Daryl

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J'ai pleuré comme un môme pendant toute la soirée et une bonne partie de la nuit. Logan et Hayleh ont essayé tant bien que mal de me réconforter mais honnêtement, la tâche était infaisable. La seule chose qui aurait pu me consoler, c'est elle. Mais elle était pas là. Et moi, j'étais seul, comme un con, à verser toutes les larmes de mon corps, perdant toute dignité au passage. Et le pire, c'est que je m'en foutais. La seule chose à laquelle j'arrivais à penser c'est à elle, à son visage, ses larmes, son air désespéré quand je suis parti. J'avais l'impression qu'on m'avait arraché le cœur à main nue.

Je devais partir tôt ce matin, mais je n'ai pas pu résister à un détour par le Meridian's Cafe. Je me demandais si elle serait là. Logan m'a jeté un regard attristé quand je lui ai dit de m'attendre dans la voiture. Le con. Il n'a pas la moindre idée de que ça fait.

Je me suis posé de l'autre côté de la rue, les yeux fixés sur la vitrine, ça doit bien faire 20 minutes que j'attends, le cœur battant, les yeux humides. Et soudain, je la vois. Égale à elle-même, elle a enfilé son masque de travail pour faire croire que tout va bien. Elle veut toujours faire croire que tout va bien. Je crois que je suis le seul à remarquer ses mains qui tremblent et son regard qui se perd dans le vide, de temps en temps. Peut-être que personne d'autre ne le voit parce que personne ne la regarde plus intensément que moi. Mon cœur semble se déchirer dans ma poitrine. J'ai envie de la regarder et de ne plus la voir. J'ai envie de la toucher et de l'oublier. Lorsque je détaille avec attention sa silhouette, ses cheveux, son visage, c'est comme si on me plantait un couteau en plein cœur. Et pourtant je ne peux pas détacher mon regard de ses gestes. Je sais que je la vois pour la dernière fois.

Elle note la commande d'un couple sur son calepin, récupère les menus, leur sourit et se détourne rapidement. Ses cheveux bougent en rythme quand elle se déplace jusqu'au comptoir. Sa collègue vient lui dire un mot auquel elle répond à peine. Lorsqu'elle se rend en cuisine, trois types en profitent pour la regarder de dos avant de se mettre à rire en se donnant des grandes claques dans le dos. J'ai envie de leur sauter à la gorge. Une main s'abat brutalement sur mon épaule, me faisant sursauter. Je tourne la tête vers Logan qui pousse un soupir.

« Tu sais que t'avais dit 5 minutes.

-Et ?

-Et ça fait une demi-heure que je poireaute. J'ai d'autres choses à faire. »

Je hausse les épaules d'un air dédaigneux. À cet instant précis, l'emploi du temps de mon pote est bien la dernière de mes préoccupations. Et pour cause, elle revient en salle, dépose une assiette sur une table, remet une mèche de cheveux derrière son oreille et sourit avant de se détourner. J'ai l'impression de voir chacun de ses mouvements au ralenti, comme dans un rêve. Qu'est-ce qu'elle est belle. Logan regarde rapidement en direction du café avant de se tourner de nouveau vers moi.

« T'as pris la bonne décision pour elle. »

Est-ce que j'ai pris la bonne décision ? J'aimerais en être sûr. Pour l'instant, tout ce que je vois, c'est que je l'ai perdue. Plus jamais je n'entendrais le son de sa voix, son rire, ses soupirs, plus jamais elle ne prononcera mon nom. Plus jamais je ne sentirais son parfum, la douceur de sa peau sous mes doigts et ses lèvres sur les miennes. Un sanglot m'étreint la gorge.

« Ouais. »

Qu'est-ce que je peux dire d'autre ? Je me suis assez épanché hier soir. Et de toute façon, ça ne changera rien à la situation. Elle passe à côté d'une table et ramasse le doudou qu'un enfant a fait tomber. La voir ainsi s'occuper d'un bébé me serre le cœur. Si j'avais eu des enfants, ça aurait été avec elle. J'aurais tant voulu pouvoir lui offrir cette vie. Mon regard glisse sur son corps, caresse sa taille, enveloppe ses jambes. Je ne savais même pas que c'était possible de désirer quelqu'un à ce point. Quand je pense que je l'ai même pas embrassée hier soir avant de partir... Je suis déjà en manque de ses lèvres. Logan me donne un coup sur l'épaule pour me faire revenir à la réalité.

« Faut y aller, mon gars.

-Juste une minute. »

Il grogne. Mais je ne demande qu'une seule minute, soixante petites secondes pour contempler une dernière fois la femme que j'aime. Les trois types qui l'ont matée l'appelle à grands renfort de balancement des bras et je la vois lever les yeux au ciel avant de s'approcher d'eux avec méfiance. Peut-être qu'un jour, elle en aimera un autre. Cette pensée me broie les entrailles avec violence. Je veux qu'elle soit heureuse, qu'elle vive et qu'elle reçoive tout l'amour qu'elle mérite. Mais c'est plus fort que moi, imaginer quelqu'un d'autre poser ses mains sur elle me donne des envies de meurtre. De toute façon, personne n'est assez bien pour elle. Pas même moi. Surtout pas moi.

« Allez...

-Attends.

-Tu veux vraiment qu'elle te voie ? »

Oui. Non. Je ne sais pas. Je veux pouvoir entrer dans ce café, la serrer dans mes bras et l'embrasser. Je le veux tellement que ça fait mal. Tous mes muscles fourmillent du besoin de courir vers elle. Mais ça ne serait qu'une épreuve de plus pour nous deux. Et je l'ai assez faite souffrir comme ça. Je ne veux plus jamais qu'elle pleure. Au prix d'un effort surhumain, je détourne le regard.

« C'est bon. »

***

« Dis moi, miss, t'es célibataire ? Parce que mon pote là, il ose pas te dire mais il te trouve super canon.

-Mais ferme ta gueule, putain ! »

Je pousse un soupir frustré. Dans un de mes bons jours, j'aurais esquissé un sourire narquois avant de leur expliquer poliment qu'ils pouvaient aller se faire foutre. Dans un jour normal, je les aurai remballés vite fait bien fait. Aujourd'hui, je ne suis même pas capable de répondre. J'ai l'impression d'être déconnectée de la réalité, de flotter dans le néant absolu. Vide. Morte.

Pas encore.

Je jette un œil à la pendule du café. Encore 7h de torture... J'ai juste envie de rentrer chez moi, m'enterrer sous mes couvertures, bouffer de la glace et boire trois litres d'alcool. Peut-être quatre. Au lieu de ça, je souris poliment aux crétins que je n'ai finalement pas écouté et qui semblent attendre une réponse, puis je me détourne pour me remettre au travail.

Fire & Gasoline (Terminé)Where stories live. Discover now