Toi, t'es tarée

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Nous nous retrouvons tous les deux assis par terre, sur le parking du Blue Cross, sirotant une bière en silence. C'est aussi ça qui rend notre relation si spéciale à mes yeux : parfois, on parle pendant des heures, de sujets sérieux ou de conneries, et parfois on est juste ensemble, chacun plongé dans ses pensées ou occupé à quelque chose. Mais dans les deux cas, on se comprend. Comme si nos âmes et nos pensées s'accordaient entre elles. Je bois une gorgée de bière et pousse un profond soupir.

« C'est qui, Jack ? »

Je tourne la tête. Daryl ne me regarde pas, les yeux fixés sur sa bière. Pendant un instant je me demande comment il peut connaître le prénom de Jack. Je l'ai souvent mentionné en tant que « mon meilleur ami de la fac » mais je ne crois pas lui avoir déjà dit comment il s'appelait. Puis je percute et baisse les yeux sur mon poignet. Le regard de Daryl suit le mien. Bien sûr, il l'a remarqué. Je me demande depuis combien de temps il a envie de me poser cette question. Je laisse passer un léger silence avant de répondre.

« C'était mon meilleur ami. »

C'est étrange, à l'époque, Jack et moi étions l'un comme l'autre persuadé que jamais nous ne pourrions trouver quelqu'un d'autre avec qui nous nous entendrions si bien. Et depuis, j'ai rencontré Daryl et j'ai l'impression de n'avoir jamais connu une vraie amitié avant lui. Je lui ai confié des choses que je n'ai jamais dites, même pas à Jack. Notre relation à la fac était principalement basée sur de longues conversations pour exprimer à quel point la vie nous faisait chier et pour insulter des gens dans leur dos. En fait, je crois que ce que j'aimais le plus en lui c'était cette sorte de fascination qu'il semblait avoir pour moi. Jamais personne ne m'avait regardée avec tant d'admiration, jamais personne n'avait voulu être comme moi. Comme si j'étais son mentor, je lui donnais des conseils pour s'affranchir de ses parents, je l'entraînais dans mes sorties en douce, je lui ai fait fumer son premier pétard. Si j'avais su, à l'époque, comment ça allait se terminer...

« Qu'est-ce qu'il s'est passé ? »

Encore une fois, j'ai l'impression que Daryl lit dans mes pensées. Je soupire.

« Il est mort. Il s'est suicidé, il y a quatre ans.

-Juste avant que tu quittes le Michigan. »

Je me tourne vers mon ami pour lui adresser un sourire. Il a compris.

« Exactement. »

Il m'observe longuement. Je crois qu'il repense à notre conversation d'hier soir. Puis il lève la main pour venir effleurer doucement la peau sensible de mon poignet. Un frisson me parcoure le bras.

« C'est pour ça, le tatouage ?

-Non... »

J'esquisse un sourire empli de nostalgie en me remémorant l'histoire de ce tatouage.

« Ça, on l'a fait ensemble, un soir où on était défoncés. Je suppose que sur le moment ça semblait une bonne idée. Son prénom sur moi, et le mien sur lui. »

Je me souviens de la crise de nerfs de mon père lorsqu'il avait appris que je m'étais faite tatouer sans son approbation. Quoique à bien y réfléchir, c'était surtout Sharon qui m'avait fait la morale. Mon géniteur, lui, avait déjà abandonné tout espoir pour moi et avait juste hoché la tête, résigné. Je reprends :

« J'aurais jamais fait un truc pareil dans mon état normal. J'ai peur des aiguilles. »

Ridicule, non ?

Daryl laisse échapper un léger rire, comme s'il trouvait cette idée assez ironique. Je suppose que cette peur assez enfantine colle assez mal à l'idée qu'il a de moi. Je me mords les lèvres avant de demander :

« Et toi ?

-Quoi, moi ?

-Ton tatouage. Ça veut dire quoi ? »

N'étant pas une grande fan de tatouage, je ne me suis jamais vraiment intéressée au sien. Mais j'avoue nourrir une certaine curiosité pour ce dessin, depuis que je l'ai vu pour la première fois à la salle de sport. Il ressemble à un tatouage tribal, un entrelacs de courbes et d'arabesques recouvrant ses omoplates. Je me demande si ça lui a fait mal. Daryl hausse les épaules et boit une autre gorgée de bière. Je reste silencieuse en attendant sa réponse.

« A la base, je m'étais fait tatouer...autre chose. C'était un rite obligatoire. »

Un signe de reconnaissance...

J'ai déjà entendu parler à la télé de membres de gang qui se faisaient tatouer le symbole de leur appartenance sur le corps. Je me demande à quoi ressemble celui du gang auquel Daryl appartenait.

« Et puis quand je suis arrivé ici... Je voulais l'effacer mais c'était compliqué. Et cher. Alors je suis allé voir un tatoueur et je lui ai dit de le recouvrir, de faire autre chose n'importe quoi. Il m'a fait ça.

-Et ça te plaît ?

-La plupart du temps, ça plaît aux filles. »

Il m'adresse un clin d'œil très appuyé qui me fait éclater de rire. Puis il prend une autre gorgée de bière avant de continuer :

« Disons que ça fait partie de moi. Que ça me plaise ou non, je l'ai fait et je le garderais toute ma vie. Mais j'aurais préféré ne jamais le faire. »

Je comprends à son ton sombre qu'il ne parle pas seulement du tatouage, mais surtout de cette expérience dans un gang qu'il aurait préféré ne jamais vivre. Et je ne peux pas m'empêcher de ressentir de la compassion pour ce gamin des quartiers pauvres qui a cru pouvoir trouver une échappatoire dans la violence. Presque par réflexe, je pose une main sur son épaule.

« Moi je trouve ça super sexy. »

Il hausse un sourcil avant de secouer la tête en voyant mon sourire moqueur.

« Toi t'es tarée.

-Hey ! »

Je lui donne un coup dans l'épaule qu'il me rend sans hésiter avant de m'attirer contre lui. Je lutte un peu pour la forme avant de rendre les armes et me blottir contre lui, la tête contre son torse, son menton posé dans mes cheveux. Je pousse un soupir de satisfaction.

J'adore ce type.

Fire & Gasoline (Terminé)Where stories live. Discover now