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Toujours plus de bousculades, toujours plus de cris, de traces de sang et de cadavres sur le carrelage noir. C'est l'enfer sur Terre. J'ai l'impression d'être dans un de ces romans d'épouvante qu'Opale aime lire à la bibliothèque du lycée. Opale ! Où est-t-elle ? Dans ma précipitation, je n'ai même pas pensé à aller la chercher. De toute manière, je doute de la trouver dans ce bazar monstre. Je n'espère qu'une chose, qu'elle va bien et qu'elle est en vie. Je ne crois pas que je supporterais de la savoir morte.

Je ne mets pas beaucoup de temps à comprendre que je suis coincée dans le deuxième étage. Tous les escaliers sont gardés par des bleus, et ce n'est pas la peine d'envisager de les tuer. Je ne suis pas de taille à les affronter toute seule. Alors je reste planté là, immobile, à me demander ce que je pourrais bien faire. Réfléchis Neela, me dis-je. Je peux forcément trouver une solution pour me tirer de là. Il faut juste que j'utilise ma tête.

Tandis que je suis là à hésiter, une balle me frôle presque l'oreille. Je lâche sans le vouloir un cri, et je m'élance sur ma gauche. Les yeux écarquillés et le souffle court, je m'empare de mon pistolet et court à m'en arracher les jambes. Un adolescent rouge me percute sans le vouloir, et je trébuche avant de m'étaler avec lourdeur sur le sol. Dans ma chute, je fais tomber mon arme devant moi. Tandis que je tâtonne le carrelage glacé pour le recouvrer, la semelle d'une Rangers s'écrase sur ma main avec tellement de force que je lâche un cri de douleur. On me tire les cheveux, et l'arrière de ma tête se retrouve aussitôt plaqué sur le sol. La première chose que je vois, c'est une paire d'yeux bleus foncés. Ensuite, le rictus moqueur de la jeune fille qui pose ses genoux sur mes épaules afin de me clouer à terre.

Clic ! Le bruit sourd d'un chien qu'on arme. Je vois le canon du pistolet argenté scintiller à la lumière des néons fluorescents accrochés aux murs, jusqu'à ce que je me rende compte que ce que la bleue tient dans ses mains n'est pas un pistolet. Il s'agit d'un revolver. C'est la première fois que j'en vois un de mes propres yeux, et non par l'intervalle d'une page de manuel scolaire. Je me demande où a-t-elle trouvé une antiquité pareille. Les revolvers sont si rares de nos jours.

Je n'ai jamais vraiment aimé le bleu. Mais en cet instant précis, je me rends compte à quelle point cette couleur est horrifiante. Le bleu. La couleur de l'océan scabreux. La couleur de l'ennemi, qui détruit tellement dans son sillage. Mais le pire dans tout ça ... Le bleu est la couleur des yeux de celle qui va m'ôter la vie.

Je ne tremble même pas lorsque le canon se pose au milieu de mon front. Je ne ferme pas les yeux : autant affronter la mort en face. Car je n'ai pas peur de mourir. La vie est tellement injuste, tellement difficile qu'à ce stade, cette bleue me libérera en appuyant sur la queue de détente. De toute façon, je n'ai jamais eu ma place dans cette société hostile, qui glorifie le désir de vengeance et non le désir de créer. Qui met en avant les soldats et défavorise les artistes. Je n'ai jamais réussi à rentrer dans le moule, à être comme les autres. La France Rouge n'as pas besoin de moi. Ma région n'a pas besoin de mes rêves irréalisables et de ma faiblesse.

Mon professeur de stratégie avait raison. Une rouge faible, comme moi, ne mérite pas d'être qualifiée de rouge.

- ... Je t'en prie, murmuré-je à la jeune fille dont le visage est dévoré par la haine. Fais-le.

Ellearque les sourcils, étonnée par mon propos. Mais elle n'a pas le temps depresser la queue de détente, car le bruit d'une balle résonne, et son corpss'affaisse sur le côté.

NeelaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant