Neela

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Elle se dirige aussitôt au fond de la pièce et vient s'allonger sur le matelas posé sur le sol. Elle se roule en boule dans sa couverture, une main posée sur la poignée de son pistolet, avant de finir par s'endormir pour de bon. Si elle dort ici au lieu de dormir dans sa chambre, c'est seulement pour être prête à défendre l'atelier en cas d'intrusion. Les vols par effraction sont loin d'être rare, dans la France Rouge.

Les brigands ne s'intéressent pas au matériel d'art graphique que les Vinet disposent, tout ce qu'ils veulent, c'est de la nourriture ou de l'argent. C'est triste, mais c'est souvent ceux qui ont le plus de mal à joindre les deux bouts qui sont victime de cambriolage. Comme la famille d'Opale. Parce que le bâtiment dans lequel ils résident et travaillent n'offre pas une grande sécurité. Parce qu'ils n'ont pas les moyens d'engager des gardes, de faire installer des caméras de surveillance, une alarme, n'importe quoi qui puisse tenir les voleurs à l'écart ...

Je farfouille la pièce à la recherche d'un croquis que j'avais esquissé la veille. Je finis par le trouver sous un carton rempli de crayons de couleurs, qui est d'ailleurs caché à l'intérieur d'un placard. Ils l'ont sans doute dissimulé ici, de peur qu'un client le remarque. Ils ont bien fait. Lorsque je déniche une grande feuille en carton, je me dirige dans le coin où sont rangés le matériel de peinture, et me sert dans les étagères.

Je commence d'abord à retracer avec un crayon les grands traits de mon croquis, et, une fois que je suis satisfaite, je prends un pinceau commence à remplir la page avec de la peinture. Un coup de rouge par ci, un coup de bleu par là ... J'aimerai prendre mon temps, mais j'ai promis à Opale de ne pas traîner. Alors je m'active, les sourcils froncés par la concentration.

Techniquement, peindre est interdit. C'est une pratique qui a toujours été associée à la rébellion. Ce n'est pas vraiment l'acte qui pose problème, c'est le fait d'unir des couleurs pour en créer de nouvelles. D'unir le rouge et le bleu par exemple, pour créer du violet. Sauf que tout le monde sait bien que la couleur rouge et la couleur bleue ne pourront jamais être unis. Ces deux couleurs sont, et seront toujours ennemis. Les Vinet, eux, n'utilisent que du rouge, du jaune, du noir ou du blanc pour créer les affiches qu'ils vendent ensuite. Je suis la seule à peindre de toutes les couleurs.

Au bout d'une dizaine de minutes, je repose mon pinceau sur la palette. L'oiseau que je viens de faire naître sur la page n'est pas terrible, mais je n'ai pas le temps d'en refaire un autre. Mais en tout cas, je me sens un tout petit peu mieux. Je suis contente d'être venue, finalement. Je suis certaine que je me serais encore retournée dans mon lit, si j'étais restée dans ma chambre ... Je jette un coup d'œil à la pendule. Bientôt vingt-deux heures trente. Il va falloir que je commence à me préparer pour sortir. Pas le temps de nettoyer mes pinceaux et ma palette, alors je les laisse dans un coin, mais je range tout de même les tubes de gouaches à leur place. Je souffle sur la bougie pour éteindre la flamme, puis la remet sur le comptoir avant de retourner m'asseoir à ma place.

Il me reste cinq minutes à tuer. Ne sachant pas quoi faire, j'observe derechef l'oiseau que j'ai créé. Je n'en ai jamais vu de mes propres yeux, seulement dans les livres ou à la télévision. Il faut dire que les animaux sont si rare ... Les oiseaux me fascinent, car eux au moins, ils sont en sécurité. Ils ont des ailes, ils peuvent s'envoler, s'élever de cette société cauchemardesque. Ils n'appartiennent à personne, ils sont libres.

Tout le contraire de moi.