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Dans le halo lunaire qui filtre à travers ma petite fenêtre, ma pendule indique vingt-deux heures moins le quart. Ce qui veut dire que j'ai assez de temps pour sortir. Parfait. Je file jusqu'à mon placard, en sort un treillis, une chemise et un gilet pare-balles. Je les enfile rapidement, et rentre mes pieds dans ma paire de rangers. L'ensemble de ma garde robe est noire, à part cette tunique rouge roulée en boule au fond d'un étage, que je ne revêt que pour des occasions spéciales. C'est à dire, pratiquement jamais.

J'attache mes cheveux noirs et mi-long en une petite queue de cheval basse, prend mon pistolet qui traînait par terre pour le ranger dans le holster de ma ceinture. Je crois que ça y est, je peux partir. Je quitte ma chambre en refermant soigneusement la porte derrière moi, et traverse le salon sur la pointe des pieds. De toute façon, je ne crois pas que ma mère risque de se réveiller. Elle dort toujours à poings fermés.

Je ferme la porte de l'appartement derrière moi et verrouille à clef. J'enfile ensuite le couloir et pousse la porte qui mène à l'escalier. Je pourrais tout aussi bien prendre l'ascenseur, mais je n'ai pas vraiment confiance en cet appareil brinquebalant qui fait un boucan monstrueux. Je pourrais rameuter l'immeuble tout entier.

Une fois que j'ai quitté le hall de mon immeuble, le vent me cingle aussitôt le visage. Je plisse les yeux et m'élance dans la ville. Il ne faut pas que je perde de temps, car le couvre-feu va sonner dans une heure. Les rues sont quasiment désertes. Il y a quelques patrouilleurs qui surveillent les environs ça et là, mais ils ne font pas plus attention à moi que ça. Même si il se fait tard, ils ne peuvent rien me dire tant qu'il n'est pas vingt-trois heures. A un moment donné, je passe devant un mât près d'une petite épicerie. Le drapeau de la France ondoie dans la noirceur de la nuit.

Notre drapeau n'est plus le même depuis maintenant quelques années. Il y a une première bande rouge, qui représente la région Rouge. La région dans laquelle je vis. En bas, une bande bleue, qui représente la région Bleue. Ce sont nos ennemis. Et enfin, en son milieu, un petit losange jaune, qui représente la région Jaune. La région qui domine les deux autres, et que tout le monde admire tant.

On pourrait penser que c'est un drôle d'emplacement pour un drapeau. Mais en fait, on en trouve quasiment à chaque rues. Partout. On ne peut pas leurs échapper, c'est comme si elles étaient là pour nous rappeler que nous ne pourrons jamais fuir le système. Je secoue la tête pour reprendre mes esprits et continue de courir. Je jette un coup d'œil aux écrans extérieurs, encore plus nombreux que les drapeaux.

Mes yeux n'ont même pas besoin de s'attarder sur les images. Je sais que ce qui défile sont des publicités qui incitent les citoyens rouges à prendre les armes pour défendre la région des envahisseurs, qui sont d'autre que les bleus. Des avis de recherches. Des informations sur les attentats de la journée. En somme, rien de nouveau. Après ce que je viens de revivre cette nuit, je n'ai pas le moral à lire quoi que ce soit. Je me concentre à nouveau sur le trottoir en essayant d'ignorer autant que possible les bribes de mon cauchemars.

NeelaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant