai pas envie de rentrer chez moi. Personne ne m'y attends.

Encore seule, Axelle.

Fire & Gasoline (Terminé)Where stories live. Discover now