Fire & Gasoline (Terminé)

Deux corps, une seule respiration

Mon cerveau se bloque totalement en même temps que mon souffle, comme si le temps s'était subitement arrêté. Tout semble s'effacer autour de moi, la maison, les murs, les sons, les odeurs. Je suis coincée dans un entre-deux, enfermée dans le vide absolu avec pour seul repère ce corps devant moi. Il n'y que moi et elle. Ava. Morte, juste là, sous mes yeux.

T'as déjà imaginé ce que ça ferait de mourir ?

Je n'arrive plus à organiser une pensée cohérente. Tout ce que je réalise c'est qu'elle est morte. Et même si ce n'est pas la première fois que je vois un cadavre...là c'est tellement différent. Lors de l'enterrement de ma mère, on avait laissé le cercueil ouvert le temps que toutes ses connaissances lui fassent un dernier adieu. Ma grand-mère avait été incapable de s'approcher du corps de sa fille. Et moi je m'étais penchée vers elle pour lui adresser une dernière prière, une supplique.

Reviens, maman... Reviens...

Evidemment, elle n'était pas revenue. Ses yeux étaient restés fermés, sa peau livide, ses lèvres immobiles. Et on l'avait mise en terre comme ça. Là où était sa place. Et là où est désormais celle d'Ava. Pendant un instant, je pense à son fils, Sebastian. Un petit garçon qui grandira sans sa maman. Un enfant à qui il manquera toujours quelque chose. Comme moi.

Ava...

J'avance d'un pas, comme si un mouvement dans la pièce allait la pousser à se réveiller. Elle ne bouge pas. Ses deux mains sont tournées vers le ciel, vides. Au centre de son front, l'impact de la balle est étonnamment propre, laissant juste échapper un petit filet de sang frais qui descend sur son sourcil gauche. Et ses yeux... Ses yeux sont fixés sur le plafond comme si elle était fascinée par quelque chose que je ne peux pas voir. Elle a l'air de prier, allongée comme ça, s'adressant à quelque chose qui la regarde de là-haut.

Mon père dit qu'après la mort y a l'Enfer ou le Paradis.

Où ? C'est la seule question que je parviens à me poser. Où est Ava maintenant ? Où sont ses rires, ses sentiments, ses souvenirs, ses craintes et ses espoirs ? Où est sa conscience, où sont ses rêves ? Où est son âme ?

J'aime pas l'idée qu'il y ait rien après.

Oh, bon sang, ce que j'aimerais pouvoir y croire, moi aussi. Croire qu'Ava est maintenant dans un monde meilleur, libéré du poids de ses erreurs et de son chagrin, veillant sur son fils comme un ange gardien. Peut-être que j'aurais pu m'en convaincre si je n'avais pas deviné la peur dans ses yeux. La toute dernière émotion qu'elle a ressentie. La terreur pure face à la mort. Comme si en voyant le canon du flingue se poser sur son front elle avait soudainement compris que rien ne l'attendait derrière. Le néant.

Ça a l'air...reposant.

Lorsque je reviens enfin à moi, après ce qui m'a paru durer des heures, je prends conscience de mon souffle court, des battements affolés de mon cœur et de mes jambes flageolantes. Mon corps lui-même semble à bout, comme s'il ne pouvait pas encaisser plus d'émotions. Terrassée, je m'écroule par terre, à genoux, à quelques mètres du cadavre que je ne parviens pas à quitter des yeux. Mon esprit reste concentré dessus, à la fois horrifié et fasciné. Et mon corps lui, ne supporte pas la vision de cet autre être humain sans vie. D'une main tremblante, je sors mon téléphone portable de ma poche pour appeler Daryl.

Daryl...

J'ai besoin d'entendre sa voix, de retrouver le monde réel après m'être perdue dans des limbes entre la vie et la mort. J'ai besoin d'entendre quelque chose, n'importe quoi pourvu que j'échappe à ce silence oppressant dans lequel ma respiration résonne. Deux corps. Une seule respiration. Je porte le cellulaire à mon oreille alors que les tonalités retentissent. Au bout de deux ou trois, Daryl décroche.