Je peux plus continuer

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I hurt myself today

To see if I still feel

I focus on the pain

The only things that's real

J'observe avec attention les coupures le long de ma jambe, serrant mon rasoir dans ma main. Un peu de sang perle le long des plaies. Je me concentre sur la sensation de brûlure, les picotements qui parcourent mes membres. Ça fait du bien.

Se faire mal, c'est une façon d'éteindre son cerveau. Lorsqu'il devient incontrôlable, trop envahi par les souvenirs, les questions et les angoisses, on le force à se concentrer sur une seule chose : la douleur. Et là, il ne peut pas continuer à fonctionner normalement, il ne peut que ressentir et vouloir que ça s'arrête. Du bout des doigts, j'effleure une de coupures les plus profondes et la sensation de douleur me traverse comme un courant électrique. Lorsque je retire ma main, la pulpe de mes doigts est rouge de sang. Je soupire avant de poser mon rasoir et d'attraper la bouteille de rhum sur ma table basse pour en boire quelques gorgées. L'alcool me brûle la gorge. Mon téléphone vibre sur la table. Je l'attrape en grimaçant et ouvre le message de Diego. C'est une photo de la fête qu'il a organisée chez lui ce soir.

Dg : T'es sûre que tu veux pas venir ?

Je reste immobile un long moment, les yeux rivés sur l'écran. Je sais qu'il essaye de m'aider, de me faire penser à autre chose. Mais tout ce que je vois, ce sont des souvenirs de la soirée où j'étais allée avec Daryl. Comment penser à autre chose quand tout ce que je vois me le rappelle ?

A : Désolée, j'ai prévu une soirée avec Lo' ^^

Bien sûr que c'est faux. Mais s'il apprend que je suis seule chez moi, il va s'inquiéter et il serait capable de débarquer ici. Et je ne veux pas qu'il voit ça.

Dg : Dommage :( amuse-toi bien, loca !

Je soupire en reposant mon téléphone sur la table avant de boire encore un peu de rhum. La bouteille est déjà à moitié vide. De son côté, Lorelei m'avait aussi proposé d'aller boire un verre avec elle et Viktor ce soir mais j'ai décliné en prétendant que j'allais à la soirée de Diego. Après tout, ils ne risquent pas d'en parler entre eux.

Menteuse.

Oui, je suis une menteuse. Je dirais même une sacrée bonne menteuse. C'est ce que j'ai toujours fait, mentir, cacher, dissimuler, arranger la vérité pour ne jamais montrer au grand jour ce qu'il y a réellement au fond de moi. C'est bien trop sale pour que je prenne ce risque. Depuis la soirée au What The Hell, il y a quatre jours, et plus globalement depuis que j'ai réemménagé chez moi, je ne fais que mentir à ceux qui s'inquiètent pour moi. Je m'invente des sorties, des loisirs, des occupations, tout ça pour les rassurer et faire ce que je fais de mieux : rester seule.

Je sais que c'est égoïste. Je sais que c'est stupide. J'ai des amis qui se font du souci pour moi, qui sont prêts à m'aider et je leur mens pour ne surtout pas recevoir leur aide alors que j'en ai besoin. Mais vous commencez à me connaître maintenant. Vous savez à quel point je suis loin d'être saine d'esprit. Je me lève et boitille jusqu'à la salle de bain pour passer ma jambe mutilée sous l'eau. Celle-ci me pique et me brûle, au point que je dois me mordre les lèvres pour ne pas crier. Mais au moins, je sens quelque chose. Ces derniers-temps, j'ai l'impression d'être constamment sous anesthésie. Comme si mon corps n'était plus habité que par un esprit mort. Je nettoie consciencieusement mes plaies avant d'y appliquer des pansements pour stopper le saignement. Lorsque je me redresse, je croise mon reflet dans le miroir. Et pourtant, j'ai l'impression que ce n'est pas moi. Prudemment, je lève une main pour effleurer la surface polie de la glace du bout des doigts, m'attendant presque à la traverser tant je me sens inconsistante. En même temps, de mon autre main, je caresse la peau de mon visage du bout des doigts. J'ai l'impression d'être irréelle, de ne plus exister dans ce monde, comme si un voile me séparait de la réalité. Sans même que je m'en rende compte, une larme se forme sous ma paupière et coule le long de ma joue. Je suis presque surprise de sentir quelque chose d'aussi vivant venant de moi. Mes deux mains viennent s'appuyer de chaque côté du lavabo pour me soutenir alors que mes jambes se mettent à trembler. A bout de souffle, je murmure :

« Je peux plus...je peux plus continuer. »

Les larmes continuent de couler sur mes joues, silencieusement. Je déteste le silence. Pourquoi je ne peux pas hurler ma douleur, ou même juste parler ? Pourquoi mon corps ne répond-il plus ? Pourquoi est-ce que je ne sens rien ?

Comme s'il avait entendu mon appel de détresse, Lazslo vient me rejoindre dans la salle de bain et renifle ostensiblement ma jambe pansée. Je me baisse pour prendre sa tête entre mes mains.

« Lazslo...j'y arrive pas, tu comprends ? »

Voilà à quoi j'en suis réduite. Je parle à mon chien en espérant qu'il comprenne parce que je suis incapable d'expliquer mon mal-être à un autre être humain. Il me fixe de ses grands yeux noirs et lâche un gémissement, comme s'il ressentait ma douleur. Je me serre contre lui, sans cesser de pleurer. Je ne vais pas tenir le coup. Pas ce soir. Pas toute seule. Je vais craquer. Et si je craque, il se retrouvera seul.

Tu ne peux pas l'abandonner, Axelle. Tu ne peux pas l'abandonner comme on t'a abandonnée.

Je me serre plus fort contre mon chien. Il me faut quelque chose, une solution, un sursis, n'importe quoi. Mais il me faut un moyen de me raccrocher à la vie, et vite. Il me faut une raison de vivre.

Une raison de vivre...

La réponse s'impose à moi comme une évidence. Je connais un endroit où les gens viennent chercher une raison de vivre. Un endroit où je me sens vivante parce que j'ai mal. Un endroit où on arrive pas par hasard.

Le Blue Cross.

Si je compte bien, ça fait trois mois que je n'y suis pas retournée. Tout le temps que j'ai passé en couple avec Daryl. Je lui ai promis de ne pas y retourner. Mais je lui ai aussi promis de ne pas mourir. Et ce soir, c'est l'un ou l'autre. Comme un zombie, j'essuie les larmes de mes joues et me relève pour enfiler une tenue de sport. Avant de partir, je câline longuement Lazslo, appelle un taxi et attrape la bouteille de rhum pour la boire en route.

Fire & Gasoline (Terminé)حيث تعيش القصص. اكتشف الآن