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- Je connais ton nom et ton prénom, et je suis pratiquement sûr que t'es une apprentie soldate. Ça se voit à ton uniforme. J'ai pas raison ?

Devant mon silence qui veut tout dire, il sourit avec fierté.

- Essaye même pas de me balancer aux informateurs, compris ? Parce que si tu le fais, je te balancerai à mon tour. Ce serait dommage qu'on se retrouve tous les deux dans le pétrin juste parce que je t'ai prévenu pour l'attaque. Me fait pas regretter d'avoir été gentil avec toi, Neela.

Gentil ? Je grince des dents en entendant cet adjectif. Il n'y a rien de plus faux pour qualifier ce bleu. Non, il n'est pas gentil. S'il l'était, il ne serait même pas venu à Orléans pour aider son ami à espionner la ville. Il m'aurait laissé filer. Il ne m'aurait pas menacé de me faire du mal.

- Promets-moi que tu diras rien.

En quelques secondes, Keo est devenu tellement sérieux. Il ne sourit plus, il n'essaye plus de parler avec légèreté. Pire encore, ses yeux en sont réduis à deux billes bleus. Ils ne retransmettent aucune émotion. Comment arrive-t-il à changer de comportement aussi facilement ?

- Neela, répète-t-il en voyant que je ne dis rien. Fais en moi la promesse.

J'aimerai lui dire que ça ne sert à rien. Qu'une promesse ne rime à rien, qu'elle ne pourra pas m'empêcher d'agir à ma guise. Que nous sommes ennemis, et que nous ne pourrons jamais être d'accord sur quelque chose. C'est ce que j'apprends à l'école, non ? Nos instituteurs nous ont toujours dit de nous méfier des bleus, qu'ils sont manipulateurs et qu'ils mettent toujours tout en œuvre pour arriver à leurs fin. Keo est un bleu. C'est un monstre, il fait partie de ceux qui ont tués mon père et Sapna. Mais alors dans ce cas, pourquoi est-ce que j'hésite à l'envoyer sur les roses ?

Je fais mine d'ouvrir la bouche, mais des bruits de pas nous parviennent du bâtiment d'à côté. Ils sont étouffés, mais il ne fait aucun doute qu'ils se rapprochent de nous. L'adolescent écarquille les yeux et ouvre la porte de la boutique contre laquelle nous étions debout, et me pousse à l'intérieur sans ménagement. A peine a-t-il fermé la porte qu'une voix masculine s'élève dans la nuit.

- Keo, pourquoi tu prends autant de temps ? Tu as vu quelqu'un ?

Mon cœur bat la chamade. Je pose mon front contre le mur en brique, et ferme les yeux pour essayer de me calmer. J'ai les bras qui tremblent.

- Désolé mon pote, j'ai pas vu le temps passer. Il y avait personne, t'avais raison.

- Je pensais qu'il t'était arrivé quelque chose !

- Après c'est moi qui suis parano ?

Ils ne font aucun effort pour parler discrètement, si bien que leurs paroles me parviennent avec clarté.

- Allez viens, dit la voix que j'assimile être celle de Wen. J'ai préparé de la soupe.

- Attends, rentre d'abord. J'arrive dans quelques minutes.

- Qu'est-ce qu'il y a ?

- Rien, t'inquiètes. Je dois juste finir un truc.

Je rouvre les paupières. Il veut me voir une dernière fois, je le sais. Sinon, il n'aurait pas voulu s'attarder dehors. Le dénommé Wen dit à son ami de l'appeler s'il y a le moindre problème, et j'entends des bruits de pas qui s'éloignent. Je m'attends à ce que la porte de la boutique s'ouvre sur Keo, mais il ne se passe rien. C'est étrange. Pourquoi est-ce que le bleu ne vient-il pas me voir ?

Je décide de l'ouvrir moi-même. J'ai la main sur la poignée quand une idée horrible me traverse l'esprit. Et si c'était un piège ? Et si Keo m'attendait dehors pour me tuer ? Pourtant, une petite voix dans ma tête me souffle que ce n'est pas le cas. Que le bleu m'a déjà dit qu'il ne me ferait pas de mal. Je prends mon courage à deux mains, et tourne la vieille poignée en laiton. Je me faufile dans l'entrebâillement et sort dehors. Je dois balayer longtemps la rue avant de trouver une silhouette qui se découpe dans la clarté lunaire. Il est là, à environ quinze pas de moi. Pourquoi est-il aussi loin ?

Keo raccourcit la distance entre nous, et vient se poster face à moi. Il ne dit rien, mais ses traits tendus m'indiquent que le temps presse. J'inspire un bon coup, et je dis :

- Promis. Je ne dirais rien à personne.

Ses épaules s'affaissent, et son visage s'adoucit.

- Merci Neela. Prends soin de toi.

Il me lance un dernier sourire chaleureux avant de s'éloigner en direction de la boutique de chaussures abandonnée. Je le regarde rentrer à l'intérieur et disparaître de mon champ de vision. Je me ressaisis, et file au pas de course pour sortir de la rue commerçante.

Je n'arrive pas à m'empêcher de penser à sa dernière phrase.

Prends soin de toi.

Quel genre d'ennemi peut dire quelque chose d'aussi gentil ?

NeelaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant