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Je fais un rêve étrange. Dans mon rêve, je suis une bleue, et j'attaque le lycée de Keo, qui est un rouge. Dans une pièce - qui ressemble trait pour trait à la salle de classe où donnait court mon professeur de stratégie -, Keo me regarde avec de grands yeux effarés. Je pointe mon pistolet sur un de ses iris vermeil, lorsqu'au dernier instant, j'abaisse mon arme.

- Je ne devrais pas te détester parce que tu es rouge, dis-je. Ce n'est pas bon de détester une couleur.

Je lui tends la main pour accompagner mes paroles. Il s'approche prudemment. Lorsque ses doigts rencontrent les miens, je lève la tête pour m'apercevoir que le visage de Keo a disparu pour céder place à celui de ma mère. Celle-ci me couve d'un regard bienveillant.

- Maman ?

Elle hoche la tête avec douceur, puis elle me répond :

- Neela. Je t'ai donné ce prénom parce que cela signifie ...

Sa voix n'est plus un écho. Elle lâche ma main et s'éloigne progressivement de moi. Plus j'essaye d'avancer, plus ma vision s'obscurcit. Je finis par être plongée dans les ténèbres. C'est si angoissant que je me réveille en sursaut, trempée de sueur.

Je me douche en vitesse, tout en m'hydratant autant que je peux. Ensuite, j'enfile de nouveaux vêtements et renoue ma crinière mi-longue en deux tresses collées. En faisant un saut dans le salon, je découvre que Keo est profondément endormi sur le canapé, une main tenant la crosse de son fusil.

Keo a l'air tellement différent dans son sommeil. Il n'arbore pas cette expression stoïque qu'il montre en plein jour. Endormi, il ne ressemble pas à un assassin. Probablement parce que ses yeux froids sont dissimulés derrière ses paupières. Il n'a pas l'air d'un ennemi ... En fait, j'ai l'impression d'avoir en face de moi un garçon normal.

Je dois l'observer un peu trop longtemps, car ses paupières papillonnent sans prévenir. Je détourne le regard, rouge de honte. Ça m'apprendra à épier un bleu, tiens.

- Neela ?

Je sursaute. Il se frotte les yeux à l'aide de ses deux mains avant de se redresser en position assise. Il regarde autour de lui pendant longtemps, comme s'il s'efforçait de se souvenir où il se trouve. Puis son regard revient à moi.

- T'es bien matinale dis donc, me dit-il en baillant bruyamment.

- Et toi tu possèdes un sommeil très léger, répliqué-je. Non je ... J'ai fait un rêve étrange. Je n'arrive plus à dormir.

- Tu veux m'en parler ?

Je me mords la lèvre inférieure. Quelle image dois-je donner de moi ? Celle d'une cruche apeurée qui court voir le premier venu, en quête d'un peu de réconfort ? Ma faiblesse me dégoute. En tant que soldate Rouge, je devrais me montrer plus forte. Surtout devant cet ennemi.

- Euh ... Non merci.

Il me retient par le poignet avant que je n'ai eu le temps de m'enfuir. Un frisson me parcourt le bras.

- T'en es sûre ? Je vais pas te juger tu sais. Dès fois, ça fait du bien de se confier à des inconnus.

- Tu n'es plus vraiment un inconnu, Keo.

Il m'adresse un petit sourire et me lâche.

- Pas faux.

Je lâche un soupir et je hoche la tête. Il a raison, peut-être qu'en parler pourrait permettre à mes épaules de se libérer du poids qui pèse depuis la mort de maman.

- Je ne sais pas si tu te souviens, mais ... Euh ... Avant de mourir, ma mère m'a parlé de mon prénom.

- Je m'en souviens pas, me dit-il en fronçant les sourcils. Peut-être que j'étais pas assez proche pour bien l'entendre.

Il doit dire vrai. Les dernières paroles de maman étaient à peine audibles. Le fait d'y repenser fait battre mon cœur plus vite.

- Elle m'a dit ... Que mon prénom avait une signification. Mais elle ne m'a pas dit ce que cela voulait dire et ...

Je n'arrive pas à dire la suite à voix haute. Maintenant que je décide à en parler, ça me paraît tellement ridicule de m'inquiéter pour une chose pareille. Ce n'est qu'un prénom. Peut-être qu'il n'y avait aucun message caché. Peut-être que « Neela » ne veut rien dire. Je secoue la tête.

- Non laisses tomber, dis-je brusquement en tournant les talons.

NeelaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant