Parfois il vaut mieux fermer sa gueule

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« Ah, Axelle ! Entrez, entrez, je vous en prie. Veuillez m'excuser pour mon retard, j'ai eu un imprévu. »

Tu penses, j'ai que ça à faire de poireauter dix minutes dans ta salle d'attente.

Je me contente de hocher la tête en pénétrant dans le bureau du docteur Harker. Bon sang, j'en ai déjà marre ! Je me laisse tomber sur le fauteuil, de mauvaise humeur. Pourvu que cette séance soit rapide. Le psychiatre s'assied en face de moi et me jette un regard amusé.

« Vous avez l'air en forme. »

Il n'obtient qu'un grognement pour réponse. Lui aussi a l'air en forme, et c'est plutôt mauvais signe pour moi ! Je voudrais juste récupérer mon ordonnance et me casser d'ici.

« Comment vous allez, Axelle ?

-Bien. »

Arrête de m'appeler par mon prénom.

Il hoche la tête. Pourquoi il a l'air si souriant aujourd'hui ? Est-ce qu'il aurait appris la visite de mon père alors que j'ai soigneusement évité le sujet ?

« Comment se passe le traitement ?

-Comme d'habitude.

-C'est à dire ? »

Je soupire.

« Je prends toujours les anti-dépresseurs.

-Et les calmants ?

-Moins. J'ai pas fait de crise d'angoisse. »

Il note quelque chose sur son calepin avant de lever de nouveau la tête.

« Vous m'aviez dit que vous en preniez pour dormir. C'est toujours le cas ?

-Oui mais pas aussi souvent qu'avant. Parfois j'arrive à dormir sans.

-Et vous dormez bien ?

-Oui. »

Je dors bien. J'ai encore du mal à m'y faire mais le fait est que je dors mieux qu'avant, même sans médicaments. Et je sais parfaitement d'où ça vient. Toute la semaine j'attends le samedi soir avec l'impatience d'une camée sur le point de recevoir sa dose. Peut-être que c'est ce que je suis. Le docteur Harker reprend quelques notes.

« C'est une excellente nouvelle, dit-il, vous vous sentez mieux ? »

Je me sens sale.

Je hausse les épaules. Ce qui ne fait qu'élargir son sourire.

« J'ai l'impression que vous allez mieux que la dernière fois que je vous ai vue.

-Je sais pas.

-Vous avez rencontré quelqu'un ? »

Je reste comme deux ronds de flan. Tiens, il n'avait pas encore abordé le sujet de ma vie sentimentale, ça manquait au palmarès des choses dont je n'ai pas envie de parler !

« Pourquoi vous dites ça ?

-C'est une impression que j'ai. J'ai raison ? »

Si seulement c'était aussi simple ! Je me contente de hausser les épaules. En un sens, oui, il a raison. J'ai rencontré Daryl et je me sens bien avec lui. Mais notre relation n'a rien de sentimental. Enfin, je ne crois pas...

C'est pas comme s'il risquait d'y avoir quelque chose entre nous, pas vrai ?

« Vous ne m'avez pas répondu. »

Argh, mais il me saoule ! Il a l'air bien trop content d'avoir mis le doigt sur quelque chose. Mais si je ne parle pas de Daryl avec Lorelei qui est mon amie la plus proche, ce n'est certainement pas pour aborder le sujet avec mon psy !

« J'ai pas envie d'en parler. »

Mais pourquoi il sourit ce con !

Putain j'ai l'impression de lui avoir fait sa journée ! Je sens la colère me monter au nez.

« Comme vous voulez. Mais si vous voulez mon avis, c'est une bonne chose. »

Qui t'a dit que je voulais ton avis ?

« Je vois pas en quoi c'est une bonne chose.

-Un peu de soutien vous fera du bien. Vous êtes trop renfermée sur vous-même.

-Et alors ?

-Vous lui avez parlé de votre dépression ?

-Non. »

Non mais, qu'est-ce qu'il croit lui ? Que je porte un énorme panneau avec marqué « je suis dépressive ! » dans la rue ? Mon père est le seul qui est au courant de ma maladie. Enfin, il en parlé à ma belle-mère évidemment, mais je préfère ne pas la compter.

« Pourquoi ? »

Je me lève brusquement. Je veux partir. Je ne veux pas avoir cette conversation. Les nerfs en boule, je me mets à marcher de long en large dans le bureau.

« J'ai pas envie. »

Surtout ne pas le regarder. Si je vois encore une fois son petit sourire, je vais lui péter la gueule.

« Vous ne pouvez pas construire une relation sur des mensonges et des non-dits, Axelle.

-Je ne construis PAS de relation !

-Pourquoi ?

-Parce que je peux pas ! »

Silence. Je viens de faire une connerie énorme. Je n'aurais pas du dire ça. Honteuse, je passe mes mains sur mon visage. Je ne veux plus parler. Je veux partir.

« Axelle, rien ne vous en empêche. »

Si tu savais...

« Vous êtes malade. De la même façon que certains ont des allergies, vous avez une dépression. Et vous n'y êtes pour rien, vous n'avez pas besoin de vous en punir.

-C'est pas de ça que je me punis. »

Rah, mais ta gueule Axelle ! Depuis quand tu balance ce qui te passe par la tête sans réfléchir ? C'est quoi ton problème !

« De quoi alors ? »

Je suis sale.

Je secoue la tête pour chasser cette pensée de mon esprit avant de planter mes yeux dans ceux du docteur. Il ne sourit plus.

« Je veux partir. »

Pendant quelques secondes, ils sonde mon regard. Je me force à ne pas baisser les yeux. Au moindre signe de faiblesse, il va recommencer avec ses questions. Ses prunelles fouillent les miennes, comme pour y trouver un élément de réponse que je refuse du lui donner. Puis il hoche la tête.

« Très bien. »

Fire & Gasoline (Terminé)Where stories live. Discover now